Dans un champ de tournesols baigné de lumière, un petit groupe s’avance en sautillant sur le son du titre Happy Together du groupe The Turtles. Mario, Donkey Kong, Pikachu et Yoshi se tiennent par la main et le téléspectateur retrouve, en un instant, l’ambiance familiale des productions Nintendo. Soudainement, la musique se coupe (avec l’effet sonore du disque rayé) et le plombier vient asséner un coup de pied à la jambe du pauvre Yoshi qui s’écroule. C’est ensuite au tour de Donkey Kong de répliquer avec son poing avant que la scène, qui sentait bon l’atmosphère Peace and Love quelques secondes auparavant, se transforme en un pugilat désordonné. Si la séquence n’a rien d’extraordinaire aujourd’hui, il faut imaginer la surprise, à l’époque, lorsque les gamins et ados, médusés, ont découvert le spot à la télévision (même en ayant vu les photos dans les magazines). Mario mettant des tatanes à ses potes, c’était impensable ! Il n’est pas difficile d’imaginer la pression qui reposait sur les épaules de Masahiro Sakurai, transfuge de HAL Laboratory, quand il est allé présenter son concept à la direction de Nintendo. Aussi, prenons le temps de remonter aux origines du créateur pour comprendre l’incroyable parcours l’ayant amené à bâtir l’une des licences phares de Nintendo.
Au même titre qu'un film, qu'une pièce de théâtre ou qu'une comédie musicale, la création d'un jeu vidéo est un long processus et un morceau de vie pour des dizaines voire centaines d'individus. Durant ces mois et années, il arrive que la production soit émaillée d'évènements pouvant bouleverser l'édifice créatif. Ces obstacles forment l'expérience et permettent d'aboutir, généralement, à une œuvre bien différente des concepts d'origine. Le jeu vidéo n'échappe pas à cette règle et il est souvent l'épicentre d'une foule de circonstances amenant les développeurs à se surpasser. Jeuxvideo.com a décidé de vous raconter l'histoire de ces jeux, mais surtout de ces hommes et femmes qui ont, par le prisme d'une œuvre artistique, écrit une partie de leur biographie.
Régulièrement, vous retrouverez les témoignages de ces artistes apportant un nouveau regard sur les productions d'hier. Pour le début de cette année 2021, nous avons décidé de nous attaquer à une sommité du catalogue de Nintendo : Super Smash Bros. ! Né dans un relatif anonymat, la licence est parvenue à fédérer des millions de joueurs à travers le monde et s’est peu à peu distinguée dans le paysage de l’eSport. En cinq épisodes canoniques, l’œuvre de Masahiro Sakurai est devenue indispensable. Mais d’où vient-elle et quel est le parcours de son créateur ? C’est ce que vous allez découvrir à travers les lignes qui suivent. Bonne lecture et n'hésitez pas à nous dire, dans les commentaires, si vous souhaitez revoir de façon régulière ce type d'articles.
En complètement de cet article, nous vous invitons à découvrir le portrait du créateur de Super Smash Bros., Masahiro Sakurai, signé Aubin_Gregoire.
Masahiro Sakurai vient au monde le 3 août 1970 à Masashimurayama, une ville née de la réunification de quatre villages durant l’ère Meiji. Connue pour sa culture du coton et son industrie du textile, elle s’est peu à peu transformée lorsque Nissan a fait construire son immense usine d’assemblage et permis à de nombreux Japonais de rejoindre la capitale (dont le père de Hideki Sato, futur ingénieur des consoles canoniques de SEGA). Durant son enfance, l’industrie du divertissement est en pleine transition. Les bornes électromécaniques, complexes, instables et coûteuses, s’évaporent au profit des programmes informatiques. C’est l’avènement de PONG puis, quelques années plus tard, de Breakout. Mais c’est véritablement avec Space Invaders, le phénomène de 1978, que le jeu vidéo entre dans les mémoires collectives. Du haut de ses huit ans, Masahiro Sakurai est scié par ces expériences interactives et commence à développer un véritable intérêt pour la fabrication de ces machines. À l’adolescence, le gamin se lance dans des études en ingénierie électrique mais les cours dispensés sont bien loin d’avoir un lien avec l’univers du jeu vidéo.
Dans un podcast, il relate :
En suivant des cours d’ingénierie, j’ai commencé à réaliser que ce n’était vraiment pas fait pour moi. Plus ça allait et plus je me disais : « Bon sang, mais ce n’est pas ça que je veux faire ! » Je me suis alors posé la question : « Finalement, quel est mon but ? qu’est-ce que je veux faire dans la vie ? »
Désormais conscient qu’il n’existe, à l’époque, aucun cursus scolaire spécifique aux images pixellisées qu’il aime tant, le garçon décide de mettre un terme à ses études d’ingénierie électrique et s’inscrit dans un lycée traditionnel pour y suivre une formation générale. En parallèle, il obtient un petit boulot afin de subvenir à ses besoins… mais aussi se parfaire une culture vidéoludique en achetant des jeux récents et plus anciens. Masahiro Sakurai estime qu’il doit être intraitable sur le sujet pour être embauché. Pour se donner un maximum de chances, il n’hésite pas à se tourner vers les genres pour lesquels il a le moins d’attachement. Au fil du temps, il se met à croquer toutes sortes d’idées (dessins, concepts…) dans un cahier qui devient, à mesure du remplissage, un portfolio à présenter aux recruteurs. Le Japonais passe quelques entretiens mais ceux-ci n’aboutissent à rien. Il décide alors de se concentrer sur son diplôme, qu’il passe avec succès, et tente sa chance une nouvelle fois.
