Voilà plus de 3 ans déjà que The Legend of Zelda : Breath of the Wild a bousculé les joueurs et le jeu vidéo en monde ouvert par la même occasion. L’attente fut longue et nombreux étaient ceux à avoir placé des attentes démesurées en ce nouvel opus. J’étais l’un d’entre eux et cette nouvelle itération d’une des sagas phares de Nintendo ne m’aura pas déçu. Mais comment aurais-je pu me douter alors que ses qualités modifieraient profondément mes habitudes de joueur et m’empêcheraient d’apprécier pleinement tous les open world qui lui succédèrent ?
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
L'appel de l'aventure
Je me rappelle très précisément de mes premières heures en compagnie de BOTW. Les premiers émois liés à la découverte de tous ses systèmes de jeu qui se répondent, l'exaltation ressentie à l’idée d’enfin fouler les plaines d’Hyrule après toutes ces années, l’étourdissante sensation d’ouverture offerte par un monde modelé dans le seul but de satisfaire ma soif d’aventure… Difficile de ne pas être admiratif face à l’attention aux détails et aux puzzles ingénieux que le Grand Plateau réserve. Ce tutoriel ludique de plusieurs heures est la plus pure expression du game design de Nintendo. Cette zone d’une logique implacable et d’une élégance de design folle laissait déjà présager une grande épopée, mais c’est bien l’obtention de la paravoile et le jeu qu’elle révéla qui changea ma vision de l’open world.
“Comment ça ? Il est possible d’aller cogner Ganon toujours affublé d’un slip et armé d’un bâton ?“ “Attendez… Je peux vraiment escalader cette montagne ?” “Eh, mais… C’est quoi là bas ?” Cet émerveillement constant a rythmé me sessions tout du long. À chaque fois que je me demandais si une interaction était possible, le jeu me répondait “Bien sûr !”. Cette liberté folle permit la création d’innombrables microhistoires dont je me souviendrai longtemps. Aucun jeu jusque là ne m’avait offert un tel champ d’action avec autant d’aisance. Une même zone m’était accessible depuis les cieux, depuis le flanc de la montagne ou en suivant la rivière en contrebas.
Mieux encore, toutes les trajectoires et tous les itinéraires que je prenais étaient miens. J’organisais alors mes voyages en fonction des informations récupérées auprès des habitants ou après avoir difficilement atteint le sommet d’une tour Sheika. Pour arpenter efficacement les plaines d’Hyrule, je me devais de les analyser, de me les approprier. Ces décisions ne furent dictées par personne d’autre que moi. En effet, aucune mission impromptue ne venait me détacher de ma route ou me mettre en échec pour une considération arbitraire. J’allais où mon envie me guidait. Seules les créatures divines verrouillaient alors la progression et ces donjons sur patte se payaient même le luxe d’être facultatifs. Finalement ce qui m’étourdit à l’époque c’est bien l’immensité écrasante de possibilités et l’agréable sensation que rarement le monde ouvert avait eu autant de sens.
Étant le seul dans mon entourage à posséder le jeu, je vis plusieurs de mes proches s’essayer à Breath of the Wild. J’ai donc pu assister aux 10 premières heures de ce Zelda, expérimentées par 4 personnes différentes en l’espace de 2 semaines. Hormis les cut-scenes, aucune situation ne semblait se répéter. Même sur le Grand Plateau, chaque joueur adoptait un comportement différent. Certains fonçaient au village Cocorico dès l’instant que la paravoile leur était offerte tandis d’autres se contentaient très bien du plateau et du premier Golem qu’il abrite. Je découvrais continuellement de nouvelles interactions, de nouveaux événements ou des zones cachées que mon style de jeu m’avait fait négliger. Cette anecdote est triviale, certes, mais a fait office de révélateur pour moi qui réalisait finalement qu’aucun jeu jusqu’alors n’avait recentré à tel point l’exploration, l’aventure et le joueur lui-même au coeur de son game design.
