Début des années 1990, quartier de Haneda, Tokyo. Alors que la Mega Drive entame sa deuxième année japonaise et qu’elle est déjà présente sur le territoire américain, le président de l’entreprise, Hayao Nakayama, veut profiter de son avance sur Nintendo. Après concertation avec Isao Okawa, fondateur de CSK Corporation, l’actionnaire principal de SEGA, Nakayama décide de lancer un grand concours auprès de ses employés afin de créer une icône capable de supplanter l’infernal moustachu de la concurrence. La maison-mère et toutes les branches occidentales y participent et chaque artiste (mais pas uniquement) tente, à sa manière, de séduire le patron. Un mois plus tard, ce sont près de deux cent croquis qui trônent sur le bureau de Nakayama. Et c’est un designer de 26 ans, Naoto Ōshima, qui va tirer son… épine du jeu.
Pour quiconque s’intéresse à SEGA, Naoto Ōshima n’a rien d’un inconnu. Né le 26 février 1964 à Osaka, il a grandi en lisant les bandes dessinées d’Akira Toriyama (le créateur de Dr. Slump et Dragon Ball) et a toujours eu une attirance pour les cultures occidentales. Féru de comics de super-héros, mais aussi d’artistes comme Michael Jackson, il entre chez SEGA en 1987 et participe à la création des ennemis de Phantasy Star. D’un tempérament discret, l’intéressé saisit les opportunités qui s’offrent à lui, quitte à défier les règles établies par sa hiérarchie. Dans l’ouvrage L’Histoire de Sonic paru aux Éditions Pix’n Love, il admet :
Bien que Phantasy Star ait été mon seul boulot officiel, j’ai aussi collaboré à d’autres projets sans le consentement de mon superviseur. C’est ainsi que j’ai acquis de l’expérience et que j’ai pu commencer à avancer sur mes propres projets.
En cumulant des travaux de jour comme de nuit, Naoto Ōshima finit par se faire repérer par son supérieur hiérarchique et reçoit l’ordre de ne travailler que sur des projets officiels. Cet évènement, et ce qui va suivre, vont avoir un impact sur la carrière du designer et son tempérament de fonceur. Le Japonais apprend que sa direction met en place un concours de dessins et se lance, à son tour, dans ce challenge :
J’ai donc développé différentes approches, mais qui ont toutes été rejetées par mon superviseur.
Naoto Ōshima comprend que la personne qui l’encadre (ou pas, justement) fait tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il décide alors de faire appel à l’une des pontes de l’entreprise : Yūji Naka. Entré en 1984 chez SEGA (en même temps qu’un certain Yu Suzuki) et programmeur de nombreux jeux à succès, il est en train de terminer le portage Mega Drive de Ghouls'n Ghosts (le hit arcade de Capcom) lorsqu’il reçoit la requête d’Ōshima. Ce dernier se souvient :
À l’époque, Naka-san venait juste de terminer son dernier projet, donc je lui ai simplement demandé s’il était d’accord pour créer un concept de jeu avec moi. Il a gentiment accepté et m’a lancé « Ok, faisons-ça ensemble ! »
Lorsque l’on parle de la création de Sonic, on pense bien évidemment à ce fameux concours de dessins lancé en interne. S’il est vrai qu’il est à la base de la conception de la mascotte, sa portée fut toutefois très limitée. En effet, on relie souvent ce concours à certains croquis, comme le bulldog, le vieil homme moustachu ou encore le loup à la Tex Avery, mais en réalité, SEGA a également hésité entre un lapin (comme on le verra juste après), un tatou, un porc-épic et même un panda. Il est difficile de tracer la chronologie exacte des évènements, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’entrée de Yūji Naka (qui avait déjà un certain poids dans les décisions) dans le processus a quasiment rendu caduque le concours. Naoto Ōshima avait déjà travaillé avec Yūji Naka (notamment, sur
Phantasy Star), les deux hommes se connaissaient et chacun respectait le talent de l’autre. Face à un tel duo, les autres employés n’avaient pratiquement aucune chance (en interne, ça circulait d’ailleurs en sourdine). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le vieil homme moustachu, inspiré de Theodore Roosevelt, l’ancien président des États-Unis, qui est devenu Eggman – ou Dr. Robotnik au départ – était une illustration de… Naoto Ōshima. Dès lors, on comprend que le concours était un mouvement important au sein de l’entreprise (et c’est pour cette raison qu’il a encore cet écho historique), mais on devine qu’il n’a finalement pas servi à grand-chose, si ce n’est pour les futurs membres de la Sonic Team. Bien évidemment, cela n’enlève rien à la réussite et au formidable travail de l’équipe derrière le jeu.