À 19 ans, il passe la porte du studio HAL Laboratory – une place forte du développement nippon – et découvre un recruteur qui se fout des diplômes. Ce dernier souhaite avant tout que ses salariés aient de la personnalité et qu’ils soient capables d’apporter des idées innovantes. Masahiro Sakurai se souvient avoir été marqué par son arrivée au sein de l’entreprise :
Lorsque j’ai commencé à travailler chez HAL, l’entreprise avait déjà 10 ans. Dès que j’ai commencé, je me souviens que mes cadres supérieurs partaient en voyage sur l’île de Saipan pour célébrer leur dixième anniversaire.
En 1989, HAL Laboratory est une compagnie dotée d’une excellente réputation dans l’industrie du jeu vidéo japonais. Son approche tranche avec la concurrence et chaque membre – dont fait partie un certain Satoru Iwata – est un spécialiste dans son domaine. Par son perfectionnisme, elle a su convaincre Nintendo et la pression qui pèse sur les épaules des employés est grande. Mais qu’importe, Masahiro Sakurai a bien l’intention de se faire une place parmi tous ces petits génies, d’abord pour lui, mais aussi pour prouver à ses parents, réfractaires à l’idée que leur fils fasse carrière dans le jeu vidéo, qu’il a eu raison de s’acharner. Il ne va pas tarder à montrer ses talents…
MON AMI LE ROSE
À son arrivée, le studio vient de passer dans le giron de Nintendo. La firme de Kyoto a décidé d’acheter l’entreprise de Chiyoda avant que la concurrence ne passe à l’action. Cette montée en puissance de HAL Laboratory offre une plus grande amplitude aux projets et le débutant n’hésite pas à proposer un concept :
Juste après avoir rejoint Nintendo, ils acceptaient les documents de game design pour un titre ‘pouvant plaire à tout le monde’. Je me suis alors dit : « Je veux créer un personnage principal mignon que tout le monde adorera.» Ce jeu que j'ai fini par réaliser n’était autre que Kirby's Dream Land sur Game Boy.
Alors qu’il réfléchit à ce nouveau protagoniste, Masahiro Sakurai imagine un bonhomme rondouillard, facile à dessiner et que tout le monde puisse s’approprier. En effet, lorsqu’on aime un personnage, il arrive souvent qu’on le griffonne dès qu’un papier et un crayon passent à notre portée. Le staff conçoit alors une forme facile à représenter et accessible aux dessinateurs les plus aguerris comme ceux qui n’ont pas nécessairement un bon coup de crayon. Malin ! L’autre raison conduisant Masahiro Sakurai à proposer un personnage « ballon de baudruche » réside dans sa capacité à rebondir et à se gonfler d’air, un concept qui germe dans sa tête depuis son entrée chez HAL Laboratory.
À l’image de son avatar, simple et attachant, le programme prend rapidement les contours d’un jeu de plate-forme pouvant convenir à des enfants.
Dans une interview donnée à Famitsu, Masahiro Sakurai explique :
J’ai préparé ce document en mai 1990. J’avais 19 ans. Nous n’avons pas débuté le développement tout de suite mais celui-ci a duré environ une année. Les jeux, à l’époque, avaient tendance à être difficiles, donc nous avons créé notre jeu en l’imaginant comme une porte d’entrée aux joueurs débutants.
C’est ainsi que commence, au cœur de l’année 1991, la conception de cette licence inédite intitulée Twinkle Popo en référence à son petit héros Popopo. À l’époque, celui-ci n’est que temporaire. En effet, si l’idée de la forme ronde est validée, l’équipe a pour intention de redessiner le personnage en fin de développement pour y apporter quelques détails supplémentaires.
UNE MÉTHODE DE PRODUCTION INGÉNIEUSE
Dans son désir d’innovation, HAL Laboratory décide de ne pas utiliser les techniques de développement traditionnel et se lance dans un pari audacieux. Pour réaliser le jeu, elle choisit d’utiliser une Twin Famicom, un modèle de Famicom (la NES chez nous) fabriqué par Sharp Corporation. Elle y ajoute un logiciel programmé sur mesure appelée Game Maker – conçu initialement pour le titre Metal Slader Glory – puis finalise le dispositif avec un trackball, autrement dit une boule de commande (là encore modelée par les petites mains du studio), faisant office de souris. L’idée pour les développeurs est simple : en agissant de la sorte, ils peuvent directement créer les éléments pour les transférer immédiatement au cœur du programme lu par la console. Le gain de temps est considérable !
Pour autant, la Game Boy n’est pas une machine très puissante et il est donc nécessaire de ruser pour pallier le manque de mémoire. Comme de nombreux développeurs en ces années-là, Masahiro Sakurai trouve la parade en utilisant les éléments de différentes manières et, surtout, en les multipliant. L’ennemi en forme de pique est constitué d’une même partie que l’on a quadruplée, d’autres sont constitués du même corps (mais avec un visage différent). Le lanceur de bombes (Poppy Senior Jr.) est animé avec des membres retournés, donnant l’illusion qu’il bondit de gauche à droite – et vice versa. Chaque élément est ainsi exploité au maximum pour pouvoir préserver de la mémoire. Cette même méthode est employée pour la conception des arrière-plan et décors. Comme l’explique l’intéressé, créer un jeu vidéo avec de telles contraintes, c’est comme préparer un repas dans une lunch box. Avouez que l’analogie a du bon.
