Les queer games, c’est l’idée révolutionnaire que le jeu vidéo peut être fait par et pour tout le monde. Loin des compétitions du meilleur rendu graphique et de la pression d’un marché économique, il existe des jeux accessibles qui viennent directement vous faire vivre des expériences plus personnelles.
C'est quoi des Queer Games ?
Queer était une insulte au début du siècle passé pour désigner tous ceux qui ne rentraient pas dans l’hégémonie blanche, hétéronormée et cis. Depuis, la communauté LGBTIQ et les minorités se sont réapproprié le terme. Cela concerne les personnes racisées, les orientations sexuelles autres qu’hétéro, les handicapés, les personnes victimes de grossophobie, les personnes transgenres, etc.
Ainsi, même si nous pouvons réunir les queer games sous une même bannière, il faut savoir qu'ils ne correspondent pas à un genre de jeu. Ils appartiennent à une philosophie. D'autre part, ce n’est pas parce qu’un jeu inclut des personnages LGBT ou queer que nous sommes face à un queer game. Nous avons vu défiler des titres qui usait de tokénisme, ce qui consiste, d’après la définition donnée par le chercheur E. Y. Chang « à faire un geste superficiel pour l'inclusion des membres des groupes minoritaires. Cet effort symbolique est généralement destiné à créer une apparence d'inclusivité et à détourner les accusations de discrimination ». Parfois, les minorités sont représentées comme exotiques et hypersexualisées (comme ces panneaux publicitaires pour l'achat de boissons dans Cyberpunk 2077). Il faut différencier aussi visibilité et militantisme. Le premier montre, le second défait les stéréotypes. Un queer game ne va pas réduire un personnage à son apparence ou sa sexualité, il partagera le ressenti, les obstacles quotidiens des personnes marginales.
Prenons quelques exemples. Dans Dys4ia d'Anna Anthropy, le jeu vidéo fait figure de récit autobiographique. La créatrice a voulu nous partager de manière très intime son parcours de thérapie hormonale de réajustement de genre. Le titre tout en pixels se veut minimaliste pour se plonger dans le récit et se montrer au plus proche des émotions ressenties par la conceptrice. Autre exemple de titre, Lim de Merritt Kopas. Il s'agit d'un jeu abstrait qui invite les joueurs et joueuses à penser l'intégration et son contraire, la ségrégation. Pour représenter le malaise de se sentir oppressé dans la foule parce qu'on ne convient pas aux normes de la société, des carrés non-genrés de couleur sont utilisés pour l'exprimer. Dans Coming Out Simulator, Nicky Case, un jeune homme bisexuel souhaite faire son coming out auprès de ses parents. Le joueur prend directement part à l'histoire en faisant des choix qui vont influencer la situation, tout en discutant avec le créateur pour se rendre compte de ses sentiments. L'implication du joueur est primordiale comme l'évoque Anna Anthropy dans son livre Rise of the Videogame Zinesters (How Freaks, Normals, Amateurs, Artists, Dreamers, Drop-outs, Queers, Housewives, and People Like You) :
Nous pouvons commencer à considérer le joueur comme quelqu'un qui joue un rôle que nous avons écrit plutôt que comme un public qui vit notre histoire sans aucune contribution quant à son résultat.
Pourquoi le jeu vidéo ?
La question que certains peuvent se poser concernant les queer games est pourquoi l'utilisation du format jeu vidéo ? Pourquoi utiliser ce média, relativement lié à l'idée de jouer dans un but de plaisir instinctif, pour raconter des histoires aux éléments si personnels et parfois, peu ludiques ? La réponse est que le jeu vidéo raconte une histoire, mais surtout, il la fait vivre. C’est un moyen de rendre compte des ressentis et expériences. Le joueur ou la joueuse peut alors se mettre dans la peau d’un personnage, faire partie de l’action et recevoir ce que le jeu a voulu transmettre. L’action prend sens, à travers des objectifs qui font avancer une trame narrative. Le joueur y participe et s’y mêle. Anna Anthropy, figure majeure du mouvement, écrit ceci : “J’aime l’idée que les jeux vidéo sont comme les fanzines : des transmissions d’idées et de cultures d’une personne pour une autre, tel des artefacts personnels au lieu de créations impersonnelles par des équipes de quarante-cinq artistes et quinze programmeurs.”
