Devenus populaires auprès d’un public initié par des titres comme Rogue Legacy ou The Binding of Isaac au début des années 2010, les héritiers de Rogue n’ont fait que se multiplier. Renouant quelque peu avec le challenge et la mort punitive de l’arcade, le genre et ses systèmes de jeu se frayent un chemin jusque dans les productions à gros budget. La prochaine exclusivité Sony, Returnal, intègre des éléments de Roguelite à son expérience de jeu. Mais quelles caractéristiques se cachent derrière ces noms barbares et quelle est la différence entre Roguelite et Roguelike ?
Une référence qui crée un genre
Dans Rogue, sorti en 1980 sur Unix, le joueur doit parcourir des dédales tortueux pour récupérer une amulette. Il prend part à des affrontements au tour par tour et récupère des objets dont l’apparition et les statistiques changent à chaque partie. Il ne dispose que d’une seule vie et chaque partie est différente grâce à une génération aléatoire des niveaux traversés. Ces derniers sont composés de salles représentées par de symboles textuels. S’il faut utiliser son imagination pour interpréter les différents symboles constituant les donjons, cela n'a pas empêché la solidité de ses systèmes de jeu d'en faire un titre très populaire qui sera porté sur de nombreux autres supports. La relative simplicité de son code rend le portage et l'adaptation à un autre système très simple et c’est très rapidement que de nouvelles versions du jeu et des expériences directement inspirées de ces mécaniques redoutables voient le jour.
Des variantes comme Hack et Moria sont donc créées et reprennent le concept tout en y ajoutant quelques idées pour améliorer la formule. Moria ajoute une ville de départ permettant au joueur de faire des emplettes et Hack implémente un système de Seed, permettant de sauvegarder la génération aléatoire d’une partie. Le genre du Roguelike se pérennise sur plus de dix ans et différentes licences naissent autour du concept. Certains associent un univers d’une licence détenue par l’éditeur en charge du projet, d’autres ajoutent des fonctionnalités mais il faudra attendre les années 2000 pour voir la scène indépendante se réapproprier le code du genre pour créer le Roguelite.
Ce qui caractérise un Roguelite, c’est qu’il comprend des éléments de Rogue sans en être un successeur direct. Les “vrais Roguelikes” sont méconnus du grand public. Les jeux les plus populaires que l’on associe généralement à ces genres sont pratiquement tous des Roguelites. The Binding of Isaac permet de débloquer de nouveaux personnages et objets au fil de parties, Hades met la narration au centre de sa progression, FTL : Faster than Light présente régulièrement de nouvelles espèces et types de vaisseaux… Autant d'expériences qui arborent des rendus visuels différents, des gameplays aux antipodes du jeu original et des récompenses qui renouvèlent régulièrement l'expérience de jeu ou qui facilitent la progression à mesure que les parties s’enchainent.
Une définition stricte qui a fait son temps ?
Un “vrai Roguelike” ressemble comme deux gouttes d’eau à Rogue. Ainsi, le site RogueBasin, qui se veut être une encyclopédie communautaire dédiée au genre, présente une définition stricte, voire conservatrice, nommée “Interprétation de Berlin”. Disponible à cette adresse, elle a été rédigée en 2008 par les participants de l’International Roguelike Development Conference qui se tenait cette année-là, et voici la définition simplifiée qui se trouve en page d'accueil de RogueBasin.com :
“Un Roguelike est généralement décrit comme un jeu informatique au tour par tour avec une forte emphase sur un gameplay complexe et la rejouabilité, se déroulant dans un monde abstrait utilisant une interface ASCII et non des graphismes en 3D. Bien sûr, comme pour tous les genres, il existe des exceptions à cette norme.
Les Roguelikes autorisent le joueur à prendre autant de temps qu’il le désire pour faire un mouvement, rendant le gameplay plus comparable aux échecs qu’à un jeu basé sur les réflexes comme un FPS. Étant donné que les graphismes sont limités (si pas complètement inexistants), l’imagination du joueur doit entrer en jeu - le gameplay équivaut plus à lire un livre qu’à regarder un film.
Évidemment, la meilleure manière de comprendre ce qu’est le Roguelike, c’est d’en télécharger un et d’y jouer.”
Les jeux vers lesquels renvoient ce site sont donc rudimentaires, austères et profondément ancrés dans l’héritage de Rogue. Cette définition est régulièrement au coeur de discussions animées et nombreuses sont les personnes à vivement la contester et à vouloir l'élargir afin qu’elle corresponde à des titres plus actuels. Ceux-là voudraient alors que tous les jeux présentant des environnements générés aléatoirement, une mort permanente et une absence de progression entre les parties soient appelés Roguelike. Son usage serait alors beaucoup plus courant, bien que leur nombre reste restreint. Ce débat atteint des extrêmes que l’on pourra aisément qualifier d’absurdes, comme l’existence du terme Roguelike-Like qui sert parfois à définir ces jeux.
C’est un sujet complexe et la qualification du genre reste sujette à débat. Toutefois, un mot gagne l’usage qu’on lui donne. For The King, par exemple, se qualifie de mélange entre Roguelike et jeu de plateau. Ce qui est évidemment faux selon l'interpretation de Berlin, limitant l’usage du terme aux jeux fonctionnant sous une interface ASCII. Nous ne sommes pas à l’abri de voir cette appellation évoluer ou de voir le mot remplacé. Après tout, l’expression Doom-Like a bien été abandonnée au profit de "FPS" lorsque le genre s’est démocratisé. GTA-Like s’est transformé en “Jeu en monde ouvert”. Pour plus de clarté et d’accessibilité, il serait intéressant que développeurs, joueurs et rédacteurs s’alignent pour offrir un terme en adéquation avec le marché du jeu vidéo moderne. Quoi qu’il en soit, sachez que la plupart des titres atteignant le grand public disposant d’une de ces étiquettes sont des Roguelites, car ils comportent seulement des éléments de Rogue. Si l'on fait fi de l'interprétation de Berlin, les Roguelikes deviennent alors des jeux repondant aux mêmes caractéristiques et où le joueur ne progresse pas entre les parties et où chacune d'entre elle représente une fin en elle-même et non une étape à une aventure plus large. Avouons-le, c'est tout de même plus pratique.