Avant sa sortie en 1992, le personnage de Popopo est redessiné et renommé Kirby tandis que le jeu devient le désormais célèbre Kirby’s Dream Land. Le producteur Takao Shimizu se souvient :
Nous voulions que les enfants américains apprécient aussi ce jeu, vous comprenez. Nous avons demandé à Nintendo of America leurs suggestions. Kirby était l’un des nombreux noms qu’ils nous ont envoyés, et cela a attiré mon attention quand j’ai vu ce mot la première fois. Je me souviens que ‘Gasper’ était l’une des autres propositions (NDA : peut-être en référence au petit fantôme Casper). Il y avait beaucoup de suggestions…
L’histoire est désormais connue mais le nom Kirby proposé par Nintendo of America a été donné en hommage à l’avocat éponyme qui a sorti l’entreprise du marasme dans lequel elle était empêtrée après la sortie de Donkey Kong en arcade. Le personnage a été considéré comme une copie par les ayants-droits du célèbre gorille King Kong et il a fallu toute la pugnacité de Kirby (l’avocat, pas la boule toute mignonne) pour faire remporter le procès à Nintendo. En guise de remerciement, la filiale américaine a carrément offert un voilier appelé ‘Donkey Kong’ à son sauveur. On peut donc imaginer que les employés américains furent ravis quand les Japonais de HAL Laboratory ont choisi le nom de Kirby pour nommer leur nouveau personnage.
Kirby va ainsi devenir un héros récurrent de Nintendo et de Masahiro Sakurai. Après l’épisode Game Boy, le jeune développeur réalise l’épisode NES, Kirby's Adventure, en octroyant au personnage la capacité de récupérer les pouvoirs des ennemis gobés. C’est lors de ce développement que le petit bonhomme devient rose (et non pas jaune comme Miyamoto le pensait au départ ou blanc comme sur la jaquette du jeu Game Boy).
Dans une entrevue réalisée dans le cadre du lancement de la Super Nintendo Classic Mini, Sakurai déclare :
La console NES a eu une longue durée de vie. Si je me souviens bien, on m'a demandé de concevoir Kirby’s Adventure comme un portage du jeu Game Boy sur NES. Le jeu Game Boy était destiné aux débutants et ce projet me convenait, mais je me suis dit que les joueurs NES de l'époque ne seraient plus du tout novices. J'ai abandonné l'idée de faire un portage et j'ai décidé d'ajouter la capacité Copier. Grâce à elle, les débutants allaient pouvoir s'amuser à avaler puis recracher des choses, tandis que les joueurs avancés pourraient utiliser des capacités plus élaborées.
Après un nouveau passage par la case Game Boy, avec Kirby's Pinball Land puis Kirby's Dream Land 2, la petite boule gloutonne débarque sur Super Nintendo avec Kirby Super Star.
Au gré de ses multiples expériences, Masahiro Sakurai apprend de son personnage rose et se lie d’amitié avec Satoru Iwata. Sous l’impulsion du président de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, Iwata devient même président de HAL Laboratory (en 1993) mais parvient à garder un lien très fort avec ses anciens collègues, n’hésitant pas à les écouter attentivement en prenant une quantité stratosphérique de notes. Après la fin du développement de Kirby Super Star, Masahiro Sakurai estime qu’il est temps de passer à une autre licence. Aspirant à la nouveauté, il imagine alors un nouveau concept. Il n’a toutefois pas oublié que l’accessibilité doit être au cœur de ses productions et va se lancer dans un challenge inattendu qui va donner… Super Smash Bros.
LA FÊTE À LA MAISON
Le déclic survient alors qu’il s’adonne à The King of Fighters '95 dans une salle d’arcade de Tokyo. Alors qu’il est en train d’effectuer un combat, un jeune couple s’avance pour le défier à la régulière. Les deux bornes sont face à face et chaque participant voit uniquement son écran, sans avoir accès à ce qu’il se passe sur celui du voisin. Masahiro Sakurai s’aperçoit que son vis-à-vis a un niveau très faible et il décide d’en finir rapidement. Il terrasse son adversaire et esquisse un large sourire… avant de déchanter. Son opposant et sa compagne n’ont rien pu faire face à ses compétences, ils découvraient la salle d’arcade et sont repartis déçus de l’expérience. Le créateur de Kirby décide alors d’imaginer un jeu de combat qui soit à la fois profond (pour les joueurs expérimentés) et accessible (pour les novices).
Un jour, alors qu’il est au travail, il se met à glisser quelques idées sur papier. De fil à aiguille, son projet prend la forme d’un « Battle Royale à 4 joueurs » et il se permet d’aller en parler à Satoru Iwata. Masahiro Sakurai raconte l’expérience vécue dans la salle d’arcade et son interlocuteur est rapidement séduit. Dans un Iwata demande, l’ancien président de Nintendo raconte :
À cette époque, nous cherchions les moyens de faire le jeu que nous voulions vraiment créer tout en travaillant sur d’autres titres. Masahiro Sakurai est venu me voir avec une idée intéressante et je me suis dit qu'il devait immédiatement commencer à travailler sur ce projet pour essayer de le concrétiser, alors j’ai essayé de l’encourager en acceptant de faire la programmation et je lui ai suggéré d’établir un plan de développement du projet. Comme nous avions d’autres responsabilités, nous avions du mal à trouver du temps pour travailler dessus.
Il continue :
Je n’avais pas une seconde pendant la semaine, alors je programmais le week-end. J’assemblais les données et les spécifications qu'il m’envoyait, mais le projet a pris forme lentement, car nous n’arrêtions pas d’y apporter des modifications. Ceci dit, c’était très intéressant de travailler dessus, car au fur et à mesure que j’intégrais ses idées, le jeu devenait de plus en plus amusant. Ce jeu m’a fait ressentir quelque chose de particulier dès que j’ai commencé la programmation. Mais nous étions tout de même loin de nous douter qu’il prendrait des proportions aussi épiques.