Se réapproprier le média et ses moyens de production pour produire autre chose que l’industrie, cette dernière répondant surtout à une logique de marché. Tout part du public imaginé et visé, ce qui a une influence dans la conception d’un jeu. On imagine un homme, blanc, hétérosexuel, cis genre : les jeux mainstream en sont inondés. Du coup, cette vision se retrouve dans le développement, dans le choix des équipes, dans le marketing ("une femme ça ne fait pas vendre", mais Horizon : Zero Dawn ou The Last of Us Part II ont prouvé que ce n’est pas vrai, les minorités et les femmes sont public et actrices). Les personnes qui ne correspondent pas à cette hégémonie peuvent apprécier un jeu grand public, pour son scénario ou la proposition de son gameplay, et se sentir exclues ou blessées par le traitement des personnages ou de scènes. Prendre possession du jeu vidéo, c'est une manière de se battre contre les stéréotypes et l'exclusion.
Des outils et du DIY
Le principal message que l’on peut retenir de ces appels à la création et la réappropriation du média, c’est que tout le monde peut devenir concepteur de jeu vidéo. Grâce notamment à des outils disponibles et accessibles depuis Internet, il n’y a pas besoin d’avoir des connaissances techniques très élaborées. Les logiciels d’aide à la création sont nombreux : Game Maker, Games Factory, RPG Maker, Warioware ou encore Twine. Ce dernier permet notamment de se lancer dans le jeu vidéo textuel. Les jeux en flash sont aussi nombreux comme c'est le cas pour Dykie Street qui met en scène le harcèlement de rue et les insultes homophobes. En plus, jouer ou créer ne demande pas d'avoir un équipement informatique dernier cri, ce qui est plutôt écologique.
Même si les queer games et sa communauté proviennent avant tout des pays anglo-saxons, certains ateliers de création ont eu lieu en France. À Paris, Le Reset proposait de découvrir, mais aussi créer, un dimanche par mois, des queer games dans le bar La Mutinerie. Nous retrouvons là la philosophie des queer games puisque l’entraide et la création Do It Yourself sont les mots d’ordre de ces rencontres depuis 2015. Les queer games sont à l'époque très confidentiels en France contrairement aux pays anglo-saxons. L'intérêt de ces rendez-vous réguliers, c'est justement de créer un espace de découverte et de transmission. Le wiki du Reset précise :
L'atelier queer games a été créé par et pour les personnes qui n'osent pas, à qui l'on a trop dit “tu ne sais pas faire”, à celles et ceux qui pensent “ça n'est pas pour moi” ou “je n'ai pas les compétences pour jouer, pour coder, pour créer”, les néophytes, les débutant·es… Notre but, c'est de bidouiller en s'amusant, de prendre confiance en nos capacités et de permettre à des projets collectifs et communautaires d'émerger, en prenant du plaisir et en partant de ce que chacun·e sait faire.
Pour attirer encore plus de monde, Le Reset a profité de la Paris Games Week de 2017 pour promouvoir et gagner en visibilité la Paris Games Queer. L'occasion d'ouvrir encore un plus ses portes à des artistes en herbes.
Les queer games prennent à contre-courant les exploits technologiques pour proposer un autre regard sur le jeu vidéo. Moyen de transmission et d'interaction, ces jeux impliquent plus que jamais les joueurs et les joueuses. Loin des stéréotypes, ils permettent de rendre compte de certaines situations comme l'exclusion et de partager les sentiments de celles et ceux qui nous emmènent dans un récit plus personnel que n'importe quel jeu mainstream. Le jeu vidéo a plein d'histoires à nous raconter et nous faire vivre. Si vous êtes curieux, effectuer la recherche queer game sur itch.io, vous serez surpris de constater qu'il existe un grand nombre de jeu de ce type.