S'il est présent dans le paysage vidéoludique depuis déjà des années, Epic a énormément fait parler de lui depuis l'explosion absolue déclenchée par le raz de marée Fortnite. Fort d'un succès considérable, l'entreprise a ensuite bousculé les codes du store PC en ligne avec son Epic Game Store, qui a créé beaucoup de remous et suscite autant la grogne que l’enthousiasme parmi les joueurs. Aujourd'hui, vous le savez, Epic s'est senti les reins suffisamment solides pour attaquer en justice Apple et Google, reprochant depuis toujours aux deux géants leur situation de monopole.
Epic n'est pas content et il le fait savoir. Pour faire simple, il estime effectivement que les commissions prises par Google et Apple lors des paiements in app sur Fornite sont excessives et avait donc intégré la possibilité d'acheter des V Bucks à moindre coût si le paiement était directement effectué vers Epic sans passer par la case 30% de commission. Fortnite est alors retiré des stores iOS et Android, déclenchant alors une action en justice très documentée à l'encontre des deux GAFAM. Epic hurle au scandale du monopole des deux géants américains, et précise au passage que la commission ponctionnée par ces entreprises est trop élevée compte tenu de leur large base utilisateur. Pour mieux faire comprendre son propos, Epic a diffusé, sur la chaîne youtube de Fortnite une parodie d'une publicité Apple qui en son temps critiquait le monopole qu'IBM avait sur le marché de l'ordinateur. La riposte d'Apple ne s'est pas fait attendre et menace Epic de révoquer ses accès développeur ce qui pourrait avoir des conséquences énormes sur la pérennité de l'Unreal Engine.
Se sentant lésé, appelant à la révolution et au boycott de pratiques qu'il juge injuste, Epic s'autoproclame donc comme chevalier blanc du jeu vidéo et défenseur d'une cause qui concerne tous les développeurs, ce qui est en accord avec sa politique agressive menée depuis la fondation de son store. Alors certes, à bien des égards, Epic peut se vanter d'avoir des arguments solides pour prouver ses mérites. La commission ponctionnée par l'entreprise sur chaque vente de jeux est inférieure de 18% à celle de Steam, des titres de qualités sont livrés régulièrement et gratuitement aux joueurs. Je n'ai d'ailleurs jamais pensé que les exclusivités de l'Epic Game Store étaient un mal puisqu'elles ne m'ont jamais contraintes, comme sur consoles, à devoir changer de machine, mais simplement de launcher pour pouvoir y jouer. Mais Epic a cependant une certaine audace dans son attitude. Outre le fait que parodier Apple sur sa propre chaîne revient à invoquer ses joueurs pour s'en servir de troupes et les rallier à sa cause d'une manière franchement discutable, c'est aussi dans l'évocation du 1984 de George Orwell que se trouve le paradoxe chez Epic, qui n'est clairement pas le dernier à s'abreuver de données utilisateurs.
En outre, Epic se positionne comme un éditeur lésé et injustement privé d'une partie de ses bénéfices. Mais Epic n'est pas une petite entreprise qui aurait besoin qu'on lui donne un coup de pouce pour redresser ses finances. Valorisée à 15 milliards de Dollars, Epic a les épaules suffisamment solides pour se plier aux règles du jeu qui, aussi discutables soient-elles, sont finalement acceptées par une majorité de développeurs et d'éditeurs. Si Tim Sweeney n'a jamais caché son aversion pour les commissions pratiquées par Apple et Google, et qu'en un sens il a fait coïncider ses propos avec les actes sur son store, Epic a trop tendance à se poser comme un éditeur exempt de tout reproches alors que décrier la situation de monopole rentre aussi en conflit avec sa stratégie d'exclusivités qui implique forcément un peu la même notion, puisqu'elle « contraint » le joueur à se diriger directement sur sa plate-forme et donc à lui verser de l'argent plutôt qu’à la concurrence. S'arroger une exclusivité même provisoire, c'est aussi s'arroger un monopole en restant, pour une plate-forme du moins, la seule option possible pour jouer à tel ou tel jeu.
Aujourd'hui, il y a fort à parier qu'Epic a besoin d'Apple, mais la réciproque n'est pas nécessairement vraie, même si se priver de l'Unreal Engine pourrait avoir quelques répercussions sur la diversité de son catalogue abreuvé de nombreux développeurs tiers se servant de l'Unreal Engine pour façonner leurs titres. Dans ce duel qui oppose Epic à deux véritables mastodontes, il faudra attendre que la justice tranche pour savoir qui ressortira vainqueur de cette procédure. Si l'on peut soulever une arrogance de la part d'Epic dans son discours que ne tient toujours pas la route face à la réalité de ses pratiques; on ne pourrait pas non plus lui reprocher de faire face à une société qui a étrangement su faire fi de sa règle contre toute exception lorsqu'il s'agissait d'Amazon, étonnamment affranchi de la commission de la discorde. Tout semble n'être que du cas par cas, ce qui devrait donner beaucoup de fil à retordre aux juridictions chargées de trancher le conflit.
Il y a quoi qu'il arrive beaucoup d'hypocrisie dans les discours de chaque partie. Apple n'a pas hésité à faire des dérogations à ses principes pour quelques privilégiés et brandit le principe de « pas d'exception » face à Epic qui, de son côté, montre une certaine tendance à hurler à l'injustice et à trop rapidement tenter de prendre le beau rôle dans une guerre qui, en définitive, n'oppose que des entreprises milliardaires pas aussi soucieuses du consommateur qu'elles ne veulent bien le dire. Reste à savoir si le coup d'éclat d'Epic parviendra à faire flancher les commissions énormes ponctionnées par les Apple et autres Google.. ce qui serait salutaire pour bon nombre d'entreprises plus modestes, mais difficilement concevable en réalité.