Sur le moment, si Satoru Iwata est intrigué par la proposition de son jeune employé, c’est parce que l’idée originale sied à ravir à l’utilisation du joystick 3D de la Nintendo 64. Sakurai, quant à lui, n’a qu’un vague souhait consistant à créer un jeu de combat à 4 joueurs.
En 1996, le duo élabore un programme embryonnaire mettant en scène des combattants sommaires. Comme chaque individu est composé d’une simple texture colorée, Iwata et Sakurai glissent le nom de code « Pepsiman » en référence au personnage publicitaire faisant la promotion de la marque Pepsi au Japon. Ce drôle de bonhomme, qui a fait l’objet d’un jeu rigolo sur PlayStation et d’une apparition dans Fighting Vipers sur Saturn, a en effet la particularité d’être assez basique dans son design. Il fait notamment penser à Dural, le boss de Virtua Fighter.
Alors que le prototype prend forme, Masahiro Sakurai prend une photo pour servir de fond d’écran à l’action. Il s’installe à l’une des fenêtres du studio qui donne sur le somptueux bassin de Kofu et le majestueux mont Fuji puis prend le cliché. C’est en l’incorporant au prototype en cours de réalisation que le nom Pepsiman disparaît au profit de Kakuto-Geemu Ryūō. On peut traduire cela par Ryūō : The Fighting Game ou, en français dans le texte, Ryūō : Le jeu de combat. On lit parfois le terme « Dragon King » par rapport au terme Ryu mais cela ne fait aucunement référence au dragon ou au roi dragon. Ryūō-cho est tout simplement le quartier de résidence de HAL Laboratory, autrement dit le lieu d’où a été prise la fameuse photo. Dans l’entrevue avec Satoru Iwata, Masahiro Sakurai répond :
C’est moi qui ai pris les photos du quartier. J’étais en train de travailler tout seul sur les graphismes et les mouvements, et juste au moment où je réfléchissais au décor que je pourrais utiliser, « clic », l’appareil photo a décidé pour moi. (Rires)
LE COUP DE POKER
En 1997, le prototype est encore très basique. Les personnages sont génériques et la petite équipe tâtonne pendant des mois pour établir un semblant de gameplay. Au départ, l’ensemble ne se démarque pas suffisamment des jeux de combat traditionnels, si bien que Masahiro Sakurai puisse dans ses ressources pour mettre en place une nouvelle approche. Après avoir envisagé des zones fermées, il choisit de s’appuyer sur le principe du « Ring Out », où le but, comme au sumo, est de faire sortir l’adversaire de l’aire de combat. Mais avec une particularité de taille :
Dans le jeu, vous frappez votre adversaire pour augmenter le pourcentage de dégâts mais j’ai pensé que ça serait vite ennuyeux si l’adversaire s’effondrait et chutait au sol une fois un certain pourcentage de dégâts atteint. J’ai donc eu l’idée de faire en sorte que plus les dégâts sont élevés, plus les personnages sont éjectés à une longue distance de la zone de combat. De cette manière, je pensais vraiment ajouter de la profondeur au jeu et augmenter l’intérêt des affrontements.
C’est en cherchant à innover que Masahiro Sakurai dessine peu à peu les contours des mécaniques du jeu. Au lieu de se baser sur des rixes classiques, le Japonais mise sur une approche stratégique reposant sur un système de pourcentage (pour éjecter son opposant de l’aire de jeu) mais aussi des items visant à changer la physionomie des affrontements. Riche de son expérience vécue sur The King of Fighter ’95, le concepteur imagine des commandes très simples afin que tout-un-chacun puisse s’amuser sans être un pro de la technique. Au fil des jours, le prototype de Kakuto-Geemu Ryūō gagne en consistance par l’ajout de petites règles comme la prise en compte du poids des combattants. De son côté, Satoru Iwata code le programme à mesure que Masahiro Sakurai lui donne ses idées et le président de HAL Laboratory est satisfait de l'évolution du jeu.
Quelques jours plus tard, après que le prototype ait été peaufiné, lui et son hôte se retrouvent face au conseil d’administration de Nintendo, dont fait partie Shigeru Miyamoto. Le jeu est présenté à l’assistance et celle-ci semble assez dubitative. Peu convaincu par ce qu’il découvre, Shigeru Miyamoto rejette la proposition. Masahiro Sakurai comprend alors que l’univers n’est pas assez immersif. À la fin des années 1990, les jeux de combat sont légion et nombreux sont ceux à se vendre difficilement. Satoru Iwata en a bien conscience et craint que l’aspect trop générique du projet soit un frein considérable pour les acheteurs. Après discussion avec Masahiro Sakurai, il s’avère que les deux hommes sont sur la même longueur d’ondes. En l’état, le titre est invendable et doit impérativement mettre en scène des personnages immersifs et attachants. Masahiro Sakurai propose alors une idée complètement folle :
J’ai demandé à utiliser les personnages de Nintendo parce qu’il était très difficile de plonger les joueurs dans l’atmosphère du monde du jeu, alors qu’il s’agissait d’un jeu de combat sur console. Il faut toujours des personnages principaux dans un jeu de combat, car si le joueur voit juste défiler le personnage 1, 2, puis 3, et ainsi de suite, les personnages principaux finissent par se perdre dans la masse. Pour un jeu d’arcade, le développement des personnages n’est pas aussi fondamental puisque c’est le combat qui motive les joueurs. En revanche, pour un jeu de console auquel on joue chez soi, il faut définir l’aspect général ou l’atmosphère du monde dès le départ, sinon le jeu en pâtira. C’est pour cette raison que j’ai souhaité utiliser les personnages de Nintendo.
