Microsoft compte séduire “jusqu’à deux milliards de joueurs” durant les prochaines années. “Comment peuvent-ils viser autant d’utilisateurs alors qu’ils peinent à réunir 50 millions d’acheteurs de Xbox One ?” pourrait se demander l’observateur avec une pointe d’ironie vacharde. Cet objectif brandi par Kareem Choudhry, Corporate Vice President du département Gaming Cloud du géant américain, repose en fait sur le succès de xCloud. Le service de jeux sur le Nuage est, en effet, amené à se démocratiser un peu partout dans le monde dès le 15 septembre. Originellement prévu pour fonctionner sur tout type de smartphone et de tablette, le xCloud est tombé sur un pépin en se confrontant à la politique décriée de la pomme. Pendant que Microsoft et Apple partagent leur désaccord par presse interposée, les utilisateurs se demandent si une solution peut encore être trouvée.
Microsoft tombe sur un iOS
Disponible en bêta-test depuis le mois d’octobre 2019 dans certains pays du globe, le xCloud de Microsoft aurait accueilli “des centaines de milliers d’utilisateurs” selon les propos de Satya Nadella, PDG de la firme, lors des derniers résultats trimestriels de la compagnie. Lancé aux États-Unis, au Royaume-Uni, mais également en Europe et dans une partie de l’Asie, le service jusqu’à présent gratuit (car en phase de test) se prépare à une sortie définitive. Le lancement aurait pu se passer sous les confettis, il se déroulera finalement dans la rancœur. Celle de Microsoft à l’encontre de son voisin de la côte Ouest : Apple. Malgré les pourparlers ainsi que différents tests techniques (limités à 10 000 chanceux et à un seul titre), l’application Xbox Game Streaming nécessaire à l’accès au xCloud ne sortira pas sur iOS. La raison ? L’App Store, qui ne propose pas de conditions propices à l’arrivée de services de jeux sur le Cloud. NVIDIA avec GeForce NOW, par exemple, n’a jamais réussi à contourner les limitations imposées. “Il s’agit de la seule plateforme généraliste à refuser aux consommateurs les services de jeux en ligne par abonnement, comme le Xbox Game Pass” s’agace un représentant de Microsoft dans les lignes de The Verge.
En guise de défense, la société californienne derrière iOS explique ses réticences par le fait que tout ce qui se trouve sur l’App Store doit être testé et approuvé par la compagnie, et que chaque jeu doit se soumettre à une validation individuelle pour qu’il puisse apparaître dans les tops et les recherches du magasin virtuel. Un processus qui n’a pourtant pas empêché l’arrivée de contrefaçons dans la boutique en ligne, à diverses occasions. En d’autres termes, Apple refuse de laisser s’installer dans son écosystème des services capables de fournir des jeux qui ne passeraient pas par son propre processus de certification, quand bien même les softs seraient déjà classés par l’ESRB ou le système PEGI. Est-ce une histoire d'argent ? Au premier abord, nous serions tentés de répondre par l'affirmative. Il est bon de rappeler que lorsqu’un titre est acheté sur l’App Store, la société californienne récupère 30 % de la mise. Dans le secteur de l’ebook, Kobo (filiale du groupe japonais Rakuten) avait déjà signalé le problème qui consiste à verser un pourcentage à Apple pour chaque achat effectué par un client. Mais le vendeur s'était rendu compte que se priver totalement de la plateforme était pire pour les finances. Avec un service comme le xCloud, la marque à la pomme ne ponctionne aucun pourcentage sur l’abonnement souscrit, pas plus que sur les microtransactions effectuées via les jeux faisant partie du catalogue. Il n’est d’ailleurs pas possible de s’inscrire ou de prolonger directement son abonnement via l’application Xbox Game Streaming/Xbox Game Pass. L'absence d'un système d'abonnement in-app sur lequel Apple peut prélever une partie des recettes aurait été fatal à l'application de messagerie électronique HEY.com. Le fabricant d’iPhone ne voit donc aucune urgence à continuer les discussions. Pour que les choses s'arrangent, il faudrait que Microsoft permette à Apple d'évaluer le contenu comme demandé, ce qui obligerait la firme de Redmond à passer par une update client (et donc une soumission/validation) à chaque ajout de jeu, ou que Apple cède et n'évalue que l'application comme cela a déjà été fait avec Spotify et Netflix. Il est à noter que le procédé de vérification d'Apple en cas de mise à jour n'est pas payant, ce qui pourrait privilégier la piste du désir de contrôle absolu, pour le cas xCloud.
