Avec la récente annonce de Mario Kart Live, Nintendo remet la réalité augmentée dans le giron des consoles. Car voilà des années que l’on associe la technologie aux smartphones, support où elle a connu des sommets de gloire avec Pokémon Go. Mais avant de se loger dans le fond de nos poches, l’AR a d’abord fait ses armes sur PC, PS2 ou encore 3DS. Topo sur son histoire.
Certaines histoires cachent des origines que l’on ne soupçonne pas. Et on peut sans problème rajouter la réalité augmentée à cette liste. Faisant ses premiers pas dans les labos de l’US Air Force au début des 90’s, la technologie attend une dizaine d'années avant d'être associée à son premier jeu vidéo. Pour ce baptême de l'air, c'est le grand Quake qui fera office de cobaye. Mais pas le troisième opus, qui cartonne pourtant à l'époque. C'est à l'épisode fondateur, sorti en 1996, que revient cet honneur.
Il suffit de regarder les images d'AR Quake (dispo ci-contre) pour sentir la bonne odeur de la technologie balbutiante. C’est à quelques gars de l'Université d'Australie du Sud que l’on doit l’invention. Avec le projet Tinmith, ils bidouillent les PC de l'époque jusqu'à assembler un ordinateur compact, capable de tenir dans le dos (de quoi rappeler nos kits VR portables d’aujourd’hui). Ils y ajoutent des lunettes de réalité augmentée, un pistolet, et rafistolent le code pour qu'il s'adapte aux environnements réels.
Sans surprise, le projet n'avait pas pour ambition d'être commercialisé (à moins de vouloir investir 10.000 dollars, prix du prototype à l'époque). Mais il ne faudra pas attendre longtemps avant que la réalité augmentée ne drague le grand public. Pas dans sa forme imaginée par les geeks de l'Université d'Australie, un support vissé sur le nez et des polygones vivants (car tracker le regard de l'utilisateur pour pas cher est alors un sacré problème). Mais dans une forme suffisamment convaincante pour faire vendre. On est en 2003 et c'est l'arrivée de l'EyeToy sur la PlayStation 2.
EyeToy Play - Spot TV
Sony à l’oeil
Pour la faire simple, l’EyeToy est une petite caméra que l’on fixe sur le sommet de sa télé - cathodique, s’il vous plaît - afin que le joueur apparaisse en jeu, et que ses mouvements aient une incidence sur ce dernier. Sur son blog, PlayStation affirme qu’à l’époque, il s’agissait du “seul moyen de vous voir à l'écran et d’interagir avec des objets virtuels en temps réel”. Difficile aujourd’hui d’infirmer ou de confirmer l’information. Ce qui est sûr, c’est que le petit accessoire rencontre un succès non-négligeable. En 2008, on estimait ses ventes à un peu plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde alors que la PS2 culminait à 130 millions d’unités écoulées.
L’EyeToy marque un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (littéralement). On pourrait aujourd’hui rire de son design old-school et de sa compilation de mini-jeux EyeToy Play, où il fallait mettre des mandales à des ninjas virtuels et enchaîner les dribbles invraisemblables du haut du crâne. Mais ne vous y trompez pas : la caméra de Sony livrait de bonnes sensations. Et elle reste sans aucun doute l’un des accessoires les plus marquants de la PlayStation 2.
Sony a ensuite tenté de transposer la formule EyeToy sur PSP et PS3, mais sans rencontrer le même succès. On peut citer EyePet Adventures sur la console portable et The Eye of the Judgement, véritable fantasme pour les fans de Yu-Gi-Oh où des cartes physiques prennent vie, pour celle de salon. Dans le même temps, l’un des premiers jeux en réalité augmentée arrive sur Nokia, avec un framerate défiant toute concurrence (notez l'ironie). Mais avant que la technologie connaisse ses heures de gloire sur mobile, c’est un autre gros acteur du jeu vidéo qui va la mettre en avant. Un certain Nintendo.
Nintendo et son "caméraméra"
C'est sans doute la 3DS qui vous vient à l'esprit quand les mots "AR" et "Nintendo" sont associés. Mais la technologie était déjà utilisée sur la portable précédente du constructeur, la DSi, sortie en 2008. Un modèle quasi-identique à la DS Lite mais équipée de deux caméras. L’ajout n’avait d’ailleurs pas grande utilité, si ce n'est déformer les traits de son visage à partir d’une photo. Nintendo avait cependant de plus grands projets pour ces caméras. Pour preuve, le trailer de Ghostwire : Link to the Paranormal, qui vous met aux commandes d’un appareil photo - la DSi - pour retrouver des fantômes cachés dans votre salon. Un peu à la manière d’un Project Zero mais dans la vraie vie.
