Ubisoft vient d’annoncer la bêta de Quartz, une plateforme qui va permettre au géant français de se lancer pour de bon dans la blockchain. Au menu ? Des NFT permettant aux utilisateurs de posséder des objets virtuels issus des licences phares du groupe. Afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants du projet, nous avons rencontré Nicolas Pouard (Strategic Innovation Lab Director), Baptiste Chardon (Blockchain Business et Product Director) et Didier Genevois (Blockchain Tech Director) d’Ubisoft.
NFT ? Blockchain ?
Ces derniers mois, nous avons beaucoup entendu parler de la blockchain et des NFTs. Pour certains, ces termes sont encore abscons. Pour d’autres, ils représentent une petite révolution dans le monde du numérique. Nicolas Pouard, directeur du Strategic Innovation Lab d’Ubisoft, fait partie de cette deuxième catégorie. “On a souvent entendu parler de la blockchain par le Bitcoin. Mais le Bitcoin n’est qu’une application de la technologie blockchain” rappelle-t-il. Avant d’aller plus loin dans les explications, il est bon de commencer avec des définitions ainsi qu’un soupçon de vulgarisation. Un NFT est un jeton cryptographique dit “non-fongible”, constituant un objet numérique authentifié. C’est-à-dire que n’importe quel élément virtuel, comme une image ou de la musique, peut recevoir une certification le rendant unique, et potentiellement rare. Cette authentification se fait par le biais de la blockchain. Ce réseau décentralisé permet de garder la trace d’échanges tout en donnant un numéro de série à des articles qui auparavant n’en avaient pas. Vous avez acheté un chapeau en édition limitée pour votre avatar préféré ? Avec la blockchain, cet objet devient unique. Vous en êtes le propriétaire. Vous pouvez le revendre ou bien évidemment le garder.
“Le NFT est comme un numéro de série sur la blockchain, il devient un standard de propriété d’un objet virtuel comme une image, une musique ou bien évidemment un item in-game. Désormais, ce n’est plus Ubisoft qui détermine si vous possédez une voiture sur The Crew. C’est juste inscrit sur la blockchain” affirme Nicolas Pouard. Théoriquement, cela veut dire que cette même voiture peut être utilisée pour un autre contenu : c’est ce que l’on appelle l’interopérabilité. Des projets comme The Sandbox ou Decentraland explorent en ce moment-même ces concepts. Dans Assassin’s Creed par exemple, une fois le jeu terminé, les DLC cosmétiques ne servent plus à rien. La blockchain offre la possibilité de faire fructifier potentiellement ces items sur d’autres jeux et dans d’autres univers. Les joueurs peuvent également revendre leurs items acquis. Opensea s’est d’ailleurs spécialisé sur ce marché en devenant une sorte de Vinted des objets numériques. Les développeurs peuvent ainsi créer des objets véritablement uniques, des sortes d’Excalibur virtuels. La monnaie virtuelle d’un soft pourra être remplacée par une cryptomonnaie utilisable dans d’autres titres, voire dans la vie de tous les jours. On peut très bien imaginer que le simple fait de jouer à un jeu fasse gagner de la cryptomonnaie plutôt qu’une monnaie virtuelle, et que le simple fait de passer du temps sur un jeu rapporte de l’argent. Quant aux créateurs de contenus, ils pourraient eux aussi trouver des avantages à ce rapport plus direct avec les utilisateurs.
Décentralisation et éditions limitées
“L’enjeu est la décentralisation et ce qu’elle peut apporter au monde du jeu vidéo. C’est un changement de paradigme, c’est pourquoi il est encore aujourd’hui compliqué d’expliquer de manière synthétique ce que représente cette plateforme” reconnaît Nicolas Pouard. Dans n’importe quel écosystème donné, nous sommes aujourd’hui dans un système centralisé. Facebook, Google, Amazon, ces quelques acteurs captent la majorité de la valeur créée par un écosystème, et ces mêmes acteurs décident du devenir de cet écosystème car les données sont stockées sur leurs serveurs et administrés par eux uniquement. “La décentralisation, elle, signifie que les gens qui font partie de l’écosystème sont interdépendants. Ils créent de la valeur ensemble, valeur qui est redistribuée en fonction de l’implication de chacun. C’est une autre philosophie qui prend à contre-pied ce qui existe” explique le directeur du Strategic Innovation Lab. En d’autres termes, la blockchain a pour ambition de démocratiser ce qui était auparavant dans les mains de quelques-uns.
