En 2014, la firme sud-coréenne Com2us lançait son nouveau poulain dans la course au marché mobile : Summoners War. Sept ans plus tard, ce jeu de stratégie au tour par tour comptabilise plus de 150 millions de téléchargements à travers le monde, pour un total de 2 milliards de dollars de revenus. Un succès fulgurant qui lui permet de se placer dans les rangs de blockbusters tels que Candy Crush Soda Saga (2 milliards de dollars) ou Roblox Mobile (2,2 milliards de dollars) sur le plan purement commercial. Avec un marché mobile extrêmement concurrentiel, comment une app peut-elle connaître un succès aussi durable ?
Afin d'obtenir son ticket d’entrée pour le sacro-saint club des jeux milliardaires, Com2us a avant tout misé sur un plan d’action finement huilé. Si la plupart des jeux consoles réalisent la majeure partie de leur chiffre d'affaires dans les jours et semaines qui suivent leur sortie, Summoners War, comme tout bon jeu mobile, se lance quant à lui dans une course de fond. Le secret réside dans la capacité du studio à maintenir son public actif et donc potentiellement investisseur. Dans le jargon du marketing, c’est ce que l’on aime représenter sous la forme d’un “funnel de conversion”, ou l’art de transformer un chaland en joueur invétéré et si possible, évangélisateur. C’est en observant Summoners War sous cet angle que l’on parvient à lire au mieux ses mécaniques internes. De quoi est fait le succès de ce gacha aux airs de RPG ? D’une vision pragmatique du marché mobile et d’une excellente mise en application de celle-ci.
La naissance d'un empire
Pour Summoners War, tout commence à Séoul en 2013, au beau milieu d’un grand chambardement. La scène mobile coréenne s’apprête à changer à jamais avec le rachat de Com2us par son rival historique Gamevil, également originaire de la capitale. Si sur le papier, le premier affiche un chiffre d'affaires supérieur, le second est parvenu à mettre suffisamment de milliards de wons de côté pour assouvir sa soif de conquête. En échange d’un pactole d’environ 54 millions d’euros, la CEO de Com2us, Jiyoung Park, cède ses 24% de parts à James Song, CEO de Gamevil, le consacrant par là même actionnaire majoritaire. Avec cette fusion, le Pays du Matin calme voit ainsi naître un empire comptant 800 employés.
C’est au beau milieu de cette période trouble que naît Summoners War : Sky Arena. Il s’agit d’un projet conçu par une équipe de douze personnes à l’ambition très simple : servir l'appétit grandissant des joueurs mobiles pour les expériences plus fouillées. Les Doodle Jump et autres hyper-casual games sont loin d’avoir dit leur dernier mot, mais une frange grandissante du public recherche désormais des jeux aux mécaniques plus profondes. C’est en partant de ce constat que le Lead Developer Min Young Jung et les siens imaginent un jeu de stratégie au tour par tour.
Comme les grands jeux de rôle dont il s’inspire, Summoners War permet à ses utilisateurs de former une équipe à partir de dizaines de créatures différentes. Le contenu se veut plus généreux que chez la concurrence afin d’offrir une forme de buffet vidéoludique aux joueurs. Entre les events, le mode scénarisé, l’optimisation des monstres, le PVP ou les combats de guilde, une foule d’occupations sont imaginées pour répondre à tous les niveaux d’implication possibles. Que vous préfériez passer 5 minutes ou 8 heures par jour sur Summoners War, vous trouverez très probablement une petite routine de jeu en piochant parmi ces éléments.
Difficile de savoir quel avenir aurait connu Summoners War si Com2us n’avait pas été racheté par Gamevil. Ce qui est clair en revanche, c’est que cette acquisition avait pour objectif de servir les aspirations internationales de James Song. L’ordre est donc aux productions mondiales, destinées aussi bien aux orientaux qu’aux occidentaux. Cette ambition, nous la retrouvons dans l’ADN de Summoners War et son succès dans le monde entier ne tient pas du hasard - ce n’est que le fruit d’un savant calcul. Aussi bien dans son univers que dans son gameplay, l’équipe a pris grand soin de développer des mécaniques accessibles à tous les joueurs et à toutes les cultures vidéoludiques. Un exemple concret ? La direction artistique du soft, plus enfantine et féérique, s’éloigne assez largement de celles proposées par les autres productions de Com2us.
Des étapes de planification à son lancement, Summoners War et sa “version unique” ont toujours été développés pour le marché global. Il n’a jamais été pensé pour le marché local dans un premier temps, puis adapté pour d’autres marchés. - Min Young Jung, Lead Developer de Summoners War.
Collecter, quantifier, analyser
Puisant à la source de ces consignes, l’expérience Summoners War sort des locaux de Com2us en avril 2014. Avec l’aide précieuse d’équipes marketing situées aux quatre coins du globe, le titre fait une entrée fracassante dans les boutiques Apple Store et Google Play du monde entier, atteignant le top 10 en Corée du sud et en Chine, tout en entrant au moins dans le top 50 partout ailleurs. Et c’est là toute la force de frappe de l’alliance Com2us-Gamevil. Avec bien plus de personnes à l'œuvre sur le plan marketing que dans l’équipe de développement, la firme est sûre de faire parler de son jeu. La pérennisation de ce succès ne tient ensuite qu'à la rencontre entre le public et l'expérience.