Comme à son habitude, Satoru Iwata écoute attentivement son employé et note sur son calepin les personnages pouvant être adaptés à un jeu de combat. Ensemble, ils sont persuadés que Shigeru Miyamoto, peu intéressé par le concept, dira non à la simple évocation des personnages de Nintendo. Ils envisagent alors de faire appel à un artiste extérieur au studio pour imaginer des protagonistes et un univers inédits. Masahiro Sakurai est un peu déçu mais il comprend que le pari est osé et qu’il est difficile de lutter contre les décisions de Nintendo, surtout quand ça touche à la propriété intellectuelle de la firme. Aussi, quelques jours plus tard, il tombe pratiquement de sa chaise lorsque Satoru Iwata lui lance :
Écoute, utilisons les personnages de Nintendo sans rien leur dire. On leur montrera le prototype avec leurs personnages et on verra ce qui se passe.
Sur le moment, Masahiro Sakurai n’en revient pas de la décision prise par son boss mais il faut comprendre que Satoru Iwata, à l’époque, est dans les petits papiers de Nintendo. Et notamment du patron, Hiroshi Yamauchi, qui a sauvé HAL Laboratory de la faillite à la seule condition qu’Iwata en devienne le président. Il faut croire que le grand patron de Nintendo avait déjà dans l’idée d’en faire une figure importante de sa compagnie. Quoi qu’il en soit, à la fin des années 1990, Satoru Iwata sait que ses décisions pèsent et c’est pour cette raison qu'il tente ce coup de poker.
Masahiro Sakurai décide alors de modéliser quatre personnages emblématiques de Nintendo : Mario, Samus, Donkey Kong et Fox. En tant que créateur de Kirby, le jeune homme sait à quel point il est important de ne pas dénaturer les œuvres d’autrui, surtout quand ces derniers comptent parmi leur rang un certain Miyamoto.
C’était le premier jeu Nintendo 64 créé par HAL Laboratory et, bien évidemment, je voulais faire quelque chose de bien. Par ailleurs, il y a beaucoup de personnages et chacun d’entre eux a son propre auteur, n’est-ce pas ? Je ne voulais pas trahir les concepteurs de ces personnages. J’ai créé Kirby et il a parfois été utilisé ailleurs et il m’arrive de me dire ‘Mais non, Kirby ne se déplace comme ça, il ne fait pas ça’. Je voulais à tout prix éviter cela.
Il va alors prendre tout son temps pour cibler les capacités que peut avoir chaque personnage, allant jusqu’à analyser les jeux de chacun (les jeux Mario, Metroid, DK, Star Fox) pour définir les déplacements. En parallèle, toujours dans l’optique de séduire Nintendo, il commence à élaborer un guide complet afin de dévoiler, étape après étape, chaque combinaison possible.
Au début de l’année 1998, HAL Laboratory détient un prototype suffisamment complet et demande à rencontrer Shigeru Miyamoto. Pour éviter que celui-ci ne soit surpris par l’utilisation « illégale » des personnages de la firme, Satoru Iwata a fait "pare-feu" auprès du président Hiroshi Yamauchi pour expliquer son approche. Pour le gérant de HAL Laboratory, visualiser des personnages de Nintendo qui se battent est impossible. C’est pourquoi il a pris la décision de développer un prototype permettant de montrer, en un coup d’œil, le potentiel d’une telle opération. Lorsque Shigeru Miyamoto découvre Mario, Samus, Donkey Kong et Fox en train de gentiment se mettre sur la figure, il sourit et reconnaît que les mécaniques, très originales, fonctionnent. HAL Laboratory obtient finalement une petite enveloppe pour finaliser le jeu et le sortir pour Noël de la même année.
LE PHÉNOMÈNE… TARDIF
Masahiro Sakurai et Satoru Iwata (qui, rappelons-le, doit gérer d’autres développements ainsi que la direction du studio) se lancent dans un véritable sprint pour terminer le jeu dans les temps. En cours de route, Kakuto-Geemu Ryūō devient Nintendo All Star ! Dai Rantō Smash Brothers. Le nom met en avant la réunion des protagonistes canoniques de Nintendo et appuie le concept du combat avec le « Dai Rantō » qui signifie rébellion, grand soulèvement, bagarre. En gros, une bonne grosse baston à laquelle HAL Laboratory a accolé les mots Smash pour l’anglicisme qui va bien et Bros. en clin d’œil à la série des Super Mario Bros. En occident, le titre deviendra simplement Super Smash Bros. !
