Le 6 décembre 2018, Epic Games secoue le marché du jeu vidéo sur PC en lançant, juste après la cérémonie des Game Awards, sa propre plateforme de distribution de contenu en ligne spécialisée dans le jeu vidéo. Suite à un accueil de prime abord positif des joueurs, la situation s’envenime rapidement. La colère gronde au sein de la communauté PC qui ne manque pas de qualifier d’agressive la politique de l’éditeur américain. Néanmoins, de l’eau a coulé sous les ponts en l'espace de deux ans. Les mentalités ont changé tout comme la communication ainsi que la stratégie d’Epic Games. L’EGS autrefois perçu négativement par certains pourrait ne plus être en 2020 ce “satan” tant décrié. L’avis des principaux intéressés, à savoir les joueurs, a-t-il véritablement évolué ?
Afin de répondre à cette épineuse question, la rédaction a mis à disposition de ses lecteurs (Site Web) et de ses “followers” (Twitter) un sondage. Sur une période de 24 heures, 325 et 13.857 personnes ont respectivement donné leur avis sur jeuxvideo.com et/ou sur le réseau social mentionné précédemment. L'objectif principal était de différencier les opinions positives vs. négatives concernant l'Epic Games Store ainsi que l'évolution de ces mêmes opinions dans le temps. Voici sans plus attendre les résultats de cette enquête :
Que pensez-vous de l'EGS en 2020 ? | Site Web | |
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Je l'ai toujours appréciée. | 24% | 34,1% |
Mon avis a positivement évolué. | 23% | 35,3% |
J'ai supprimé mon compte. | 5% | 10,9% |
Je boycotte encore et toujours. | 48% | 19,7% |
Premier constat, le nombre de réponses varient énormément selon le média utilisé, et il en va de même pour les résultats qui diffèrent fortement. Ces disparités s’expliquent par la nature des médias eux-mêmes et donc les populations qui s'y trouvent. Le rejet de l’Epic Games Store est encore très présent chez les lecteurs de jeuxvideo.com avec 48% des sondés qui boycottent purement et simplement la boutique en ligne depuis ses débuts. 5% l’ont même quittée au cours des deux dernières années. Sur Twitter, la situation est bien plus favorable à Epic Games. Seulement 19,7% des personnes sondées boudent aujourd'hui l’EGS. Toutefois, 10,9% se sont désabonnés entre décembre 2018 et fin 2020.
Ces premiers chiffres pourraient laisser à penser que l’Epic Games Store conserve une aura finalement négative auprès des joueurs, mais ce serait occulter l’évolution positive de l’avis de 23% (Site Web) et 35,3% (Twitter) des joueurs sur cette même période. A cela vient s’ajouter les 24% (Site Web) et 34,1% (Twitter) de ceux appréciant cette plateforme de distribution dématérialisée sur PC depuis toujours pour un total de 47% d’avis positifs sur jeuxvideo.com et 69,4% sur Twitter. L’opinion publique semble donc changer doucement, mais sûrement en faveur de l’Epic Games Store. Comment pouvons-nous expliquer cette évolution des mentalités ainsi que la défiance qui demeure extrêmement vive à son égard ?
Il convient de rappeler que l’EGS comptait fin 2019 (soit un an après son lancement) 108 millions de joueurs inscrits. Six mois plus tard (juin 2020), un autre rapport mentionnait 61 millions d’utilisateurs actifs ce qui fait de la boutique en ligne d’Epic Games un concurrent sérieux à Steam qui voit d’un bon œil l’arrivée d’un véritable outsider en occident sur PC. Les joueurs reprochaient principalement à Epic Games sa politique agressive d'exclusivités héritée des consoles. Quoi de mieux pour gagner des parts de marché que de sécuriser temporairement (Detroit Become Human, Super Meat Boy Forever, The Outer Worlds) ou indéfiniment (Borderlands 3, Godfall, Hitman 3) certains titres phares ?