“Dans le monde du mobile, le lancement d’un jeu n’est pas un aboutissement, mais un commencement” - Summoners War n’échappe pas à cette loi érigée en modèle économique, le Game as a Service. L’un des dogmes de ce dernier s’appelle la rétention : plus l’utilisateur passe de temps sur un jeu mobile, plus il est enclin à débourser ses précieux deniers. Un concept commercial incontournable que maîtrise particulièrement bien Com2us, notamment grâce à son armée d’analystes.
Dès le lancement de sa nouvelle création, la maison coréenne s’appuie sur les chiffres et les statistiques pour avancer dans le bon sens. Le bon sens, c’est celui du joueur, évidemment. Les données des utilisateurs sont ainsi collectées et étudiées sous toutes les coutures. Quels sont les modes qui accaparent le plus leur temps ? Comment et combien de temps jouent-ils chaque jour ? Quels sont les monstres les plus populaires ? Toutes les réponses à ces questions sont matérialisées sous forme de statistiques. C’est en les décortiquant que les développeurs décident des prochaines mises à jour.
L’équipe de développement analyse constamment les habitudes de jeu des joueurs du monde entier (...) Nous regardons de près les logs des joueurs pour identifier les tendances de jeu. Ensuite, nous collectons et analysons les retours des joueurs à travers tous nos réseaux sociaux.
Notre stratégie de rétention demeure très simple : être sûr que chaque mise à jour améliore le gameplay, surveiller les réactions des joueurs et collecter leurs retours. - Min Young Jung, Lead Developer de Summoners War.
La stratégie est donc claire, ce que joueur veut, Com2us le veut aussi. Un blanc-seing pour la communauté qui, couplé à une réactivité exemplaire des développeurs, permet de maintenir tout ce petit monde investi et investisseur. Un chiffre est particulièrement parlant : depuis la sortie de Summoners War, la taille de l’équipe de Min Young Jung a quasiment quadruplé. Ils sont désormais plus de cinquante à travailler sur le développement du titre au quotidien, chiffre qui n’inclut pas les responsables du marketing et de l’analytique. Ajoutez à cela des investissements massifs de Com2us dans le marketing (jusqu’à 15 millions de dollars rien qu’au premier trimestre 2015) et vous obtenez une application qui va chercher les utilisateurs et fait tout pour le chouchouter. Les résultats sont probants, Summoners War occupe des places de choix dans les charts iOS et Android du monde entier depuis 2014.
Un apport créatif réel
Si, présenté sous ce jour, Summoners War ressemble à un projet piloté par une armée de machines répondant simplement aux signaux envoyés par la communauté, l’apport créatif de Min Young Jung et les siens demeure réel. Le rendu graphique du titre est ainsi bien supérieur à celui de nombreux autres concurrents, tandis que l’univers proposé va puiser dans les folklores d’une multitude de cultures. Mais cette direction artistique accessible aux joueurs de tous les pays n’est qu’un prétexte pour mettre en image le véritable point fort du titre : son système de combat. En proposant des affrontements au tour par tour, Summoners War ne réinvente rien, loin de là, mais la finesse de ses mécaniques et son équilibrage en font une expérience tout à fait prenante.
Avec plusieurs centaines de monstres disponibles, des statistiques complexes, des runes, des évolutions, et bien d’autres éléments techniques, le titre se dote d’un gameplay particulièrement dense. À l’image de la communauté de HearthStone, celle de Summoners War échange ainsi activement en ligne à propos des dernières combinaisons de monstres à essayer. La profondeur des mécaniques n’est donc pas illusoire, à tel point que de nombreux joueurs n’hésitent pas à dégainer leurs plus beaux tableurs Excel pour faire le point sur les statistiques de leurs unités. Cet aspect gestion se retrouve au cœur du plaisir dégagé par le titre.
Mais Summoners War se veut aussi multijoueur. Le lien social étant un outil indispensable de la rétention, Com2us n’a pas hésité à l’exploiter sous différentes formes. Que ce soit via le système de guilde permettant aux utilisateurs de se retrouver sous une même bannière ou par le biais des combats en PVP, jouer à Summoners War, c’est rejoindre une communauté avec laquelle partager une expérience. Une case cochée de plus dans la longue liste des indispensables du jeu mobile à succès.
La méthode Com2us
Le secret de la longévité de Summoners War ? C’est avant tout une méthode. La méthode Com2us. Autour d’un gameplay bien conçu et prenant, la firme coréenne place une série de mécanismes ayant déjà fait leurs preuves, ceux du gacha. Invocations aléatoires, modes de jeu multiples, combats PVP, guildes… La recette ne surprendra personne, mais est ici exécutée avec un sens certain de la maîtrise. Tout cela pose une base solide que trois armées viennent ensuite entretenir : la première dédiée au marketing, chargée de recruter de nouveaux utilisateurs, la deuxième à l'analyse, dépêchée pour scruter le comportement des joueurs, et la troisième qui développe des contenus en conséquence.
Un triangle parfait qui révèle la tendance du mobile à intégrer des chiffres et du marketing au sein même du processus créatif. C’est en quantifiant, en analysant et en récupérant les données des utilisateurs que l’on parvient à conserver sa base d’usagers. Alors certes, ce n’est pas une méthode miracle et le talent demeure indispensable, mais c’est d’une efficacité redoutable pour limiter les chances d’échec. Vision pragmatique pour certains, créativité asservie aux exigences du plébiscite commercial pour d'autres, ce qui est sûr, c'est que cette formule aura rapporté plus de deux milliards de dollars à ses créateurs en moins d'une décennie. Summoners War vient de souffler ses sept bougies et c'est loin d'être fini.
Summoners War Sky Arena : Le début de l'aventure