La version japonaise de Super Smash Bros. arrive le 21 janvier 1998 et n’attire pas les foules au départ. Bien que le jeu soit bon et bien réalisé, le public – comme Nintendo d’ailleurs – n’est absolument pas prêt à voir Mario et compagnie se mettre des tatanes dans la figure. Masahiro Sakurai le dit sans langue de bois :
Pour beaucoup de gens, le terme « un jeu de combat avec des personnages de Nintendo » leur font penser à quelque chose de bon marché et de clinquant. Notre plus grand défi était de surmonter cette idée toute faite ou ce malentendu. Un nuage, comme celui qui plane sur votre jeu, peut vraiment affecter sa réception par le public. Le buzz a sa sortie était très négatif et nous avons travaillé très dur pour surmonter ces premières impressions. L’accueil au sein de Nintendo n’était pas très bon non plus. C’était un peu comme : ‘ Hey, Mario doit-il vraiment frapper Pikachu ? Est-ce que ça va dans leur tête ? (Rires) Quand il a été mis en vente pour la première fois, des gens se plaignaient à l’idée que Pikachu tienne une arme à feu. (Rires) Mais dans Smash Bros., votre objectif n’est pas de vaincre ou de battre physiquement votre ennemi, c’est plus comme un jeu de sport où vous marquez des points en éjectant les gens d’une arène. Voilà pourquoi, quand quelqu’un gagne, je me suis assuré d’inclure des sons d’applaudissements pour le vainqueur, et je ne montre pas de cadavres, ou quoique que ce soit d’autre, quand les joueurs perdent toute leur santé. Tout est question de perception, voyez-vous.
En occident, la réception est très mitigée également. Si certains médias s’enthousiasment pour l’arrivée du jeu, d’autres sont plus sur la réserve. Un magazine comme Joypad met 5 sur 10 à la mouture japonaise tandis que Consoles + octroie un 88% à cette même version. Dans l’ensemble, Super Smash Bros. n’est pas incompris mais certains jugent que le titre n’est pas digne d’une production Nintendo en termes de contenu et de gameplay. Aux États-Unis, le constat est identique, les notes variant du simple au double selon les magazines. Pour Masahiro Sakurai, cet accueil a été un peu une douche froide. HAL Laboratory a en effet passé un temps fou à équilibrer les huit personnages (+ 5 cachés).
Dans l’industrie du jeu vidéo, il n’est pas rare que le travail des développeurs – et le phénomène commence, enfin, à être pris à bras le corps – dépassent l’entendement. Mais pour certains créatifs, leur projet en devient maladif. Ainsi, dans une interview donnée au site japonais Nintendo Dream, Masahiro Sakurai a glissé une anecdote qui en dit long sur sa personnalité et son niveau de perfectionnisme :
Au lieu de me mettre au repos quand je tombe malade, je me fais simplement mettre sous perfusion et je vais au travail comme si de rien n’était. Il faut croire que je travaille dur. (Rires) Vous savez, je suis freelance donc je ne suis pas soumis à des horaires de travail strictes. Je pourrais venir au bureau une fois par semaine et cela serait dans les limites du pardonnable, du moment que je termine le jeu. Mais à la place de ça, je m’assure de venir au travail tous les jours et de rédiger des rapports quotidiens convenables. Je travaille tout le temps mais il y a beaucoup de choses qui me font garder le moral.
Le sens du travail au Japon est définitivement légendaire.
Masahiro Sakurai le savait : Super Smash Bros. est un tel concept que le public allait avoir besoin de temps. C’est pour cette raison qu’il a continué à rédiger son guide (qui est ensuite devenu un site officiel, aujourd’hui traduit en huit langues) et à analyser le retour des joueurs, japonais comme occidentaux. Finalement, quelques mois après son lancement, Super Smash Bros. est une vraie réussite au Japon et l’écho nippon commence à porter ses fruits du côté de l’occident. Sans attendre, Masahiro Sakurai commence à plancher sur une suite. Plus ambitieux que jamais, le Japonais va peaufiner son titre durant 13 mois et donner naissance à ce qui demeure, encore à ce jour, probablement l’un des épisodes les plus appréciés avec le petit dernier, Ultimate, sorti sur Nintendo Switch : Super Smash Bros. Melee. Débuté sur Nintendo 64 mais paru sur Gamecube, il est le fruit de l'acharnement de Sakurai. Trois entreprises extérieures ont participé à la conception de la séquence d’ouverture, le créateur a dépensé son propre argent pour faire appel à un orchestre et s’est quasiment mis « en danger » pour mener à bien le projet, sans prendre le moindre repos ou presque. À ce jour, il demeure, selon l’intéressé, le projet le plus intense qu’il ait jamais mené. Mais il est aussi fort probable que sans l'aide de Satoru Iwata, le projet aurait eu du mal à exister. Ce dernier se souvient :
Mon dernier travail en tant que programmeur est intervenu alors que j’étais le General Manager of Corporate Planning de Nintendo. Quelque chose s’est passé et la version Gamecube de Super Smash. Bros était mal embarquée pour sortir dans les temps, alors j’ai en quelque sorte révisé le code du jeu. (Rires) Je vous l’accorde, ce n’est pas le travail correspondant à un manager. (Rires) À l’époque, je suis retourné au siège de HAL Laboratory à Yamanashi et j’étais responsable par intérim du debugging (ou débogage). Donc, j’ai revu le code, corrigé quelques bugs, relu le code et corrigé encore plus de bugs. J’ai ensuite lu le rapport de bugs de Nintendo, compris où était le problème et j’ai demandé aux gens de les corriger… En tout, j’ai passé trois semaines comme ça. Et grâce à cela, le jeu est sorti dans les délais prévus. C’était la dernière fois que je travaillais comme ingénieur « sur le terrain ». J’étais là, assis à côté des programmeurs. On était retranché derrière nos ordinateurs à relire le code, à trouver les bugs et à corriger le tout ensemble.
