L’Attaque des Titans (AoT), de son titre original japonais Shingeki no Kyojin est un manga de Hajime Isayama publié en 2009. Le digne représentant du “Dark Shonen” connaît depuis un succès planétaire démontré par ses adaptations en animé, en live action et en jeu vidéo. L’Attaque des Titans est aujourd’hui dans le top 20 des mangas les plus vendus au monde. Mais comment le manga a-t-il pu rencontrer un tel succès ? C’est ce que nous allons tâcher de découvrir à travers sa genèse et de son impact.
Le but de cet article n'est en aucun cas de spoiler l'intrigue de la série, mais de revenir sur ce mastodonte du manga et de l'animation japonaise par le biais de sa genèse, son auteur, le tout en soulignant ce qui a contribué à son succès.
L’Attaque des Titans, c’est quoi ?
L’Attaque des Titans nous raconte l’histoire d’Eren Jäger, un petit garçon cloisonné dans une cité-forteresse aux murailles dépassant les cinquante mètres de haut afin d’échapper aux titans qui ont massacré la majeure partie de l’humanité un siècle plus tôt. Eren ne se doute pas de la violence des combats qui ont opposé les hommes aux titans et décide de postuler pour la brigade du bataillon d’exploration, car il s'agit des seuls soldats autorisés à sortir de la ville pour en apprendre davantage sur les titans. Mais un beau jour, un titan parvient à ouvrir une brèche dans le Mur Maria, premier rempart de la cité-forteresse, et ouvre la voie à plusieurs de ses congénères ! Eren assiste impuissant à la mort de sa mère, dévorée par un titan. Alors qu'il fuit avec d'autres survivants, il se jure de se venger et d’exterminer la race des titans. La suite de l’histoire s’articule autour d’Eren et de ses camarades ayant intégré la brigade du bataillon d’exploration qui armés d'un équipement tridimensionnel, vont se défendre contre les titans.
Hajime Isayama et la genèse d’une oeuvre culte
Tout d’abord, prenons le temps de revenir sur les origines de son auteur et développons la genèse de la série. Hajime Isayama est né le 29 août 1986 à Hita, ville de la préfecture d’Oita, au Japon. Au cours de ses années lycée, Isayama est frappé d’une passion soudaine pour le manga et se met à dessiner durant ses cours et participe à des concours liés au manga. Ses lacunes en dessin peinent à le décourager, car fort de la certitude que seuls importent la qualité d’écriture et le découpage des plans, il relaie au second plan la qualité graphique nécessaire à la réalisation d’un manga. Il ne se laisse donc pas abattre et est bien décidé à en faire son métier. Après avoir obtenu son diplôme au lycée Oika Hitarinkou High School, il s'inscrit à l’école supérieure Fukuoka, afin de suivre un cursus de conception graphique au sein du département des arts de la bande dessinée. En parallèle, il occupe un emploi alimentaire dans un cybercafé, sujet sur lequel nous reviendrons. C’est à ce moment-là qu'il décide d’assembler ces premières idées qui donneront naissance à un récit cher à son imaginaire : l’Attaque des Titans.
Aux sources de son inspiration, on retrouve une oeuvre de Makura Sho & Takeshi Okano, Jigoku Sensei Nube, un shonen qui l’a traumatisé durant son enfance avec l’épisode où la Joconde sortait de son tableau pour dévorer toutes les personnes qui passaient à portée de sa tête démesurée. Il puisera aussi son inspiration au travers de plusieurs médias dont les jeux vidéo avec Mega Man Legends, l’un de ses titres de favoris à l'époque, < i< gore Muv-Luv Alternative, visual novel interdit au moins de 18 ans, où des aliens envahissent la Terre et exterminent méthodiquement une humanité au bord de l’extinction ce qui fait du Japon le dernier bastion faisant face à l’envahisseur, ou encore la série des Monster Hunter. Le cinéma sera également une source d’inspiration, avec les films Kaiju, un genre mettant en scène des monstres géants tels que Godzilla ou encore King Kong.
Le créateur évoque dans ses interviews une expérience personnelle qui l’a fortement marqué. Il fut effrayé par l’ivresse d’un client dans un cybercafé où il travaillait étant jeune. Ce dernier l’avait saisi au col, rendu incapable d’articuler le moindre mot intelligible, Isayama l’assimila à une "créature" avec laquelle il était impossible d’échanger : "Je ressentais la peur de rencontrer une personne avec qui je ne pouvais pas communiquer" dira-t-il, en ajoutant : "L’être humain peut être l’animal le plus familier et... le plus effrayant du monde !".
