Jeu somme de la génération précédente, God of War condense énormément d’éléments qui caractérisent les expériences Sony. Combats prenants, scénario engageant, technique impressionnante… Le retour de Kratos est tonitruant. Cet épisode se pare également d’une mise en scène à couper le souffle portée par un plan séquence maitrisé. Toutefois, si l’on se prend à pinailler, on peut espérer que sa suite qui tarde à faire parler d’elle poussera ce principe encore plus loin.
Un langage visuel à respecter...
C’est un sacré challenge que se sont imposé les équipes de Santa Monica lorsque la direction de ce God of War a été déterminée. Raconter une histoire en temps réel, sans interrompre la caméra, alors que les proportions et l’ampleur du récit sont proprement gigantesques, il y a de quoi en décourager plus d’un. Et pourtant il faudrait faire preuve de mauvaise foi pour ne pas admettre que le défi a été relevé avec brio. Si ce procédé de mise en scène est tout de même moins contraignant dans notre médium de cœur qu’au cinéma, il n’en reste pas moins une charge de travail supplémentaire et nécessite une réflexion poussée pour être intégré efficacement à l’expérience. Ainsi ce choix artistique a eu pour conséquence d’imposer une caméra à l’épaule particulièrement dynamique aux cut-scenes. Rarement les coups de poings de Kratos n’auront eu autant d’impact et la démesure de certains évènements ou lieux est encore plus frappante, car le joueur est placé à échelle humaine. Là où les anciennes itérations des aventures du Spartiate adoptent un point de vue zénithal, le God of War de 2018 place sa caméra derrière le protagoniste et opère de gros changements dans son gameplay. Logique donc, que sa mise en scène en soit affectée. Cette base formelle a prouvé son efficacité, mais revenons à la question initiale : Comment le prochain épisode pourrait-il aller plus loin dans sa mise en scène ?
Difficile de savoir pour l’heure s’il conservera l’idée du plan séquence, mais cette décision semble tellement avoir impacté l’identité du titre d’origine qu’il parait maintenant indissociable de l’identité de cette nouvelle vision de la licence. Il est donc très probable que cet exercice de style sera prolongé pour les prochaines aventures de Kratos et Atreus. Très réussi, il peut tout de même être perfectionné grâce à l’expérience acquise sur le précédent volet et le nouveau hardware de PlayStation. Par exemple, afin de recharger la zone en cas de mort de l’avatar, God of War doit opérer un écran noir, briser le fameux plan séquence et interrompre sa narration. Le joueur doit donc momentanément quitter la diégèse et subit un retour à la réalité brutal. Par un tour de passepasse scénaristique en ramenant Kratos du Valhalla, par exemple, le prochain opus pourrait utiliser des transitions similaires à celles effectuées en voyage rapide. En profitant du SSD de la PlayStation 5, on pourrait imaginer que ces retours à la vie s’effectuent très rapidement et pourraient s’émanciper des limites techniques pour garantir une continuité totale.
... pour mieux s'en émanciper
En ayant installé un vocabulaire visuel fort dans ses mouvements de caméra, la licence God of War peut gagner à s’émanciper du langage installé dans cette suite se déroulant bien des années les évènements des trois premiers opus. Plusieurs pistes sont à explorer et ainsi cette épisode pourrait renouer ponctuellement avec une caméra zénithale pour rappeler les origines de la série lorsque Kratos use des lames du chaos . Ce recul pourrait également se produire lors de cutscene pour appuyer d’autant plus le gigantisme de certaines scènes. Car si le dernier épisode en date est impressionnant à plus d’un titre, il rompt radicalement avec certaines les précédents et atténue les rapports d’échelle. La caméra placée à proximité de Kratos lui fait occuper une bonne portion de l’écran, ainsi on perçoit plus difficilement la taille ahurissante de certains ennemis. Le prochain God of War annonce la couleur : « Ragnarok is coming ». Cet évènement funeste de la mythologie nordique occasionnera des conflits de grande échelle. La démesure des évènements à venir pourrait ponctuellement profiter d’une caméra plus libre et plus reculée.
Si d’aventure ce nouvel opus s’autorisait à ponctuellement briser le plan séquence, il pourrait le faire afin de marquer séquences fortes en émotions. Si d’un point de vue de l’immersion et du grand spectacle, le plan séquence a bien des avantages, il trouve parfois ses limites d’un point de vue émotionnel. Les nombreux dialogues entre Kratos et Atreus pourraient profiter de champ et de contrechamp occasionnels pour appuyer leur relation, leurs désaccords, ou leur rapprochement. D’un point de vue conceptuel, briser le plan séquence par un contrechamp lors d’une dispute par exemple, pourrait avoir beaucoup de sens. Cela permettrait d'appuyer le désaccord du père et de son fils et ainsi d'impacter davantage le spectateur. En bref, si le langage de la mise en scène de God of War est tout à fait réussi et impressionnant à plus d’un titre, il pourrait jouer avec ses propres codes pour créer la surprise ou des séquences fortes en émotions.
Il pourrait également créer la surprise d’une tout autre manière. Un joueur ayant déjà posé les mains sur Uncharted, God of War ou les derniers Tomb Raider l’aura vite remarqué, il n’est pas rare que nos protagonistes se frayent un chemin dans des espaces exigus. Ce n’est une surprise pour personne, ces transitions servent avant tout à masquer des temps de chargement malvenus. Ainsi l’arrivée du SSD semble promettre la disparition de ces séquences. Si Ratchet & Clank : Rift Apart parvient à charger instantanément différentes zones complètement différentes, nous voulons croire que ce GoW parviendra à nullifier la présence de ces moments de respiration. Seulement ces transitions servent régulièrement de point de départ à une cut-scene en profitant du mouvement de caméra initié par la sortie de cette zone exigüe. Ce presque cliché en vient à rendre ces situations attendues et ce qui était auparavant une surprise perd en panache. Dernièrement The Last of Us Part II a cependant réussi à tirer parti de ce cliché. Après avoir utilisé un établi, Ellie se fait agresser par un survivant alors que ces séquences sont supposées faire office de havre de paix. Cette séquence indique donc que le joueur n’est en sécurité nulle part. On espère que le prochain GoW usera de ce genre de ressorts de mise en scène plutôt que des tunnels qui n’ont désormais plus vraiment lieu d’être d’un point de vue technique.
Le God of War de 2018 présente une mise en scène forte et impressionnante de maitrise, c’est indéniable. Nous ne pensons pas savoir mieux que les équipes de développement ce qui est bon pour le titre. Mais cela ne nous empêche pas de nous prendre à rêver ou de lancer des pistes de réflexion sur ce qu’il sera possible de voir grâce aux nouvelles machines et les progrès faits par l’industrie en termes de mise en scène. Le jeu vidéo, et plus particulièrement les grosses productions Sony, semble avoir digéré une bonne partie des codes cinématographiques. Nous espérons simplement qu'un des fers de lance du AAA narratif saura ponctuellement en faire abstraction et amener de nouvelles idées sur la table.