Bien qu’on soit enclins à penser que «plus c’est long, plus c’est bon», ce proverbe n’est plus vraiment actuel aujourd’hui, surtout lorsqu’on évoque un contenu fortement narratif à l’image d’un roman, d’un film et bien sûr, un jeu vidéo.
Le Game Pass ou l’accessibilité à un gigantesque catalogue
Il est bon de rappeler la situation qui est la nôtre aujourd'hui, sachant qu’il n’a jamais été aussi simple de jouer à une grande quantité de titres sans débourser des sommes folles. En effet, si la notion de prix est toujours aussi centrale, il ne faut pas oublier que depuis quelques années, les moyens de consommation ont changé en permettant aux joueurs d’avoir à leur disposition un gigantesque choix. Ainsi, avec l’arrivée du Game Pass en 2017, Microsoft change complètement la donne puisque pour une poignée d’euros mensuels, ce sont des centaines de jeux (incluant les derniers blockbusters maison) qui sont à portée de main. Si on y rajoute les jeux gratuits de l'Epic Game Store, les offres du PS+ ou les réductions régulières sur les différents stores, la tentation de picorer devient omniprésente. Attention, je ne suis pas en train de vous dire que les développeurs doivent prendre cette donnée en compte pour concevoir la durée de vie de leurs jeux, mais cette réalité de marché et cette accessibilité à un vaste catalogue impacteront forcément sur le ressenti d’un joueur face à un titre semblant s’étirer en longueur.
L’open world et la «culture du trop»
Cette sensation, on l’a tous plus ou moins eu en jouant à un open world ne sachant nous offrir suffisamment de variété. Mad Max, Ghost of Tsushima, la quasi-intégralité des Assassin’s Creed, tous de très bons jeux, mais n’ayant su éviter le piège de la longueur en bardant leurs univers de collectibles ou bien encore de quêtes Fedex ou miroirs. Même le petit dernier d’Ubisoft, Immortals Fenyx Rising, n’y a pas échappé. Ce cas est intéressant puisque bien que proposant une surface de jeu plus petite, les développeurs n’ont pu s’empêcher d’intégrer quantité de coffres, d’énigmes ou bien encore 80 cryptes, toutes différentes. Une durée de vie gargantuesque trouvant écho dans celle du premier DLC, Un Nouveau Dieu, intégrant 26 nouvelles épreuves. Alors que j'ai adoré Fenyx Rising (au-delà de ses nombreuses imperfections), j’ai parfois trouvé le temps long.
Bien sûr, rien ne me forçait à terminer chaque crypte et défi, mais ceci faisant partie de l’ADN du jeu lié à l'obtention d’innombrables skins d'armes et d'armures, je me suis pris au jeu. Malgré tout, l’abondance de puzzles a fini par grandement me lasser en me donnant l'impression que rien n'était gratuit dans le jeu et qu'Ubisoft Montréal s'était senti obligé d'intégrer des énigmes pour tout et n'importe quoi. Ce constat pourrait également s’appliquer à Assassin’s Creed Valhalla, n'ayant pas son pareil pour inonder sa map d’objectifs permettant de prolonger l'expérience dans l'univers mis à disposition tout en lui faisant perdre paradoxalement de sa beauté, de sa force.
Trouver le juste équilibre entre gameplay et narration
Du côté des jeux narratifs, le sentiment de longueur se ressent différemment. Là où l’accumulation d’éléments peut faire «peur» ou lasser dans un open world, l’étirement du récit pour un jeu dont le scénario constitue la charpente, aura tendance à nous sortir de l’intrigue. Prenons trois exemples parlants. Tout d’abord Bioshock et Alien Isolation qui à mon sens ont manqué de clairvoyance en voulant intégrer de nouveaux éléments de gameplay dans leur dernière ligne droite au point de casser la courbe de progression de l'histoire. Ainsi, le passage extrêmement long de Bioshock durant lequel on devait récupérer plusieurs pièces d'un scaphandre de Big Daddy via de nombreux allers-retours dans Rapture avait comme conséquence d'amener un énorme sentiment de lassitude avant le climax final. Peu idéal pour apprécier à sa juste valeur la conclusion d'un excellent jeu à l’atmosphère délicieusement anxiogène. Même état de faits pour Alien Isolation dont les trois dernières heures très orientées action étaient en total décalage avec le reste du jeu et donc peu utiles si ce n'est pour rallonger la durée de vie et faire plaisir à ceux réfractaires à l’infiltration, quand bien même ces derniers auraient quitté le navire depuis longtemps.
Terminons avec The Last of Us Part II. Si il n'est pas ici question de remettre en cause les immenses qualités du jeu de Naughty Dog, l'étirement de sa narration, sur plus de 30 heures, a à nouveau prouvé que si cela faisait sens d'un point de vue du gameplay (toute proportion gardée), ça l'était déjà beaucoup moins scénaristiquement parlant, les deux parties composant le canevas narratif étant finalement les deux faces d'une même pièce et donc assujetties à des boucles de gameplay similaires ou des situations narratives se faisant écho.
Si les deux derniers exemples témoignent davantage d'une générosité des développeurs, il n'en reste pas moins que rallonger un jeu, de quelque façon que ce soit, n'est pas nécessairement une bonne chose, autant pour l'immersion que l’intérêt des joueurs. Il conviendra alors pour les développeurs de se refréner en ne perdant pas de vue qu'en fonction des types de jeux, de leur scénario, de ce qu'ils veulent y insuffler, une durée de vie généreuse peut très vite prendre l'apparence d'une épée de Damocles.