Quant à sa conception des titans, elle est bien précise, les créatures doivent être des brutes, qui dégagent une aura imposante et générent un sentiment de malaise et d’insécurité chez le lecteur, tout comme la peinture de Francisco de Goya, “Saturne dévorant un de ses fils”, une oeuvre dérangeante et fortement angoissante, qui résonne comme un écho. Selon les analystes, elle représente une allégorie de la situation en Espagne de l'époque, où la patrie consommait ses propres enfants dans les guerres et révolutions, un autre thème abordé dans l'Attaque des Titans. Voilà, pour l'idée globale de ses antagonistes, en revanche, pour les titans dit « spéciaux », Isayama, passionnés d’Art Martiaux, s’inspirera de la morphologie de catcheurs tels que Yushin Okami pour le Titan Assaillant ou encore le pugiliste Brock Edward Lesnar ainsi que de champions de Kick-Boxing : Alistair Overeem et Wanderlei Silva pour le Titan Cuirassé. Le Titan Colossal, quant à lui, sera basé sur la statue l'Écorché de Jean Antoine Houdon.
L’idée des titans relèverait donc, d’un traumatisme lié à sa jeunesse qu’il qualifie de "cauchemardesque" où il se percevait comme un être faible. Mais pas que ! Comme vu plus haut, il puise aussi son inspiration dans l’histoire de l’art qui regorge de géants impitoyables, qui sans merci, s’attaquent aux humains comme le démontre l’oeuvre de 1624 de Giovani Lanfranco : Norandino et Lucina découverts par l’Ogre, en illustration du poème épique "Orlando furioso".
Une fois, les personnages créés, il faut un univers dans lequel ils évoluent. Le principe des murs est inspiré de la ville Allemande, Nördlingen ou encore Midgard, dans la myhthologie nordique, une fortification érigée par les dieux autour du monde pour se protéger des Géants. Cependant, les murs pourraient aussi symboliser le Japon, patrie longtemps restée à l’écart du monde, et ce, pendant une bonne partie de son histoire. De plus, le mangaka né dans la campagne d’Hita, vivait à l’instar de son personnage principal Eren Jäger, reclus d’un monde bien plus vaste et désireux de découvrir ce qui se trouvait au-delà des cimes lui barrant l’horizon. Hajime Isayama exploitera toutes ces idées afin de faire une première ébauche de ce qui deviendra le hit à succès que nous connaissons tous, un one-shot intitulé Shingeki no Kyojin : L’avancé des Titans, paru en 2006.
Recaler par la Shueisha
Isayama, conscient et sûr du potentiel de son œuvre, va rendre visite à la maison d’édition Shueisha, populaire pour ces œuvres intergénérationnelles telles que : Dragon Ball, Naruto, One Piece, Hunter x Hunter etc. Malheureusement, Shingeki no Kyojin ne correspond pas au standard du magazine hebdomadaire Shonen Jump. En effet, pour que son manga soit publié, il devra remanier son œuvre de façon à répondre aux codes du shonen.
Isayama refuse donc la proposition et se tourne vers la concurrence, Kōdansha, pour une publication dans le Weekly Shōnen Magazine. Le concurrent direct de la Shueisha sera quant à lui charmé par les talents de l'auteur et le projet fondateur, le one-shot Shingeki no Kyojin : L'avancé des Titans recevra la mention honorifique du “meilleur travail” au Grand Prix du Manga en juillet 2006. Suite à ça, agé de 20 ans, le jeune auteur emménage à Tokyo. À présent dans les bonnes grâces d’un magazine, il poursuit sa carrière de mangaka en tant qu’assistant pour l’auteur Yuki Satô, notamment connu pour Docteur Yokai. En parallèle, Isayama continue de travailler sur ses propres projets, Heart Break One et Orz. Pour le premier, l’artiste se voit décerner le 80e prix spécial d’encouragement aux mangakas dans le Weekly Shonen Magazine, tandis que le second, Orz, sera seulement sélectionné pour ce prix l’année suivante.
C’est en 2009 que Kodansha lui propose d’écrire une série pour son nouveau magazine. Conseillé par son responsable éditorial qui avait beaucoup apprécié son premier one-shot de l’Attaques des Titans, Isayama entame un travail de recherche assidu pendant six mois et le manga que nous connaissons tous est finalement publié dans le magazine mensuel Bessatsu des éditions Kodansha. Fort de son succès, l’Attaque des Titans recevra le prix du "meilleur shohen manga" deux ans après son premier chapitre, lors de la 35e édition du Kodansha Manga Award de 2011. Le titre deviendra le digne représentant du Dark Shonen et remettra au goût du jour le genre de la Dark Fantasy après être quelque peu tombé dans l’oubli au milieu des années 2000 après des œuvres telles que Claymore ou encore le maître en la matière Berserk de Kentaro Miura. À noter que le manga est édité par Pika-Edition en France depuis juin 2013.