L’IVRESSE DE LA VITESSE
Alors que les discussions débutent entre les deux hommes, Yūji Naka a déjà une idée de la direction qu’il souhaite suivre. Il vient de terminer l’adaptation de Ghouls’n Ghost sur Mega Drive et le rythme du titre de Capcom – tout comme celui de Super Mario Bros.– lui pose problème. Grand amateur de bolides et de vitesse, il a un but :
Le déplacement très « souple » des « maps » était inédit. Je souhaitais donc reproduire cet effet, mais en réalisant quelque chose de plus rapide, de plus dynamique. Ghouls’n Ghost était un peu trop lent. J’aime ce qui va vite. Je pensais que développer un jeu rapide était à l’époque une donnée importante. N’oublions pas qu’il n’y avait pas de système de sauvegarde. Dès que vous jouiez, il fallait être au top. Nous pensions alors que le challenge qui permettait de finir un niveau plus rapidement était suffisamment intéressant pour que le joueur se sente récompensé au fur et à mesure de sa progression. Si je n’avais pas fait le portage de Ghouls’n Ghost, le jeu Sonic n’aurait jamais existé.
Cette dernière phrase est forte, mais elle a son explication. Concrètement, Ghouls’n Ghost (sur Mega Drive) repose sur un système de blocs (chaque « map » étant constituée de plusieurs blocs). Ce que Yūji Naka souhaite avec ce nouveau jeu, c’est supprimer le principe des blocs « solitaires » pour créer un mouvement ultra rapide. Autrement dit, avoir un scrolling d’une fluidité parfaite qui impose un rythme frénétique au joueur. C’est avec cette idée en tête que débute la réflexion. Mais, à cet instant précis, il manque un élément essentiel : le personnage principal.
ENCORE UN LAPIN (sur l’air de la chanson de Goldman)
Il ne faut pas imaginer que Naoto Ōshima pense aussitôt à un hérisson. Il a bien envoyé différents croquis à la direction de SEGA (voir encadré plus haut), mais sa vision du moment consiste à exploiter un petit lapin. Avec ses deux oreilles, le léporidé peut attraper des objets et les lancer sur ses ennemis, mais le concept ne fonctionne pas avec le concept de vitesse de Yūji Naka. Plusieurs tests sont effectués pour tenter de résoudre le problème, mais Yūji Naka estime que le rythme est trop haché et il souhaite que son jeu soit jouable avec un seul et unique bouton. Il faut changer de personnage ! Mais quoi ?
C’est à cette période qu’un certain Hirokazu Yasuhara rejoint le duo. Après une expérience remarquée sur Altered Beast en arcade, il est chargé de superviser le jeu, mais aussi de créer les niveaux. C’est véritablement sous son impulsion que le projet trouve la bonne direction. Dans une interview accordée à Gamasutra, il explique :
Au tout début, le staff du jeu était uniquement composé de Naka et Ōshima, avant que je ne les rejoigne. La principale chose que Naka avait imaginée à l’époque était un moteur de jeu qui défilait vite, très vite – le problème, après cela, c’était de trouver quel genre de jeu on pouvait faire avec ça. Naka était vraiment catégorique à l’idée d’utiliser un seul bouton, puisque Mario en avait besoin de deux – sauter, courir ou attaquer. Avec un seul bouton, on ne pouvait donc que sauter et ma réponse a été de trouver un moyen pour que le joueur puisse attaquer en même temps. Notre personnage avait donc besoin d’un moyen pour infliger des dégâts simplement en sautant et, à partir de là, nous avons eu l’idée qu’il devait être capable de se mettre en boule dans les airs. Je pense que c’est comme ça que nous avons commencé.
