En octobre 90, il y a donc trente ans cette année, sortait celui qui est encore considéré comme une référence absolue du jeu d'aventure : The Secret of Monkey Island. Perçu comme culte par beaucoup et connu même par celles et ceux n'ayant jamais eu l'occasion de s'essayer au jeu, le titre estampillé Lucasfilm Games est le symbole du lancement de l'âge d'or du point'n click et semble traverser avec indécence les outrages du temps.
Rétro Découverte - Pourquoi Monkey Island est-il un si grand jeu ?
Une volonté de changement
En dépit de la bonne humeur manifeste de The Secret of Monkey Island , l'initiative de sa création a été articulée – dans l'esprit - autour d'un article plutôt bougon rédigé en 1989 par Ron Gilbert, créateur de la franchise, sobrement baptisé : « Why adventure games Sucks », comprenez : « Pourquoi les jeux d'aventure craignent ?». Dans ce manifeste, qu'il a choisi de republier son son blog en 2004, il dresse une liste thématique des différents points qu'il estime nécessaire de voir corriger dans l'ensemble des jeux d'aventure de l'époque. Donner du sens aux puzzles sans les rendre trop évidents et faire en sorte qu'ils servent toujours à faire avancer l'intrigue, chronologie du ramassage d'objets utiles à la progression, volonté de ne pas frustrer le joueur... cette énumération loin d'être dénuée de bon sens a fait des émules bien après sa publication, comme l'a d'ailleurs avancé Nicolas Deneschau, auteur du livre Les Mystères de Monkey Island dans les colonnes de France Inter :
«(...) aujourd'hui encore, c'est assez amusant de discuter avec certains game designers (et pas des moindres), et de remarquer que c'est presque leur livre de chevet, cet article. Les pratiques se sont largement améliorées, mais il y a un peu les dix commandements du game design narratif, cette volonté de raconter une histoire via un jeu vidéo, dans cet article-là ». Nicolas Deneschau - auteur du livre Les Mystères de Monkey Island
Si cette vision générale et pertinente du jeu d'aventure est rédigée en 89, c'est sans doute, car le style n'est pas nouveau, tout comme l'humour des productions LucasArts n'a pas été inventé par Monkey Island, comme l'ont prouvé les excellents Maniac Mansion et Indiana Jones and the Last Crusade : The Graphic Adventure , sortis de la même écurie quelques années auparavant. Mais c'est la volonté de proposer un univers rafraîchissant et surtout, de développer une narration savamment pensée qui a dicté l'écriture du jeu par Ron Gilbert, secondés par deux autres grands noms du style en devenir : Tim Schafer et Dave Grossman. C'est ainsi que, après plusieurs mois de travaux mêlant « amateurisme, les soirées pizza, avec par contre, une envie de faire quelque chose de cool, » le titre est passé Gold, comme l'a rappelé Ron Gilbert en dévoilant une photo des disquettes du jeu final, qui est parvenu à gommer les erreurs des précédentes productions LucasFilm et à établir de nouveaux standards pour le développement de ses jeux ultérieurs ainsi que celui de nombreux jeux d'aventure.
Une histoire de pirates
The Secret of Monkey Island, c'est l'histoire de Guybrush Threepwood, qui, désireux de devenir pirate au cœur des Caraïbes, se voit proposer 3 épreuves par des juges du conseil des pirates pour qu'il en obtienne le titre. Au cours de sa quête, le jeune homme croisera le chemin d'Elaine Marley, dont il s'éprendra et trouvera sur son chemin le redoutable pirate fantôme LeChcuks. Toute une galerie de personnages hauts en couleur jalonneront les étapes de la quête de Guybrush, le tout auréolé d'un humour "Monty Pythonesque" à souhait, qui a clairement marqué son époque et qui a pour mérite de ne pas avoir vieilli, même encore aujourd'hui.