Une politique attaquée de toute part
L'existence d’applications sur l’App Store telles que Shadow, Steam Link ou encore PS4 Remote Play prouve que la croisade d’Apple se concentre essentiellement contre les jeux à découvrir directement via des applications annexes, plutôt que sur l’accès à distance de titres déjà achetés sur une console ou un PC (physique comme virtuel). La nuance est, certes, minime, mais elle fait toute la différence. Shadow a malgré tout connu quelques déboires en voyant son application retirée au mois de février, puis de nouveau rendue disponible en mai après une série de mises à jour. Une histoire qui rappelle celle de Steam Link et de son application iOS qui fut d'abord refusée avant d'être validée l'année suivante. L’application Facebook Gaming a dû retirer ses mini-jeux à partager entre amis de son programme afin de recevoir une certification positive d’Apple. Dans une longue série de messages publiés sur son compte officiel, Facebook Gaming s’en prend aux critères de validation nébuleux mis en place par Apple. “Citant la ligne directrice 4.7 de l'App Store, Apple a rejeté l'application en affirmant que le but premier de Facebook Gaming est de jouer à des jeux. Ce n'est pas le cas. Environ 95 % de l'activité de l'application sur Android provient du visionnage de flux vidéo en direct. Nous avons partagé cette statistique avec Apple, sans succès” déclare un représentant de Facebook Gaming. “Même sur l'application principale Facebook et Messenger, nous avons été obligés de supprimer des jeux instantanés sur iOS pendant des années. C'est une douleur partagée par toute l'industrie des jeux, qui finit par nuire aux joueurs et aux développeurs et par paralyser gravement l'innovation sur mobile et pour d'autres types de formats, comme le Cloud Gaming” s’indigne Vivek Sharma, Vice Président de Facebook Gaming. Le grand patron d’Epic Games, Tim Sweeney, a lui aussi fait entendre son mécontentement par rapport à cette politique “anti cross-platform” d’Apple. Le célèbre milliardaire, qui avait déjà protesté contre "la taxe Apple", est allé jusqu'à proposer une option de paiement annexe dans Fortnite échappant au contrôle de l'App Store, ce qui a provoqué le retrait immédiat du jeu de la boutique en ligne. Epic Games en a profité pour porter plainte contre Apple, demandant au tribunal d'interdire "le comportement anticoncurrentiel" de la marque à la pomme.
Des discussions qui s’enveniment
Malgré les tentatives de Facebook et de Microsoft pour trouver un terrain d'entente, Apple reste ferme dans son refus. Le groupe californien semble plus soucieux du succès de son propre service de jeux, intitulé Apple Arcade, que motivé à trouver des solutions satisfaisantes pour le xCloud et consorts. Une position qui pourrait peut-être évoluer en fonction d’une condamnation possible par la Commission européenne. La porte-parole de la Commission, Arianna Podesta, s’est dite “au courant de l’affaire” qui oppose Apple à Microsoft et Facebook. Depuis le mois de juin, la marque à la pomme est effectivement sous le coup d’une enquête sur les pratiques commerciales de l’App Store, considérées comme anticoncurrentielle par des groupes tels que Spotify et Netflix. La question est désormais de savoir si les périphériques iOS sont obligatoires à Microsoft pour atteindre les deux milliards de joueurs initialement envisagés. Selon les chiffres publiés par Kantar repris par 20minutes, les parts de marché des smartphones Apple s'élevaient, en 2019, à 24,3 % en Europe occidentale, 47,9 % aux États-Unis, 43,7 % en Australie et 52,5 % au Japon. Le constructeur qui a créé la Xbox ne devrait donc pas abandonner les négociations avec Apple de sitôt, d’autant plus que d’autres entreprises ont déjà réussi à imposer leur revendication, à l’instar de Canal + et d'Amazon. En outre, il n’est pas certain que le récent partenariat annoncé entre Microsoft et Samsung sur le nouveau Galaxy Note, un des concurrents historiques de l’iPhone, ne calme les esprits échaudés.
Accusée de mettre en place une politique opaque qui scinde les communautés de joueurs, la société Apple résiste à Facebook et à Microsoft. Tandis que la Commission européenne enquête sur des pratiques potentiellement anticoncurrentielles qui régiraient l’App Store, Epic Games porte plainte contre "une conduite illégale". Le premier “A” de “GAFAM” est-il sur le point de céder ? Rien n’est moins sûr, l’entité californienne ne souhaitant ni faire l’impasse sur une source de revenus faciles, ni laisser une marque concurrente prendre ses aises avec les règles établies. En réalité, la meilleure chance pour le xCloud de se lancer prochainement sur iOS est sûrement de continuer à grossir afin de devenir un service incontournable... sur Android. En attendant que la justice fasse, peut-être, accélérer les choses.