En partant de ce postulat, le trio – qui sera bientôt appelé la Sonic Team – réfléchit à différents personnages. Naoto Ōshima imagine une souris, un chat, un panda, mais aucun ne convient. C’est alors que vient l’idée du… tatou. L’animal est capable de se mettre en boule et il a donc toute sa place dans ce jeu. Pourtant, le staff n’est pas convaincu par l’idée et ils vont alors avoir une illumination. Hirokazu Yasuhara, pour répondre au concept de vitesse de Yūji Naka, estime qu’il faut un personnage capable d’attaquer en sautant. Quoi de mieux qu’un hérisson, dont le corps est couvert de pics, pour résoudre tous les problèmes ? L’équipe réfléchit longuement et choisit finalement le hérisson en lieu et place du tatou. Non seulement l’animal est adapté au concept du jeu, mais en plus, il apporte un paradoxe rigolo entre la vitesse et sa nature même, qui est d’être une créature lente. Naka, Ōshima et Yasuhara sont désormais convaincus de tenir leur avatar. Et le hasard va bien faire les choses…
MR. HARINEZUMI
Il s’avère que Naoto Ōshima, l’illustrateur du trio, a pris l’habitude, de dessiner un petit hérisson qu’il surnomme Mr. Harinezumi (concrètement le rongeur à pics) ou, en anglais, Mr. Needlemouse. Avec sa petite frimousse et sa rangée de pics, il séduit les intéressés. Ōshima obtenant l’aval de ses partenaires, il reprend son croquis et le retravaille entièrement. Mr. Harinezumi se voit doté de traits plus marqués, d’un look plus racé et d’un corps plus symbolique. SEGA veut un personnage qui marque l’industrie et qui représente la marque. Ōshima estime que son héros doit être facilement identifiable tout en étant facile à dessiner pour les enfants. Voilà pourquoi il va modeler sa création en lui mettant... la tête de Félix le chat sur le corps de Mickey Mouse ! Initialement appelé Supersonic, le hérisson devient Sonic. Et pour la petite histoire, à l’origine, il était d’un bleu plus clair que celui à quoi nous nous sommes habitués. En effet, au départ, le staff a choisi un bleu plus pâle, mais le personnage se confondait avec le lac en arrière-plan du décor Green Hill Zone.
Une transition toute trouvée pour parler des environnements.
INSPIRATIONS ET LOOPINGS
À ce stade, SEGA détient enfin son personnage, mais il reste tout à faire. L’équipe décide de reprendre les travaux du jeu « avec le lapin » afin de les améliorer. C’est Hirokazu Yasuhara qui se penche sur les environnements pendant que Yūji Naka, le programmeur émérite, élabore un algorithme très poussé afin de permettre à la Mega Drive d’afficher une animation ultra-rapide. Il faut bien comprendre que la console, malgré sa puissance du moment, n’est absolument pas faite pour supporter un tel « choc ». C’est donc un véritable exploit qu’accomplit Naka.
De son côté, Hirokazu Yasuhara a désormais une base plus solide pour travailler. Le hérisson peut rouler, bondir, attaquer en sautant, mais aussi et surtout traverser les niveaux à vive allure. En l’état, Sonic ressemble à une boule de flipper ! Partant de ce constat, il décide d’intégrer des éléments privilégiant le spectacle et la vitesse : des loopings, des ressorts et des bumpers ! En choisissant cette approche, le but du Japonais est limpide : il veut faire de Sonic un jeu qui soit à la fois accessible aux joueurs occasionnels tout en fournissant du challenge aux adeptes du pad.
Les Occidentaux préfèrent les jeux proposant un gameplay profond et un fun instantané, tandis que nous-autres, Japonais, les aimons simplifiés.
Le peuple nippon aime être guidé. C’est ce qui explique pourquoi, dans sa version japonaise, un jeu comme Crash Bandicoot (qui arrivera plus tard) est bardé de tutoriaux, à l’inverse de sa mouture occidentale. Quoiqu’il en soit, croquis après croquis, le monde de Sonic se dessine. Le level design est spectaculaire et sied à merveille au hérisson. Mais de tous les niveaux, Green Hill Zone, qui est le tout premier de l’aventure, est celui qui donne le plus de fil à retordre.