LA LIBERTÉ SOUS CONDITIONS
En 2003, Masahiro Sakurai décide de quitter HAL Laboratory. Si les deux épisodes Super Smash Bros. sont une parenthèse plaisante, le concepteur est lassé par l’enchaînement des projets gravitant autour de la licence Kirby. Née en 1992, la série et ses dérivés comptent près de 15 titres au début des années 2000 ! Kirby Air Ride sur Gamecube sera ainsi son dernier Kirby en tant que réalisateur (si l’on excepte son rôle de superviseur sur Kirby & the Amazing Mirror). Après avoir obtenu l’approbation de son ancien mentor, Satoru Iwata (devenu président de Nintendo), Masahiro Sakurai s’éloigne de HAL Laboratory et participe à divers projets, dont la collaboration avec Tetsuya Mizuguchi sur le titre Meteos. C’est finalement par un étonnant concours de circonstances qu’il va revenir à Super Smash Bros…
En mai 2005, Satoru Iwata dévoile le projet « Revolution » à l’E3. La particularité de cette machine, qui deviendra la Wii, est (à l’époque) sa fonctionnalité Wifi. En amont de cet évènement, Nintendo a organisé un sondage pour connaître les titres auxquels les joueurs voudraient jouer en réseau. Smash Bros. est arrivé en tête de liste et Nintendo of America a voulu appuyer l’effet d’annonce de la Revolution (future Wii donc) par l’arrivée d’un épisode inédit de Super Smash Bros. disposant de la fonctionnalité Wifi. C’est en tout cas la façon dont la chose a été interprétée par tous les médias – japonais comme occidentaux – sur place. Le problème, c’est que Masahiro Sakurai… n’a, à l'époque, aucun plan de la sorte, il ne prépare strictement rien à ce moment-là ! C’est finalement, plus tard, dans un hôtel de Los Angeles que le deal va se faire entre Sakurai et Iwata (au point où Sakurai va prendre ça comme une « menace » et accepter la proposition) et donner naissance au studio indépendant Sora.
Dans une discussion avec Satoru Iwata, le principal intéressé détaille :
Au départ, nous pensions former une équipe à Kyoto, au siège de Nintendo, mais après moult discussions, nous avons pensé qu’il serait préférable de réaliser ce projet à Tokyo. Nous avons donc loué des bureaux à Takadanobaba, uniquement pour ce projet. J’ai même déménagé là-bas. Après la sortie de Grandia III, nous avons appris qu’une partie de l’équipe de Game Arts n’avait plus rien à faire. Nous leur avons confié le début du développement pendant que nous formions le reste de l’équipe. Nous avons donc pu chercher des développeurs uniquement pour Super Smash Bros. Brawl. Je pense que, sur un projet de ce genre, des liens durables se créent et qu’il est probable que ces personnes, moi y compris, se retrouvent sur un autre projet un jour ou l’autre. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de devenir développeur indépendant. J’en avais assez de travailler avec les mêmes personnes sur les mêmes jeux.
Fruit du travail de 700 personnes (dont 100 à temps complet sur le jeu), Super Smash Bros. Brawl est le premier de la série à permettre la tenue de combats en ligne. Vendu à près de 14 millions d’exemplaires dans le monde, ce fut un gros succès critique et commercial. Il ne comporte pas moins de 39 personnages – dont de nombreux inédits comme Sonic ou Solid Snake – et offre un gameplay enrichi (avec l’arrivée du Smash final, un coup spécial qui se déclenche après avoir brisé une balle Smash).
DERNIÉRE DÉCENNIE ET ESPORT
Après Super Smash Bros. Brawl, Masahiro Sakurai prend, une nouvelle fois, du recul. Chaque épisode de la série lui demande des efforts colossaux et il termine tout le temps sur les rotules. En juillet 2008, pour le remercier, Satoru Iwata offre un repas à son protégé et lui annonce que Nintendo travaille sur une toute nouvelle console portable. De cette discussion va émerger un projet de jeu de tir à la troisième personne qui va devenir le fantastique Kid Icarus Uprising, une franchise endormie et très appréciée en occident. Ce n’est qu’en 2014 que Sakurai revient avec Super Smash Bros. for Nintendo 3DS / for Wii U qui, comme le nom l’indique, est un épisode développé conjointement sur les deux supports (mais chaque volet est indépendant avec des approches visuelles et un contenu différents). Là encore, il est le résultat d’une collaboration poussée entre plusieurs studios. Le jeu comporte cette fois 49 personnages (58 en comptant le contenu additionnel) et intègre des héros célèbres comme Ryu de Street Fighter, Cloud de Final Fantasy VII ou la charismatique Bayonetta du jeu éponyme.
En 2015, Satoru Iwata, touché par la maladie, se sent de plus en plus faible. La nouvelle console de Nintendo est en préparation et l’homme demande à Sakurai de réaliser un nouvel épisode pour cette future machine. À l’inverse des autres volets, l’équipe – qui réalise des contenus additionnels pour l’épisode en court – est déjà en place. Le gain de temps est donc considérable. Satoru Iwata (dont un portrait est à lire ici) est emporté par la maladie le 11 juillet 2015 et Sakurai, fortement touché, décide de réaliser le jeu Super Smash Bros. le plus abouti qu’il ait jamais réalisé. Super Smash Bros. Ultimate voit le jour en décembre 2018 avec un contenu gargantuesque (74 personnages + 12 additionnels, 103 environnements…) et un gameplay offrant une nouvelle mécanique, avec l’apparition des esprits. Partout dans le monde, les ventes sont stratosphériques et le jeu devient, avec 1,23 millions d’exemplaires, le second titre Nintendo le plus vendu au Japon en une semaine. Il est à ce jour le troisième jeu Switch le plus vendu avec plus de 21 millions d’exemplaires écoulés.