Les exemples ne manquent pas, mais ne sont pas toujours à l’initiative de l’Epic Games Store. Ubisoft a ainsi pris sciemment la décision de privilégier cette boutique en ligne et de ne plus passer par Steam pour ses futures productions, et il en va de même pour plusieurs acteurs qui se rangent du côté de l’EGS. Il faut dire que les conditions proposées par la plateforme sont bien plus favorables aux créateurs de contenu. Au-delà de la baisse de la taxe sur la vente des jeux et autres DLC, soit 12% versus 30% sur Steam, les avantages sont nombreux, et sécurisent en partie (selon les accords signés) les investissements consentis.
Cela concerne les studios et les éditeurs, et non les joueurs, me direz-vous. Oui et non ! Leur rémunération impacte durablement l’industrie. L’Epic Games Store a simplement cassé une règle “séculaire”... celle des 30% imposés par Steam... ce qui modifie en profondeur le paysage vidéoludique sur PC. Il faut cependant faire ces annonces d’exclusivités dans les règles de l’art. Metro Exodus est un cas d’école dans ce domaine en signant un accord avec Epic Games quelques semaines avant la sortie officielle du jeu, ce qui remettait en cause les précommandes effectuées sur Steam. La grogne légitime des joueurs s’est de suite fait sentir, et s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux. Nous pourrions également citer Shenmue III, Red Dead Redemption II ainsi qu’Ooblets.
La présence d’exclusivités marquées sur PC dérange. D’un point de vue idéologique, c’est tout à fait compréhensible. Le PC est depuis longtemps une zone supposée franche, même si la situation tend à évoluer avec la multiplication des boutiques en ligne (Origin, Uplay, Bethesda.net…). Toutefois, la politique d’exclusivités d’Epic Games combinée à l’attrait de sa plateforme de distribution a eu un impact retentissant sur la manière de consommer le jeu vidéo sur ordinateur. Les joueurs n’aiment pas être bousculés, et encore moins voir leurs habitudes être chamboulées par un nouvel acteur désireux de pénétrer rapidement le marché du jeu vidéo sur PC.
Epic Games fait par la suite des concessions, et tente de faire bonne figure malgré des exclusivités toujours aussi présentes sur sa boutique en 2020, puis 2021 (Godfall, Hitman 3, Samurai Shodown, The Pathless, Twin Mirror…). Pour y parvenir, l’éditeur américain investit majoritairement dans son programme de jeux gratuits, ce qui séduit de nombreux joueurs autrefois réticents à l’idée de s’inscrire sur l’Epic Games Store. Sur ses 18 premiers mois d’exploitation, l’EGS aurait offert selon les estimations de PCGamesN pas moins de 2000 dollars de jeux parmi lesquels de grands noms : Batman Arkham (trilogie), Blair Witch, Grand Theft Auto V, Kingdom Come : Deliverance, Pillars of Eternity, Watch Dogs 2, etc.
Les joueurs reconnaîssent en majorité les qualités de l’Epic Games Store avec en première ligne les jeux gratuits qui alimentent leur ludothèque chaque semaine sans débourser le moindre centime. Néanmoins, les principaux intéressés pointent du doigt une plateforme (trop) rudimentaire ainsi que certaines exclusivités qui ne sont pas toujours du fait d’Epic Games. La priorité de l’éditeur n’est clairement pas l’amélioration technique de sa plateforme de distribution qui en l’état souffre de plusieurs manques et/ou défauts. Certes, les équipes de développement ont ajouté plusieurs fonctionnalités essentielles au cours des deux dernières années, à commencer par les sauvegardes dans le cloud, le support des mods sur quelques jeux, et surtout une barre de recherche, mais peinent à rattraper le retard pris sur Steam.
Loin de faire l’unanimité, l’Epic Games Store tente de faire amende honorable auprès des joueurs mécontents, et mise principalement sur les jeux gratuits pour les séduire quitte à mettre de côté son développement technique. L’EGS ne semble plus être le vilain petit canard du jeu vidéo, même si le chemin à parcourir s'annonce encore long pour revenir définitivement en odeur de sainteté.