Pourquoi ? La raison est simple. Il est celui qui sert de découverte au joueur et il est emblématique avec ses palmiers, son sol en damiers et ses totems. Yūji Naka, Naoto Ōshima et Hirokazu Yasuhara souhaitent que ce premier niveau soit à la mesure du personnage, censé amener SEGA vers une nouvelle étape. Et quoi de mieux que la 3D pour symboliser cette montée en puissance ? La Mega Drive n’étant pas capable de supporter de tels graphismes, le trio décide de jouer avec les codes de l’informatique pour réaliser cette première zone. Ainsi, le damier du sol matérialise l’affichage de la 3D sur les ordinateurs du moment tandis que tous les autres éléments (fleurs, palmiers, montagnes en arrière-plan, totems, buissons…) ont un look polygonal. À une époque où les décors sont assez plats, Green Hill Zone est un véritable choc visuel ! Et ce n’est pas un hasard si c’est le niveau qui va être le plus modifié, repensé et réadapté. Chaque section de ce premier stage est ainsi pensée pour que le joueur apprendre à appréhender la vélocité du personnage. Cette débauche d’effets techniques est aussi prise très au sérieux pour une autre raison, comme l’indique Hirokazu Yasuhara :
Pendant le développement de Sonic, nous épluchions chacune des informations relayées par le magazine Famitsu à propos de la Super Famicom, la future console de Nintendo. Tout était étudié pour ne commettre aucune erreur. (Rires)
Michael Katz était le président de SEGA of America lorsqu’il a entendu parler pour la première fois du hérisson imaginé par les Japonais. Sans détour, il reconnaît que tout cela lui paraissait ridicule. Pour lui et pour bon nombre d’observateurs américains, le hérisson était symbole de lenteur, mais le fait qu’il soit de couleur bleu était encore plus stupide. Mark Cerny, l’ingénieur en chef de la PlayStation 4 et 5, a travaillé pour SEGA (à la fois au Japon et aux États-Unis) et il se souvient que les chefs américains de sa section étaient abasourdis et qu’ils ont même envisagé, à un moment, de faire appel à un artiste local de comics pour créer un autre personnage. Cerny, en découvrant cela, était stupéfait et il a été soulagé lorsqu’il a appris qu’ils n’étaient pas allés au bout de leurs intentions.
AU BORD DE L'INCIDENT DIPLOMATIQUE
Alors que SEGA avance sur le développement de Sonic, la branche américaine est en pleine restructuration. Dirigée par Michael Katz pendant un peu plus d’un an, elle vient de passer dans les mains de Thomas (dit Tom) Kalinske. Fort d’une carrière remarquée chez Mattel, il a été longuement pisté par Hayao Nakayama, le président de SEGA, et a pour mission de redorer l’image de la marque. Après un audit de plusieurs semaines, celui a qui on a donné les pleins pouvoirs se rend au Japon et fait face à dix-huit Japonais qui le dévisagent pour le déstabiliser. Sans se démonter, l’Américain défie du regard le Conseil d’administration de l’entreprise nippone et détaille son plan.
Dans la série de documentaires High Score disponible sur Netflix, ce dernier relate :
Les Japonais nous avaient donné pour consigne d’écouler un million d’unités. Or, à l’époque, on avait vendu que 70 000 Genesis, alors atteindre le million n’allait pas être chose aisée. J’ai exposé mon plan aux Japonais. On était dans la salle de décisions et mes interlocuteurs ne parlaient pas ma langue. J’ai dû convaincre le conseil d’administration du bien fondé de mon plan. J’ai expliqué ma stratégie au conseil d’administration. Et ça s’est mal passé. Hayao Nakayama s’est levé et a renversé une chaise. Mes idées ne lui plaisaient pas et il s’est levé pour partir. Je me suis dit que j’allais avoir la carrière la plus courte au monde. Il allait me planter là devant le conseil et, tout à coup, il s’est ravisé et il m’a dit qu’il m’avait engagé pour diriger la branche nord-américaine. C’était donc à moi de prendre ces décisions. Il ne me restait qu’à me mettre au travail.
Si les Japonais sont choqués par la proposition de Kalinske, c’est parce que le président de SEGA of America vient de leur annoncer son intention de proposer, en bundle, la console Mega Drive avec le jeu Sonic (encore en préparation au moment de la réunion). Il sait que ce titre est le futur porte-étendard de la marque. Mais pour frapper encore plus tard, l’intéressé demande également à ce que le prix de la machine passe de 189 dollars à… 149. Un premier incident diplomatique a été évité de justesse. Quant au second…
Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi le logo Sonic représente deux ailes avec un anneau. L’artiste Naoto Ōshima a donné l’explication que très récemment. Il a toujours été attiré par les histoires héroïques des pilotes d’avion et pendant qu’il dessinait, il a inventé un petit scénario relatant comment un pilote d’avion, marié à une autrice de romans, a gagné en popularité en participant à des missions périlleuses. Là où le hasard fait bien les choses, c’est qu’il a prénommé son héros « Hedgehog » (hérisson) en raison de ses cheveux en bataille causés par les vols répétés. Quand il a créé Sonic et que le personnage a été validé, il a trouvé le lien si amusant, avec le Hedgehog du titre du jeu, qu’il a glissé un clin d’œil dans le logo. Voilà pourquoi Sonic est entouré de deux ailes. Rigolo, non ?
