On le sait, la Chine est assez prompte à la censure. Qu'il s'agisse de la presse, du cinéma ou du jeu vidéo, le contenu diffusé dans l'Empire du Milieu est passé au crible pour entrer en conformité avec les exigences du parti. Ces derniers temps, la Chine a accéléré le contrôle du jeu vidéo, notamment en imposant des restrictions aux mineurs et vient de recommander aux développeurs de ne pas franchir certaines lignes dans leurs futures créations. Ces renforcements peuvent-ils avoir un impact sur l'industrie en général ?
Un renforcement progressif du contrôle du jeu vidéo
Début septembre dernier, la Chine avait pris de nouvelles mesures pour limiter l'accès au jeu vidéo dans ses frontières. La NAAP, administration générale chinoise de la presse, de l'édition et des médias en lignes, avait limité le temps de jeu pour les mineurs, ces derniers ne pouvant désormais jouer qu'entre 20 et 21h00 du vendredi au dimanche, et aux même s horaires toute la semaine pendant les vacances scolaires. Ces nouvelles mesures renforçaient donc une précédente qui limitait le temps de jeu à 01h30 précédemment. Si l'on peut comprendre la nécessité d'encadrer parfois le temps de jeu des mineurs, les nouvelles recommandations des autorités chinoises pour qu'un jeu vidéo soit jugé comme acceptable dans le pays sont largement plus inquiétantes.
Effectivement, comme l'a indiqué le South China Morning Post, quelques nouvelles directives visant à encadrer le jeu vidéo sont parvenues aux organes de contrôles du jeu vidéo, ce qui pourrait modifier en profondeur la nature de ces derniers, ou tout simplement leur barrer l'accès à l'entrée sur le territoire Chinois. Comme l'a indiqué le journaliste Josh Ye sur Twitter, désormais, le contrôle devrait être nettement plus strict en Chine. La raison derrière ces nouvelles restrictions est plutôt encourageante pour la considération du jeu vidéo en tant que média, mais les conséquences comme leur signification sont de leur côté plus préoccupantes. Effectivement, un mémo aurait rappelé aux régulateurs que le jeu vidéo ne devait plus être considéré comme du «pur divertissement » et qu'il était au contraire une forme d'art qui doit souligner « des valeurs convenables » et dévoiler une vision précise de la compréhension de l'Histoire chinoise et de sa culture.
La nécessité de "valeurs convenables"
Mais les valeurs convenables n'ont pas la même portée en fonction du pays qui les brandit, et, en l'occurrence, quelques exemples sont détaillés par l'article. Un jeu de fiction post-apocalyptique dans lequel les joueurs sont encouragés à tuer pourrait donc être censuré. En outre, à l'heure où les choix moraux deviennent de plus en plus centraux dans les jeux vidéo, qui renforcent chaque jour un peu plus leur aspect narratif, les autorités ne voient pas d'un bon œil les titres qui laisseront le choix au public de faire le bien et le mal et que ces choix devront être modifiés. Enfin, et sans surprises, les considérations inclusives sont balayées d'un revers de la main par les autorités chinoises, puisque les jeux incluant des relations homosexuelles ou des personnages « masculins efféminés » devraient aussi tomber sous le coup de la censure. Le personnage Venti, de Genshin Impact, est manifestement cité en exemple dans la note interne pour établir la jauge des designs jugés acceptables ou non. Pour mieux expliciter les faits, le mémo mentionne « si les régulateurs ne peuvent pas immédiatement identifier le genre du personnage, le réglage des personnages pourrait être considéré comme problématique et des drapeaux rouges seront brandis ».
Enfin, ce sont les aspects historiques des jeux qui devraient aussi être passés au crible :
Les jeux ne peuvent pas distordre les faits ou provoquer délibérément de la controverse, et les figures historiques avec une histoire établie ne doivent pas être remaniées.
Enfin, les jeux de simulation historiques permettant de remanier virtuellement la marche du monde seront aussi attentivement examinés, particulièrement si le Japon où l'Allemagne nazie sont au casting de la production. La pression mise sur les développeurs comme sur les joueurs s'intensifie donc à nouveau et les libertés de ton s'amenuisent. Le jeu vidéo est un divertissement central en Chine, marché ô combien incontournable de l'industrie, et sa démocratisation incite les autorités à ce qu'il bascule davantage encore sous leur contrôle afin de garantir la conformité avec les valeurs qu'elles véhiculent. NetEase et Tencent ont déjà fait les frais des restrictions d'accès au jeu en ligne par le parti chinois et il les choses ne semblent pas vouloir s'arrêter là, même si ces procédés ne sont pas si nouveaux que cela. Comme le souligne le China Briefing, en septembre 2013, les entreprises de jeu vidéo ont signé un accord d'autorégulation, leur enjoignant d'éviter ou de supprimer tout contenu qui serait découragé par les autorités chinoises.