Suivez le guide
Malheureusement ce sentiment laissa vite place à de l'amertume une fois le jeu terminé et un autre monde ouvert lancé. C'est un exemple parmi bien d'autres, mais malgré toutes ses qualités et le plaisir incommensurable que j’ai eu à le parcourir et à le laisser me raconter son histoire, Red Dead Redemption II m’aura frustré. Difficile après autant d’attente de ne pas constater certaines vieillesses de design quand une mission nous met en échec pour avoir quitté la route plus de 15 secondes. Ce genre d’écueils archaïques furent fréquents dans mon expérience de jeu. Alors que tous les systèmes de BOTW se répondaient pour ne former qu’un tout d’une cohérence folle, RDR 2 m’apparaissait comme un titre scindé en deux.
Les missions peinaient à s’intégrer pleinement au monde ouvert et balisaient ma route. Pire encore, je me rendis vite compte que lors de mes déplacements, mes yeux suivaient machinalement la courbe pourpre qui se dessinait sur ma boussole plutôt que de se poser sur les sublimes étendues sauvages. Pourtant, ça ne m’avait jamais gêné à l’époque de Red Dead Redemption premier du nom ou lorsque je nettoyais les camps de mercenaires de Far Cry 3 . Ici, mes déplacements étaient devenus aliénants et j’enchainais machinalement les allers-retours entre les marqueurs sur la carte.
Il en va de même pour Assassin's Creed Odyssey dont le contexte historique fantasmé et la proposition ludique avaient de quoi me séduire. Ici c’est la surabondance d’indicateurs, de jauges, de chiffres, d’éléments d’interface, de loot et d’informations qui auront eu raison de moi. Les PNJ ne cessent de nous réquisitionner et comme beaucoup de productions Ubisoft en monde ouvert, la plus grande peur du titre est que le joueur s'y ennuie. Ainsi il ne cesse de lui ajouter des objectifs et de le solliciter.
La tranquillité et la quiétude offerte par les moments de vide décriés par les détracteurs de BOTW sont pour moi une de ses plus grandes forces. Jugés ennuyeux par toute une tranche de joueurs (un reproche légitime en soi), ces instants permettent à ceux qui le veulent bien de s’immerger dans l’univers du titre et de donner de la valeur à chaque découverte. Malgré les reproches formulés plus haut j’ai un peu retrouvé cet état d’esprit en explorant librement le monde ouvert de Red Dead Redemption 2. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le dernier jeu en monde ouvert dont j’ai vu la fin. Si énormément d’éléments de gameplay et scénaristiques séparent ces deux titres, ils ont un point commun qui fait toute la différence pour moi et les joueurs qui partagent mon profil : Ce sont des jeux qui prennent leur temps. C'est pourquoi des titres qualitatifs, mais à l'exploration et à la progression plus balisées ne m'ont pas accroché. Horizon : Zero Dawn , Far Cry 5 , Days Gone , Watch Dogs 2 .... Autant de jeu de qualité que j'ai abandonné au bout de quelques heures ou que je n'ai finalement même pas essayé, car l'envie de m'y perdre n'est jamais venue.
Finalement ces “autres open world” n’ont pas changé. C’est bien mon rapport avec eux qui est désormais différent. Nous parlons ici de philosophie de game design et non de qualité intrinsèque. Mon but n’est donc pas de mettre en opposition des formules qui sont faites pour coexister, mais bien de verbaliser un ressenti qui, j’en ai la conviction, est partagé par d'autres joueurs. Le tour de force de The Legend of Zelda : Breath of the Wild est bien d’avoir fait du monde ouvert une fin en soi et non un support à un scénario, une ligne sur une checklist ou une feature parmi d'autres. C'est pour cela qu'on en parle toujours plus de 3 ans plus tard et que l'on continuera de le faire pour bien des années.