FEMME DES ANNÉES 80
Lorsqu’on pense au premier épisode de Sonic, on fait forcément un lien avec ce satané Dr. Robotnik (devenu définitivement Eggman par la suite) qui s’empare des animaux pour les transformer en robots. On sait désormais que cet antagoniste est né sous les traits de Naoto Ōshima et qu’il faisait partie de la liste des illustrations retenues par la direction de SEGA. Mais bon, un moustachu, la concurrence en avait déjà un et il fallait un héros plus charismatique. En revanche, dans le cadre du grand méchant de l’histoire, ce personnage convenait à merveille. Pourtant, à l’origine, il n’était absolument pas dans les plans du trio japonais. Quand Naoto Ōshima a dessiné celui qui deviendra Sonic, il a développé un petit scénario… qui n’avait strictement rien à voir avec le filigrane écologique qui recouvre la première aventure. En effet, le hérisson était rebelle, avait des dents acérées et il était… membre d’un groupe de musique ! Mais surtout, il est le petit ami d’une certaine Madonna !
Lorsque j’ai présenté les premiers designs de Sonic, tout le monde pensait qu’il avait l’air mignon et jeune comme un enfant. Je n’étais pas d’accord avec ceci. Pour moi, Sonic était un peu plus mature que cela. C’est pour cette raison que je lui ai donné une personnalité adulte, intégré dans un groupe de musique et donné une petite copine humaine.
Le hic, c’est que la bien-nommée Madonna est une copie carbone (façon cartoon) de la véritable Reine de la pop des années 80 ! En découvrant cela, les pontes de SEGA of America sont horrifiés et prennent la situation très au sérieux ! Si rien n’est fait, l’impact médiatique et juridique peut être très négatif pour la firme. Pour convaincre les Japonais de modifier le scénario, la productrice Madeline Schroeder, qui a toute la confiance de Tom Kalinske, prend l’avion et se rend à Haneda. Bien qu’elle craigne la réaction des principaux intéressés, elle ne se défile pas et explique le bien fondé des changements désirés par SEGA of America. Sur place, les Japonais font preuve de compréhension, mais seulement en apparence. Au fond d’eux, ils ne supportent pas que la branche américaine vienne interférer de la sorte.
Après coup, Yūji Naka reconnaîtra toutefois :
Pour tout vous avouer, j’ai détesté la décision de la division américaine et je me suis dit que les joueurs perdaient quelque chose. Mais, avec du recul, ce changement réclamé par SEGA of America est l’une des raisons qui a fait que Sonic the Hedgehog a été un grand succès.
C’est en effet la branche US, conscient du changement qu’elle imposait aux développeurs nippons, qui a fait en sorte de travailler main dans la main avec eux pour que le scénario soit remodelé. Ils ont ainsi pu réécrire l’histoire et l’adapter avec ce Dr. Robotnik, avide de pouvoir, qui kidnappe les animaux pour en faire des robots acquis à sa cause.
Pour mettre en musique ce premier épisode de Sonic, SEGA a fait appel à un groupe populaire à l’époque au Japon : Dreams come true. Fondé en 1988, il est composé de la chanteuse Miwa Yoshida, du claviériste Takahiro Nishikawa et du leader et bassiste Masato Nakamura. C’est ce dernier qui est contacté par la direction de SEGA pour réaliser les thèmes musicaux du jeu. Convaincu du potentiel d’une telle production, capable à ses yeux de supplanter Mario, Nakamura se lance dans ce challenge d’un genre nouveau pour lui. Bien évidemment, la période d’apprentissage dure un certain temps car le musicien doit s’adapter au chip sonore de la console et créer des musiques composées uniquement de 4 sons (une basse, deux accords et une mélodie). Tout en négociant l’écriture et la création d’un album du groupe, Masato Nakamura réalise des musiques fantastiques ! L’homme avouera même qu’il a dû compter sur sa chanteuse, joueuse émérite, pour découvrir tous les niveaux et ainsi écouter la totalité de ses mélodies. Pour la version 8-bits (Master System / Game Gear), Yuzo Koshiro reprendra le thème principal signé par Dreams Come True en l’adaptant de façon remarquable.