Ghostwire : Link to the Paranormal - Trailer
Le projet n’a toutefois pas abouti. Sur Facebook, les développeurs évoquent de “mauvaises décisions commerciales, la mauvaise technologie et le mauvais partenaire”. Et si vous voulez tout savoir, sachez que le titre est récemment devenu “Untitled Ghost Game” pour éviter toute confusion avec Ghostwire Tokyo, le nouveau bébé de Shinji Mikami, principal créateur de la saga d’horreur superstar Resident Evil.
Ce faux départ n’a pas empêché Nintendo de pousser davantage la réalité augmentée sur 3DS (on est alors en 2011), au point de rajouter une troisième caméra sur sa nouvelle machine, notamment pour améliorer le rendu de la technologie. Car pour Big N, l’outil offre de nouvelles possibilités pour jouer, et s’inscrit parfaitement dans la démarche “jeu / jouet” installée avec la Wii quelques années auparavant.
Mais de nouveau, la réalité augmentée ne sera pas vraiment exploitée, malgré les quelques fonctionnalités livrées avec la console, comme la fameuse “Guerre des têtes”, mini-jeu où il fallait abattre des visages tout autour de soi. Kid Icarus Uprising et Bravely Default ont bien tenté des choses avec la technologie (des combats à la Yu-Gi-Oh pour l'un et une cinématique en AR pour l'autre). Mais les exemples sont rares. Sûrement à cause de l'aspect "gadget" que dégage le tout sur une machine prévue pour être gardée bien en main.
Smartphone en résidence principale
C’est en revanche une licence Nintendo qui va transformer la réalité augmentée en véritable phénomène. Le genre de phénomène qui fait se déplacer des masses entières dans les rues et pousse les joueurs à entrer dans des lieux interdits. Pour capturer des petites créatures colorées. Vous l’aurez compris, il s’agit de Pokémon Go. On parle du titre de Niantic comme du jeu mobile de tous les records, et à raison. D’après le Guinness World Records, il s’agit de l’application ayant rapporté le plus d’argent lors de son premier mois de parution (206 millions de dollars) ainsi que la plus téléchargée sur cette même période (130 millions de fois). Aujourd’hui, on a dépassé le milliard de téléchargements. Rien que ça.
Deux raisons expliquent ce succès fou : l’aura de la licence Pokémon, qui brasse un public plus large que les hardcore gamers. Mais surtout le système de jeu mis au point par Niantic, basé avant tout sur la géolocalisation, où il faut mettre le nez dehors pour pouvoir jouer. Une formule qui avait déjà fait ses preuves sur Ingress, précédent titre du studio. La réalité augmentée pour capturer “en direct” les Pokémon a fait le reste.
Pokémon Go - Une mise à jour pour l'été 2020
Pokémon Go a ainsi ouvert la voie à différents jeux basés grosso modo sur le même modèle : on peut par exemple citer Harry Potter : Wizards Unite, également développé par Niantic, le récemment annoncé The Witcher : Monster Slayer ou encore Minecraft Earth. Même si pour ce dernier, les ambitions en termes de réalité augmentée sont plus grandes. Il est ainsi possible de se déplacer directement autour voire à l’intérieur d’une structure, d'interagir avec d’autres joueurs, etc. Une jolie prouesse, sans doute annonciatrice du bond technologique que nous réservent les lunettes AR, comme celles récemment évoquées par Facebook.
En attendant ce futur radieux pour la réalité augmentée, déjà prophétisé par les Glasses de Google - sans pour autant que ces dernières ne voient réellement le jour -, d'autres pistes sont possibles. Et même d'autres tours de piste. Lors des 35 ans de Mario, Mario Kart Live a en effet surpris son monde : il s'agit d'un hybride entre voiture télécommandée et AR, où il faudra tracer soi-même les circuits avec différents accessoires. La caméra quant à elle (car la Switch n'en possède pas) sera installée sur le haut du petit véhicule. La facture sera assez salée - une centaine d'euros - mais il faut l'admettre : la réalité augmentée a encore quelques coups à jouer.