Après des mois d’attente, le procès qui oppose Apple et Epic s’ouvre enfin. L’enjeu est considérable. Si la firme de Tim Sweeney l’emporte, elle pourrait bousculer la fameuse commission de 30% appliquée par le fabricant d’iPhone sur son store, voire imposer sa propre boutique sur iOS. Une brèche qui ouvrirait aussi la voie à de nombreuses entreprises de la tech. On vous explique les enjeux de cette affaire.
Pour ce 4 mai dédié au pouvoir de la Force sur la planète Star Wars, deux géants s’affrontent dans une bataille aussi explosive que la Guerre des Etoiles. Hier, le procès opposant Apple à Epic Games s’est enfin ouvert. La firme, à l’origine du battle royale Fortnite, dénonce une “taxe tyrannique” trop élevée de la société à la pomme, qui lui remplit copieusement les poches à travers sa boutique en ligne, l’App Store. Plus clairement, Epic condamne la commission de 30% - réduite à 15% pour les entreprises qui génèrent moins d’un million de dollars par an - encaissée par Apple à la moindre vente d’application ou achats “in app” (directement intégrés aux logiciels) sur son store. De son côté, Google applique des règles identiques sur Android. Epic et la firme au célèbre moteur de recherche feront d’ailleurs l’objet d’un second procès, pour les mêmes raisons que celles invoquées aujourd’hui, contre le fabricant d’iPhone.
Le procès s’ouvre à peine, mais voilà des mois que Tim Sweeney, PDG d’Epic Games, pointe publiquement du doigt la politique de la marque à la pomme. En juin dernier, l’homme évoque le "monopole absolu” d’Apple à l’égard de sa propre boutique. Sur l’App Store, la société est à la fois “juge et partie” résume CNews : “elle fixe les règles, prend des commissions sur les transactions, et propose en même temps ses propres applications”. Un statut tout-puissant souvent dénoncé. Encore récemment, l’Union européenne accusait Apple de pratiques anticoncurrentielles suite à une plainte déposée par Spotify. En parallèle, Tim Sweeney a fondé une coalition qui plaide pour plus d’équité sur les boutiques comme l’App Store et le Play Store. D’autres entreprises de la tech l’ont rejoint. Pour celles-ci, les plateformes de vente sur iOS et Android représentent un enjeu important : il y aurait aujourd’hui 1 milliard d’utilisateurs d’iPhone dans le monde.
Cheval de Troie
Dans ce combat de longue haleine, Epic apparaît comme une sorte de cheval de Troie, doublé d’un chevalier blanc : la firme semble prête à tout pour combattre la politique des GAFAM, quitte à jouer gros. En juillet dernier, Epic Games déploie une mise à jour pour la version Android et iOS de Fortnite, dans le but de contourner frontalement la commission de 30% imposée par Google et Apple. Au moindre achat (skins, monnaie virtuelle), les joueurs étaient redirigés vers le site d’Epic, bénéficiant même d’une réduction de 20%.
À partir de là, tout s’accélère. Apple retire Fortnite de l’App Store (les joueurs l’ayant déjà téléchargé y ont alors toujours accès), et Epic dépose plainte le jour même. Google suit le mouvement, bien que le titre reste disponible sur Android via navigateur. Puis, dans un geste très symbolique, la firme Tim Sweeney dégaine une parodie d’une célèbre publicité de la firme à la pomme, 1984. La vidéo se termine sur un message sans équivoque : “Epic Games a défié le monopole de l’App Store. En représailles, Apple bloque l’accès de Fortnite à un milliard d’appareils. Rejoignez le combat pour empêcher 2020 de devenir 1984 (en référence au roman dystopique de Georges Orwell, ndlr)”. En guise de point final, un hashtag : #FreeFortnite.
"Libérez Fortnite"
Un hashtag qui a encouragé de nombreux joueurs à s’exprimer l’an dernier, et qui a résonné dans l’enceinte même du tribunal où se déroule le procès entre Apple et Epic. Il est en effet possible d’assister à l’affaire via une ligne publique, mais à cause d’une petite erreur technique, le micro de 200 spectateurs est resté ouvert pendant vingt minutes, comme l’affirme The Verge. Assez de temps pour laisser s'échapper des “libérez Fornite”, “ramenez le jeu sur mobile s’il vous plaît” ou encore la voix de Travis Scott, artiste qui a tenu un concert impressionnant dans le jeu, en avril dernier. Un coup d'envoi particulier pour un procès qui l’est tout autant, où le PDG d’Apple, Tim Cook, viendra directement témoigner dans les prochaines semaines.
Tim Sweeney, quant à lui, s’est d’ores et déjà exprimé dans le cadre de l’affaire. Comme le rapporte le New York Times, le PDG a entre autres rappelé que son action en justice vise à montrer “les conséquences de la politique d’Apple”. Une politique que l'avocate d’Epic Games, Katherine Forrest, a qualifié d’emblée de “jardin clos” (“walled garden”). D’après elle, les consommateurs et développeurs sur iOS sont pris au piège depuis l’intérieur, obligés à utiliser le système de paiement de la firme de Tim Cook. L’avocate s’appuie sur une série de mails échangés entre différents dirigeants d’Apple. De son côté, la défense d’Apple - réputée comme particulièrement redoutable - affirme que la commission de 30% est cohérente avec les standards de l’industrie (notamment sur le Play Store de Google). Selon la société, l’argent permet d’assurer le bon fonctionnement de l’App Store ainsi que la sécurité des utilisateurs.
Fin de saison
Le procès promet évidemment d’autres moments forts, et les premiers documents qui en sont issus circulent déjà sur la toile. Nous connaissons désormais les sommes astronomiques que Epic est prêt à dépenser pour offrir des jeux à ses utilisateurs, ou encore combien de milliards a généré Fortnite entre 2018 et 2019. Mais c’est bien le dénouement de l’affaire qui est le plus attendu. Comme le rappel le New York Times, si la firme de Tim Sweeney l’emporte, cela bouleversera une économie d’applications de 100 milliards de dollars, évitant à des millions d’entreprises et développeurs de reverser 30% de leurs ventes à Apple. À l’inverse, si c’est la société à la pomme qui ressort gagnante, son statut de monopole sera renforcé. La procès devrait durer trois semaines. Nous devrions avoir une réponse d'ici là.