Le 18 septembre dernier, Michel Ancel, le papa de Rayman ou encore de Beyond Good & Evil, annonçait se retirer du secteur du jeu vidéo après avoir travaillé pendant plus de trente ans dans ce domaine pour s'adonner à de nouvelles passions, créer un refuge pour animaux. Dans la foulée de cette annonce particulièrement importante pour les joueurs, Solidaires Informatique avait publié un message sur Twitter ainsi que sur leur site officiel pour préciser que le départ de Michel Ancel ne serait pas simplement le fruit du hasard, mais que cela concordait avec le lancement d'une enquête interne sur sa personne.
Michel Ancel, le créateur de l'une des plus grosses icônes du jeu vidéo, à savoir Rayman, travaillait depuis près de sept ans sur deux projets aux ambitions monstres lorsque ce dernier choisi de mettre fin à ses fonctions. Le premier n'est autre que WiLD, une production financée par Sony dévoilée pour la première fois lors de la gamescom 2014. Le second est bien évidemment Beyond Good & Evil 2, le sujet central d'une nouvelle affaire pointant du doigt le comportement dit toxique du récent retraité par les membres de ses équipes. Le développement de Beyond Good & Evil 2 (qui s'apprêtait à entrer en phase de production avant que le COVID-19 pointe le bout de son nez) est donc décrit comme chaotique et douloureux par une quinzaine de salariés d'Ubisoft. Des salariés qui se sont récemment confiés au quotidien Libération qui avait investi les open-spaces d'Ubisoft afin d'enquêter sur les coulisses du projet devant faire suite à l'une des oeuvres vidéoludiques les plus marquantes de l'année 2003.
Beyond Good & Evil 2 serait donc un projet trop ambitieux qui, aujourd'hui, serait à l'origine de nombreuses dépressions et autres burn-out. La cause de tout cela donc, serait le comportement inadapté de Michel Ancel qui, selon les différents interviewés par Libération, agit en toute impunité, protégé par une relation privilégiée qu'il entretient avec Yves Guillemot, le directeur d’Ubisoft. En ayant carte blanche sur sa création, Michel Ancel n'hésiterait pas à revenir sans cesse sur des idées et des conceptions, balayant par la même occasion des semaines ou des mois de développement. Comme exemple, l'un des développeurs affirme que l'équipe a déjà recréé quatre ou cinq fois Ganesha City, la métropole que l'on a déjà pu apercevoir lors de la bande-annonce du jeu diffusée à l'E3 2017.
Les vidéos ont été faites à la main, en rush, sous le contrôle de Michel. Tout a évidemment été jeté depuis. La ville de Ganesha City, qu’Ancel voulait absolument qu’on fasse avec un niveau de détails complètement débile, on vient à peine d’en sortir trois ans après, et on l’a refaite déjà quatre ou cinq fois. Sachant qu’il faut faire plusieurs planètes, vous imaginez l’absurdité de ce type de raisonnement. Développeur anonyme à Libération
Beyond Good & Evil 2 enfin officialisé après 14 ans d'attente !
Ce n'est bien évidemment pas les seuls reproches qui sont attribués à la superstar d'Ubisoft, puisque les développeurs pointent également du doigt les changements d’orientation incessants du projet, et le fait que Michel Ancel ne laisserait aucune liberté aux développeurs. Selon ces derniers, aucune décision ne peut être prise sans l'aval du chef.
Michel a besoin que les idées lui appartiennent. Il préfère souvent improviser un truc à lui plutôt que d’écouter l’équipe et regarder le travail structuré qu’on a fait à sa demande.Il est capable de vous expliquer que vous êtes un génie, que votre idée est formidable, pour ensuite vous démonter en réunion en disant que vous n’êtes qu’une merde, que votre travail ne vaut rien et ne plus vous parler pendant un mois. C’est quelqu’un qui a un processus créatif qui est à base d’érosion, d’érosion de sa vision et des personnes qui l’entoure. Développeur anonyme à Libération
Devant un problème concret, un chef doit montrer la direction, mais surtout ne pas apporter la réponse. Sinon, les "petites mains" ont l’impression de ne servir à rien et se trouvent dépossédées de leur travail. Développeur anonyme à Libération
La bonne entente entre Yves Guillemot et Michel Ancel est également vue d'un mauvais oeil. Selon les dires des anciennes équipes du directeur créatif, Yves Guillemot lui avait accordé beaucoup trop de pouvoir et d'autonomie. Michel Ancel avait l'autorisation de travailler sur deux projets en même temps. Ses matins étaient donc consacrés à Beyond Good & Evil 2, tandis que ses après-midi étaient dévouées à Wild Sheep, son propre studio en charge du développement de WiLD.