Énigmes burlesques, mais intelligentes, dialogues au poil , décors dépaysants et humour omniprésent seront les marques de fabrique du jeu, qui, s'il n'a pas été un énorme succès commercial lors de sa sortie, n'a cependant pas manqué d'être quasi unanimement salué par la critique. Ses graphismes, son histoire, son ouverture, ses personnages sont parvenus à séduire la presse spécialisée, tandis que son aura, elle, aura mis un peu plus de temps à se répandre dans l'industrie. Ron Gibert, lorsqu'il célébrait les 25 ans de son jeu culte, avait d'ailleurs déclaré, à propos de la réception et de la longévité de Monkey Island :
Monkey Island n'a jamais été un énorme succès. Il s'est bien vendu, mais rien de comparable à n'importe quel jeu sorti par Sierra. J'ai commencé à travailler sur Monkey Island II environ un mois après que Monkey Island soit allé à l'usine, sans savoir si le premier jeu allait bien ou s'il s'était fait complètement bombarder. Je pense que c'était une partie de ma stratégie : commencer à travailler dessus avant que qui que ce soit ne puisse dire : "ça ne vaut pas le coup, faisons un autre jeu Star Wars."
Il y a deux choses dans ma carrière dont je suis le plus fier. Monkey Island est l'une d'entre elles et Humongous Entertainment est l'autre. Ils ont tous les deux touché et influencé beaucoup de gens. Des gens m'ont dit qu'ils ont appris l'anglais ou à lire en jouant à Monkey Island. Des gens ont eu des mariages sur le thème du jeu. Deux personnes m'ont demandé si j'étais d'accord pour qu'ils baptisent leur nouveau-né Guybrush. (…) Ça m'impressionne que des gens jouent et apprécient encore Monkey Island. Je n'y aurais jamais cru à l'époque. C'est difficile pour moi de comprendre ce que ça représente pour eux. Je me fais toujours demander pourquoi je pense qu'il a été si important et a eu une telle longévité. Ma réponse est toujours : « je n'en ai aucune idée ». Je ne sais vraiment pas. Ron Gilbert
Monkey Island n'en est pas resté là et effectivement, en 1991 est sorti Monkey Island 2 : LeChuck's Revenge . Il aura ensuite fallu attendre 6 ans pour que sorte en 97 le troisième volet de la saga, The Curse of Monkey Island . La saga a ensuite célébré son passage à la 3D en 2000, avec Escape for Monkey Island avant que Telltale ne codéveloppe un jeu épisodique de Monkey Island avec TTales of Monkey Island .
Un avenir incertain
Cependant, si les différentes déclinaisons sont de qualité, ce sont essentiellement les deux premiers opus qui ont marqué leur génération, et la série s'est d'ailleurs offert une petite touche de modernité grâce à une « Special Edition », qui offrait une refonte graphique afin de moderniser le design global des premiers jeux, sans pour autant les dénaturer. De quoi notamment, faire découvrir avec un jour plus contemporain des titres cultes à toute une nouvelle génération, à une ère où le point'n clic n'est plus le genre incontournable qu'il était à l'époque.
Si la légende du jeu est encore bien vive dans les mémoires et que Monkey Island est encore considéré comme l'alpha et l'omega du point'n clic à l'ancienne, son avenir ne se présente malheureusement pas sous les meilleurs auspices. Effectivement, Disney ayant racheté LucasArts en 2020, les droits de la franchise Monkey Island leur ont été transférés dans la foulée. En 2016, alors que Dinsey manifestait son envie d'abandonner le développement de jeux vidéo, Ron Gilbert à tweeté la demande suivante :
Dear @Disney, now that you're not making games, please sell me my Monkey Island and Mansion Mansion IP. I'll pay real actual money for them.
— Ron Gilbert - Not here anymore, on Mastodon now (@grumpygamer) May 23, 2016
Cher Disney, maintenant que vous ne faites plus de jeux, s'il vous plaît, vendez-moi ma propriété intellectuelle sur Monkey Island et Maniac Mansion. Je paierai du vrai argent pour elle.
Les chances de revoir un jour la suite des aventures de Guybrush sont malheureusement très minces. Outre le fait que Disney n'ait jamais manifesté l'envie de restituer les droits de la franchise à son propriétaire, ce dernier était assez lucide, s'estimant assez peu capable de faire un nouveau Monkey Island sans un total contrôle créatif sur le jeu. Et comme il vaut mieux souvent laisser le sacré là où il est, profitons plutôt de ce 30e anniversaire pour découvrir ou redécouvrir les aventures de Guybrush qui elles, ne prennent pas une ride et font encore sentir tout le poids qu'elles ont eues sur le paysage vidéoludique et sur le jeu d'aventure en particulier.