En l’espace deux décennies, Masahiro Sakurai a fait de Super Smash Bros. une licence d’exception. Forte de critiques et de ventes exceptionnelles, la franchise a connu une certaine ascension sur la scène eSport mais c’est véritablement l’épisode Ultimate qui a donné à la série l’impulsion dont elle avait besoin. Équipes, écuries, sponsors, tournois… jamais la saga de Nintendo n’a été aussi bien mise en avant. Malgré les promesses faites au monde du sport électronique, l’éditeur n’avait pas répondu aux attentes avec l’épisode Wii U / 3DS. Avec Ultimate, la firme de Kyoto a pris le sujet au sérieux et la filiale européenne s’est notamment démarquée, en mai 2019, par la European Smash Ball Team Cup puis, en 2020, par le Super Smash. Bros Ultimate European Circuit. Il y a tout de même un problème qui cristallise les critiques autour de la scène eSport de Super Smash Bros. : l’argent. Les dotations de Super Smash Bros. sont largement inférieures à celles des autres franchises à forte audience (Dota 2, Fortnite…) et sans ses fans, la licence n’aurait jamais émergé de la sorte sur la scène eSport. Nintendo et Masahiro Sakurai ont beaucoup de mal à accepter cette notion pécuniaire et c’est un peu avec une méthode de "bulldozer" (comprenez par là sans l’accord de l’éditeur) que la série, via Super Smash Bros. Melee, est apparue à l’EVO (Evolution Championship Series), le célèbre tournoi spécialisé dans les jeux de combat. Avec la situation sanitaire, les organisateurs de l’évènement ont dû repenser leur tournoi pour le diffuser en ligne. En 2020, Smash Bros. a ainsi disparu de la liste des jeux à cause de son netcode jugé trop instable et il y a fort à parier qu’il en sera de même pour l’édition 2021. Nintendo, de son côté, s’accommode de la situation et a désormais le champ libre pour organiser ses propres tournois en ligne. L’avenir de la franchise sur la scène eSport est donc assez flou pour le moment. En attendant de voir que ça nous réserve le futur…
En imaginant son prototype au cœur de l’année 1996, Masahiro Sakurai était loin de se douter qu’il allait donner vie à une série intemporelle, d’une richesse hallucinante et désormais incontournable dans le catalogue de Nintendo. Comme escompté, il aura fallu du temps aux joueurs pour qu'ils acceptent que Mario mettent des tartes à ses comparses. Mais désormais, il est évident que l’absence de Super Smash Bros. sur les futures consoles du constructeur sera une anomalie. Alors que l’épisode Ultimate réunit tout ce que la saga a emmagasiné au fil des décennies, il ne reste plus qu’à espérer que son créateur, insatiable bosseur, trouve la flamme pour nous offrir un épisode qui fera encore plus fort.
Et, si possible, en évitant de se dégommer la santé ; )
Trivias :
Si Kirby Air Ride n’avait pas été abandonné sur N64, il est probable que Super Smash Bros. n’aurait pas vu le jour tout de suite. En effet, le jeu de combat à 4 n’était que l’une des quatre productions envisagées par HAL Laboratory à l’époque… et il n’a pas été choisi par Nintendo. La sélection de la firme de Kyoto s’est portée sur un jeu d’action/aventure. Mais quand Kirby Air Ride a été annulé, HAL Laboratory a dû rebondir très vite pour mettre en chantier un second jeu. Les intéressés ont alors récupéré le prototype du jeu de combat à 4 pour l’améliorer, le peaufiner et le présenter à Nintendo. La suite de l’histoire s’est écrite d’elle-même.
Lors d'une entrevue entre Masahiro Sakurai et Satoru Iwata, ce dernier fait l'éloge de Sakurai et raconte l'une des principales qualités de son hôte. Selon Satoru Iwata, Masahiro Sakurai est l'un des rares créateurs à pouvoir visualiser un jeu finalisé alors même que celui-ci est en développement. Il a une idée très concrète du produit final et sait, à chaque fois, sur quel détail travailler pour pouvoir matérialiser sa vision initiale.
Le logo de HAL Laboratory est un chien couvant des œufs. Ce logo, appelé Inutamago (littéralement œufs de chien), est l’œuvre de Shigesato Itoi. Sous l’impulsion de Satoru Iwata, il a été conçu et validé en 1998 afin de marquer la frontière entre les productions de HAL Laboratory et celles de Nintendo. Les gens confondaient les deux et le studio d’Iwata avait besoin d’un logo représentatif.
Le logo de la série Super Smash Bros. est un cercle coupé par deux lignes perpendiculaires. Le croisement de ces lignes représente l'aspect "cross over" de la saga. Quant aux quatre morceaux nés du découpage, ils matérialisent le multijoueur à 4 qui fut à l'origine du concept de la franchise.
Sources :
- Guide japonais Kirby 20th Anniversary
- Guide officiel de Super Smash Bros. par Masahiro Sakurai
- Making of Kirby's Adventure par Shmuplations
- Making of Super Smash Bros. par Shmuplations
- Multiples interviews de Masahiro Sakurai par Sourcegaming.info
- L'histoire du développement de Hoshi no Kirby par Famitsu
- L'histoire du développement de Hoshi no Kirby par Game Watch
- Podcast Masahiro Sakurai / Tetsuya Mizuguchi / Hisakazu Hirabayashi
- The story of Super Smash Bros. par theScore esports
- The origin of Super Smash Bros.
- Interview de Masahiro Sakurai - Archives du site web de HAL Laboratory
- Iwata demande Super Smash Bros. Brawl
- Super Smash Bros. et la scène eSport
- Magazines français Joypad/Consoles +