Oui, il y a une volonté claire d’Yves et Ubisoft de donner de l’autonomie. Est-ce qu’il y en a eu trop ? Je ne sais pas (...). Tout ça est exacerbé par la dimension du projet pour un studio qui n’a jamais rien fait de cette ampleur. Les derniers gros jeux de Montpellier se faisaient à 30 ou 40, là on parle de 250 personnes avec des collaborations de partout. Les gens veulent travailler comme avant, ils veulent leur zone de confort, ils perdent leurs repères. On adorerait bosser tout le temps sur les acquis du jeu d’avant. Peut-être qu’il y a eu trop de changements d’un coup, la taille, la R&D, trop de choses nouvelles. Michel Ancel à Libération
Pour accélérer le processus de développement donc, Ubisoft a choisi d'accueillir Jean-Marc Geffroy, le game director de la licence Ghost Recon, "pour servir d’opposant à Michel Ancel", et de mettre en place un comité de direction pour superviser le projet. C'est à cette période précise que Michel Ancel a commencé à vouloir quitter le projet, la faute à une mauvaise entente entre les deux têtes pensantes.
À un moment, le projet n’avait plus de corps, c’était des cubes qui combattaient des cylindres et il y avait une forme de régression. Je me demandais ce que je faisais dans le projet. J’ai contacté Yves, pour lui dire que Jean-Marc avait pris les rênes et que BGE2 n’était plus le projet de Michel Ancel. Yves et Serge m’ont répondu que non, ils nous voulaient tous les deux, pour avoir Ghost Recon et Beyond Good and Evil sur le même projet. À la fois une méthodologie et une vision. Et ils m’ont demandé de me réinvestir, de remettre ma patte. Facile à dire, beaucoup moins à faire, parce qu’il y a une équipe derrière. Michel Ancel à Libération
Début 2019, suite aux nombreux déboires auxquels fait face le studio basé à Montpellier, le PDG Serge Hascoët décide d'offrir un ultimatum aux développeurs. L'équipe devait proposer en une année un "first playable", une démo qui permettrait à l'équipe de se faire une petite idée du rendu final du jeu, sous peine de voir leur création se faire annuler.
Du coup, on a passé trois jours à reconsidérer la trajectoire. Et ils ont demandé quelque chose plus proche de ce à quoi le jeu ressemblait quand j’étais à la tête du projet. Avec plus d’histoire. Donc on m’a réintégré un peu plus et on s’est lancés sur une démo pour avoir toute l’expérience, le "first playable". Sauf que ça a duré plus longtemps que prévu. Dans ce cas-là, il faut attendre, laisser le temps aux équipes. Et mon rôle s’est réduit à peau de chagrin… J’ai entamé cette trajectoire de sortie. Du projet, du jeu vidéo en général. Michel Ancel à Libération
Cette fameuse démo validée au printemps dernier, permet au titre d'entrer finalement en phase de production, mais entre-temps, Michel Ancel s'efface peu à peu du développement du jeu, et comme précisé en début de l'article, la pandémie mondiale fait son entrée. Bien évidemment, le passage en télétravail n'arrange en rien la situation déjà délicate du projet.
Aujourd'hui donc, après s'être absenté pendant de longs mois du projet Beyond Good & Evil 2, Michel Ancel fait l’objet d’une enquête au sein d’Ubisoft suite à des plaintes déposées à son encontre, alors que ce dernier décidait justement d'arrêter complètement le jeu vidéo pour simplement changer d'air. Il annonce par la même occasion à Libération qu'il était conscient que cette aventure était particulièrement difficile, mais qu'il ignorait que cela avait provoqué autant de souffrance aux membres de son équipe.
Faire refaire des choses, c’est le lot d’une telle création. On y est préparé ou pas, on a déjà vécu ce genre de situation ou pas. Sur des projets de cette envergure, rien n’est acquis. Beaucoup de personnes n’y étaient pas préparées. On sort tous de notre zone de confort, moi y compris. On se met à nu : moi, je suis évalué comme «pas compétent», comme «le chef qui ne sait pas où il va». Les gens deviennent ceux qui gomment, ceux qui refont, et il y a une impatience. La souffrance est des deux côtés. Oui, c’est difficile et il y a des gens qui sont tristes. Michel Ancel à Libération
Pour finir sur cette longue mise en point sur les coulisses du jeu Beyond Good & Evil 2. Michel Ancel annonce une fois de plus que sa décision de quitter le monde du jeu vidéo ne date pas d'hier.
C’est quelque chose que je prépare depuis longtemps. J’ai l’impression que mon premier jeu, The Teller sur Atari ST, c’était avant-hier, sauf que j’ai quelques cheveux blancs. J’ai une fille qui a 8 ans et ça fait sept ans et demi que je suis sur BGE2 et WiLD, forcément, je me pose des questions. Ça fait un an et demi que je lève le pied, pour progressivement quitter BGE2. Michel Ancel à Libération
De son côté, Beyond Good & Evil 2 continue son petit bonhomme de chemin, et cette fois-ci, sans les directives de Michel Ancel. Libération précise même que l'équipe accueille aujourd'hui de nouveaux membres et que le studio compte bel et bien repartir sur de nouvelles bases pour aller au bout de ce long développement.
Beyond Good & Evil 2 : Condensé du gameplay présenté en stream
Vous aimerez également :