UNE ARRIVÉE EN GRANDES POMPES
Sonic the Hedgehog, alors en développement, est présenté pour la première fois au salon international du jouet en juin 1990 (Tokyo Toy Show). Les visiteurs découvrent un jeu plutôt sympathique, mais le rendu est encore assez terne et la presse locale ne s’émeut guère de la présence du hérisson. Les développeurs vont finalement mettre le bleu de chauffe et c’est finalement le 23 juin 1991 que le hérisson va débarquer dans les étals américains. Comme pour marquer l’importance du titre pour l’internationalisation de SEGA, Sonic the Hedgehog arrive plus d’un mois en avance au Pays de l'Oncle Sam par rapport au Japon qui, lui, est servi le 26 juilllet (et le même mois en Europe). Malgré tous les doutes et les difficultés, le personnage et sa première aventure deviennent un phénomène, mais la victoire a tout de même un petit goût amer pour Yūji Naka. Ce dernier s’est fait houspiller durant toute la production du jeu (retards sur le planning prévu, changement de directions, etc.) et il a du mal à encaisser. Par la suite, estimant n’avoir pas été récompensé à sa juste valeur, il finira par quitter SEGA Japon pour se rendre aux États-Unis afin de travailler sur Sonic the Hedgehog 2 avec le studio américain de Mark Cerny, SEGA Technical Institute. Hirokazu Yasuhara, sur conseils de son bon ami, en fera de même. Quant à Naoto Ōshima, il sera retenu par SEGA (car il était aussi intéressé pour rejoindre ses compères) et travaillera sur Sonic CD.
En ce 23 juin 1991, Sonic fête ses trente ans et on ne peut pas dire que le personnage, bien qu’auréolé d’un succès stratosphérique à ses débuts, n’ait été épargné par les décisions de SEGA. Mais en dépit de quelques ratés (car les jeux restent globalement de qualité, n’en déplaise à ses détracteurs), Sonic conserve une communauté de fans très forte dans le monde. On a pu le voir avec le film de Jeff Fowler qui en récolté, en 2020, près 307 millions de dollars de recettes à travers la planète. Les yeux sont désormais rivés sur l'épisode inédit, actuellement en préparation chez SEGA Japon, et qui pourrait se dérouler en monde ouvert pour la toute première fois. Le hérisson bleu n'a pas fini d'écrire son Histoire, espérons que les pages de ce nouveau chapitre soient belles et intéressantes.
Alors que Sonic the Hedgehog est en développement sur Mega Drive, SEGA décide de réaliser un portage du jeu sur Master System et Game Gear. Soucieux de ne pas donner cette adaptation à n'importe qui, Hayao Nakayama fait appel à Yuzo Koshiro, compositeur de talent ayant déjà collaboré sur de précédents titres de SEGA. Le jeune homme, qui peut compter sur le soutien de sa soeur Ayano, une talentueuse artiste, est intéressé par la proposition, mais un problème d'envergure se pose. Il est en effet freelance et SEGA ne peut se résoudre, sur un plan d'ordre juridique et contractuel, à donner un tel projet à un travailleur indépendant. Pour ne pas laisser filer l'opportunité, Yuzo Koshiro décide de se tourner vers sa mère, pianiste de profession, afin de monter une structure juridiquement solide. Il fonde ainsi avec sa maman le studio Ancient et embauche sa soeur Ayano ainsi que quelques autres employés. Le résultat, pour Sonic the Hedgehog sur 8-bits, est époustouflant. Moins porté sur la vitesse, le jeu est une ode à l'exploration avec des niveaux et musiques inédites. Un chef d'oeuvre qui deviendra l'une des meilleures ventes, que ce soit sur Master System ou Game Gear.
Encore bon anniversaire "Mr. Harinezumi !"
SOURCES :
- L’Histoire de Sonic – Éditions Pix’n Love
- The History of Sonic
– Polygon
- Page Wikipedia anglaise de Sonic
- The Making of Sonic the Hedgehog
– Inspirations
- The Birth of an Icon
: Sonic
- Discussions diverses avec d'anciens développeurs de SEGA