Le phénomène attaque des titans
C’est en 2013 que l’Attaque des Titans fait l’objet d’une adaptation en animé par Wit Studio, un petit studio d’animation fondé en 2012 en tant que filiale d'I.G Port, par George Wada (qui a notamment produit la série d'animation Guilty Crown) et Tetsuya Nakatake de Production I.G et qui compte seulement 34 employés. Hajime Isayama n’hésite pas à s'impliquer dans le processus d’adaptation, allant jusqu’à remanier certaines scènes pour les rendre plus pertinentes. Avec une animation aux petits oignons et une bande originale de qualité, merci en partie au savoir faire de Sawano Hiroyuki qui sublime les dessins par son OST et Linked Horizon pour les openings emblématiques, car c'est grâce à toutes ces qualités que l’adaptation sera très rapidement saluée par la critique.
Après une hype démentielle en été 2013, il aura fallu attendre 4 ans avant de voir une saison 2 débarquer. Autant battre le fer tant qu’il est encore chaud, pour faire patienter les fans, deux animés réalisés par la même équipe voient le jour en parallèle. Ces OAD se vendront en amont avec les éditions collectors des Tomes 15 et 16 au Japon. Birth of Livaï se concentre sur le personnage le plus populaire de la série, Livaï, où l’on y apprend comment il a rejoint le bataillon d’exploration. Ces OAD seront par la suite adaptés en manga.
Une adaptation en animé du manga parodique Attack on Titan : Junior High qui présente les personnages originaux en version chibi, voient également le jour où l’intrigue se focalise sur leur première année en tant qu’élève de la classe 1-04. Côté manga, il s'ensuit une préquelle : Attack on Titan : Before the Fall, adapté des light-novels du même nom avec pour scénariste Suzukaze Ryo et Shiki Satoshi au dessin. L'histoire se déroule avant la chute de Shiganshina et avant l'invention révolutionnaire de l’équipement tridimensionnel. La série reçoit aussi deux adaptations en live-action que la plupart des fans préfèrent oublier et a fait l'oeuvre d'un spectacle en 360 degrés au Konica Minolta Planetarium "Tenku" de Oshiage à Tokyo. Pour finir, le manga de Hajime Isayama ne démérite pas de quelques adaptations vidéo-ludiques avec pour ne citer que les suivantes : Attack on Titans : Wings of Freedom et Attack on Titans 2 : Final Battle.
Mais pourquoi L’Attaque des Titans a-t-il rencontré un tel succès ?
En tant que spectateurs, nous créons inconsciemment une hype autour de la fiction que nous nous apprêtons à découvrir, nous espérons que nos attentes soient comblées et comme dirait le scénariste de Pixar, Andrew Stanton : "La narration, c’est comme se raconter une plaisanterie à soi-même. C'est connaître sa propre punchline, propre fin, tout en sachant que ce que vous dites de la première phrase à la dernière mène à un objectif singulier et confirme ces quelques vérités qui approfondissent notre compréhension de qui nous sommes en tant qu'êtres humains." Tout le long du récit, nous sommes exposés à de petites révélations qui s'imbriquent entre elles et font rejaillir à la surface des événements passés. Par un tour de passe-passe, nous nous retrouvons dans le même état d’esprit que nos personnages favoris, car AoT, c'est aussi des personnages charismatiques, attachants, à la qualité d'écriture exemplaire. Tous ces éléments contribuent à créer un lien entre le spectateur et la fiction et d’une certaine manière brise le 4e mur. L’Attaque des Titans se base sur des principes du shonen bien ancré dans l’inconscient collectif pour les déconstruire par la suite et renforcer les aspects rudes et cruels de son univers, ce qui contribue à mettre en exergue l'idée que dans notre monde personne n’est vraiment spécial, qu’il n’y a pas d’élu. Prenons l’exemple du personnage principal, Eren, ce n’est pas lui qui est spécial, mais ses capacités, ce qui le rend plus humain et donc permet une identification de soi. De plus, l'œuvre dissémine plein de mystères dès le départ tels que : que cache la cave dont Eren détient les clés ? Qui sont les titans ? Qu’y a-t-il en dehors des murs ? Ces parts de mystères tiennent les spectateurs et lecteurs en haleine et le suspens n’en est que plus constant.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le manga de Hajime Isayama totalise 32 tomes en France et 33 sur l’archipel nippon. L'œuvre publiée dans le magazine mensuel Bessatsu arrive à son terme et n’a plus que deux chapitres à offrir avec un final prévu pour Avril 2021. Pour ce qui est de l’animé, Wit Studio, faisant face à des difficultés financières, a passé le flambeau à Mappa Studios, notamment célèbre pour son adaptation de Dororo, qui nous livre en ce moment même la quatrième et ultime saison. Bien que le savoir faire du nouveau studio soit critiqué, notamment à cause d’un abus de CGI ou encore sur la qualité "moyenne" des dessins, l’animé ne perd pas en cachet pour autant. En effet, chaque semaine, la saison 4 (licenciée par Wakanim en France) rassemble et met en émoi les fans du monde entier tout en nous promettant un final grandiose et poignant. Avec ses génériques cultes et une adaptation en animé réussie, l’Attaque des Titans fait sans conteste partie de ces mangas qui ont marqué une génération et qui resteront dans les mémoires.