Les prémices d'une uniformisation du marché ?
La principale inquiétude concerne les investisseurs, qui craignent que de telles mesures soient prises et renforcées du jour au lendemain, rendant alors l'introduction dans le marché chinois nettement plus complexe, puisqu'il sera nécessaire de procéder à des ajustements pour rendre un jeu éventuellement déjà bien avancé conforme aux recommandations. Et il faut bien reconnaître que se priver de la Chine comme client n'est pas une option envisageable, tant le jeu vidéo y est solidement implanté et les revenus qu'il y génère sont colossaux. Nous avons contacté le journaliste du South China Morning Post, Josh Ye, qui a mis en lumière ces nouvelles restrictions. Il part d'un constat simple :
Il est difficile pour les développeurs étrangers d'adapter leurs jeux. La plupart ne passent pas la censure, la plupart des jeux ne sortent pas en Chine et beaucoup ont à être retravaillés pour sortir sur le territoire. - Josh Ye, journaliste au South China Morning Post
Il est déjà effectivement arrivé que des développeurs modifient le design d'un personnage, par exemple, pour le rendre plus conforme au marché tel que le conçoivent les autorités chinoises. Alors il se pourrait effectivement que, dans une certaine mesure, la tendance des jeux vidéo à être développés en fonction du marché chinois prenne progressivement de l'ampleur. Si bien évidemment, il y a fort à parier que beaucoup de studios occidentaux chercheront avant tout à créer l'oeuvre qui leur convient et qui correspond à leur vision sans se préoccuper de savoir s'il passera les barrières de la censure chinoise, peut-être que d'autres entreprises verraient d'un bon œil de jouer de concessions afin de toucher un marché au potentiel qui dépasse l'entendement. Car oui, selon le site Marketing to China, le marché du jeu vidéo représenterait pas moins de 665 millions de joueurs et de joueuses et donc autant de porte-monnaie qui tendraient les bras à des produits calibrés pour eux.
Bien évidemment, la plus grosse portion du marché concerne le jeu mobile, et de nombreuses applications internationales sont développées avec comme ligne de conduite le respect du protocole pour passer outre les régulations des censeurs. Comme le mentionne le site : il faut s'adapter, faute de quoi, pas d'implantation sur le territoire :
Si vous voulez entrer sur le marché chinois, vous n'avez pas d'autre choix que celui de collaborer avec les autorités. En effet, avec le succès croissant des jeux vidéo, beaucoup d'entreprises étrangères ont cherché à investir dans des compagnies chinoises pour acquérir une part de ce marché prometteur. Cela peut s'expliquer par le fait que la Chine craigne de perdre le contrôle et que les entreprises étrangères affectent les entreprises chinoises. La majorité des compagnies de jeu vidéo les plus populaires ont créé des partenariats et des accords opérationnels avec les entreprises chinoises. - Marketing to China
Effectivement, les exemples cités sont assez parlants : World of Warcraft de Blizzard est géré par NetEase, Nintendo distribue ses jeux via un partenariat avec Tencent, tout comme PUBG, qui a d'ailleurs été renommé Game for Peace. Quoi qu'il en soit, il est encore difficile de savoir dans quelle mesure ces nouvelles restrictions seront prises en compte par le monde du jeu vidéo et de quelle manière, le cas échéant, elles impacteront la liberté de ton employée dans le média.
Je ne peux pas dire avec certitude de quelle manière ces restrictions impacteront le jeu vidéo occidental, mais si je pense qu'il est raisonnable de les comparer avec d'autres formes de divertissement et plus particulièrement les films. Les métrages d'Hollywood sont aujourd'hui créés avec le marché chinois en tête, alors les studios savent bien qu'ils doivent travailler avec les régulateurs plutôt que de les ignorer. Je ne vais pas spéculer sur comment et dans quelle mesure les jeux seront adossés aux desiderata de Pékin, ça dépend des jeux et des situations, mais en général, tu peux comparer les jeux aux films. La Chine renforce la régulation des jeux de la même manière qu'ils le font avec les films et les séries télévisées. - Josh Ye, journaliste au South China Morning Post