L’argent n’est jamais loin lorsque nous parlons de blockchain et de NFT. “On a beaucoup regardé ce qui se faisait du côté de la mode avec des collections limitées qui rencontraient du succès” nous confie Baptiste Chardon, Blockchain Business et Product Director chez Ubisoft. “Nous nous sommes demandés si les joueurs y seraient également sensibles” ajoute-t-il. “Le boom des NFTs a permis aux analystes spécialisés dans la blockchain de comprendre que les joueurs étaient intéressés. Axie Infinity a vu son nombre de joueurs actifs passer de 20 000 à 2 millions en quelques mois” ajoute Nicolas Pouard. C’est pourquoi la société française a fait appel à des spécialistes de la question afin de les aider à comprendre comment intégrer la blockchain aux futures expériences qu’ils développent. L’éditeur qui comprend plus de 20 000 collaborateurs a lancé un incubateur situé à la Station F qui accueille des start-up voulant défricher le terrain de la blockchain. De la recherche à la mise en pratique, différentes équipes se sont relayées avec pour ambition de prouver que le sujet est porteur. De ces expériences sont sorties des prototypes présentés aux équipes du géant français. Des essais qui ont prouvé que la blockchain n’était plus de la science-fiction et qu’elle pourrait faire partie du futur d’Ubisoft.
De longue haleine
Au sein de l’incubateur, Ubisoft travaille avec une vingtaine de studios depuis 2017. Parmi eux, nous comptons Dapper Labs, Axie Infinity et Sorare, des start-up valorisées à plusieurs milliards de dollars (non cotées en bourse). Alors que le grand public n’est pas encore habitué à entendre parler de NFT, les levées de fonds se multiplient. Récemment, Sorare a levé 680 millions de dollars alors que la start-up ne compte même pas 30 personnes dans ses rangs, tandis que Forte a levé 750 millions de dollars. Cet intérêt des investisseurs rassure forcément le papa de Rayman qui y voit “le prochain bon coup” sur lequel il est important de se placer. Un Web 3.0 où différentes technologies se rencontrent et qui servira de base aux fantasmés métavers. Ce n’est pour rien que le géant français de l’édition a participé au développement de divers programmes tels que HashCraft, Rabbids Token et OneShot League. “Nous verrons bien à quel point ça prend de l’ampleur” ajoute Nicolas Pouard. “C’est tout un réseau qui s’organise et qui va continuer de se développer sur des technologies pérennes qui ne consomment pas trop d’énergie au sein d’un espace sécurisé”. D’après Ubisoft, l’empreinte énergétique serait “un million de fois moindre” que celle que nous connaissons aujourd’hui avec des technologies classiques.
Quartz, la plateforme où collecter des Digits
Quartz est l’endroit construit par Ubisoft où les joueurs pourront acquérir des “Digits”, à savoir des objets NFTs développés en édition limitée. L’éditeur français a présenté ses premiers items issus de Ghost Recon Breakpoint. Ces objets sont uniques. Ils portent un numéro de série ainsi que le nom de ceux qui les ont possédés. Didier Genevois, Blockchain Tech Director chez Ubisoft, prévient : “on a mis en place Quartz pour nos joueurs, pas pour les spéculateurs”. La firme se dote ainsi d’une batterie de conditions d’éligibilité : seul un Digit peut être acquis par édition et par joueur, il faut avoir plus de 18 ans pour participer, et il faut avoir atteint le niveau 5 sur Ghost Recon Breakpoint (environ deux heures de jeu). Ces règles s’appliquent sur le marché primaire (Quartz) mais également secondaire. Certains objets demanderont à l’utilisateur d’avoir passé plusieurs centaines d’heures pour pouvoir être acquis sur Quartz, mais pourront être revendus à quelqu’un qui n’est que niveau 5 sur les marchés secondaires.
Ubisoft Quartz sera disponible en version bêta à partir du 9 décembre à 19 heures. Des Digits gratuits basés sur Ghost Recon Breakpoint seront proposés le 9, 12 et 15 décembre. L’éditeur français nous prévient que d’autres Digits sortiront prochainement. Si l’aventure vous tente, vous pouvez visiter le site officiel par ici.