Si vous vous intéressez un tant soit peu au J-RPG, vous n’êtes sans doute pas passés à côté de l’annonce de Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes, projet Kickstarter derrière lequel on trouve de grands noms du jeu de rôle nippon à commencer par Yoshitaka Maruyama (Suikoden, Suikoden II), Junichi Murakami (Castlevania : Aria of Sorrow), ou bien encore Motoi Sakuraba (la saga Tales of). Après avoir littéralement explosé son objectif initial, il est déjà acquis que le titre sortira sur PC mais aussi PS5 et Xbox Series X et qu'il profitera, entre autres, de différents sous-titres dont français. Bien qu’on puisse se demander, au-delà de son «casting», d’où vient cet engouement pour ce jeu, il ne faut surtout pas minimiser son affiliation spirituelle à la saga Suikoden, série n’ayant jamais eu l’aura de Final Fantasy mais n’en étant pas moins importante dans l’univers du J-RPG.
Entendons-nous bien, en l’état, rien ne nous assure que Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes sera à l’arrivée un succès et ce malgré ses ambitions, les personnalités éminentes travaillant sur le projet et ses premiers visuels alléchants. Pourtant, on note une vraie hype autour de ce jeu se traduisant par l’objectif initial du Kickstarter de 434 679 euros littéralement pulvérisé. En effet, alors qu’il reste encore 30 jours de campagne, plus de 2;16 millions d’euros ont été atteints grâce à près de 26 000 contributeurs. Un signe qui ne trompe et si on aurait pu penser qu’après le «cas Shenmue III », les donateurs auraient été un peu plus méfiants, il n’en est rien. Au contraire. Comment expliquer cela ? Il y a à mon sens plusieurs raisons à cela.
Il suffit tout d’abord d’aller sur la page Kickstarter pour trouver la première raison. En effet, le tout semble témoigner du sérieux du projet puisqu’au delà des ambitions et des traditionnelles promesses faites pour appâter le chaland, plusieurs assets font état d’un certain avancement dans le dévelopement, du design de plusieurs personnages à diverses vidéos présentant une ville grouillante de vie à un combat contre un boss en passant par un extrait de la bande-son. Cela peut paraître anecdotique mais pour un projet vous demandant d’investir, le tout a le don de rassurer. Notez d’ailleurs que de l’autre côté de la barrière, le petit studio s’est d’ores et déjà doté d’un attaché de presse qui n’a pas manqué de nous contacter directement en amont de l’officialisation du titre, chose suffisamment rare concernant un studio indépendant japonais pour être souligné. Cependant, rappelons-nous que de gros projets étant passés par Kickstarter se sont révélés décevants ou ont été retardés de nombreuses fois à l’image de Bloodstained : Ritual of the Night initialement prévu en mars 2017 et finalement sorti le 18 juin 2019. Prudence est donc mère de sûreté.
Quoi qu’il en soit, un projet Kickstarter permet ainsi aux futur(e)s joueurs et joueuses d’investir financièrement dans un titre qui leur semble prometteur aussi et surtout à crier son amour pour un genre, une série, une personnalité, sans parler des quelques avantages matériels en fonction de l’investissement. Du côté des développeurs, les avantages sont également nombreux :
L’un des objectifs de Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes était vraiment de trouver le coeur et l’âme de ce qui rend un jeu amusant. Il est aisé de se plonger dans de nombreux systèmes de jeu et d’orientations et de perdre de vue la notion de simplicité lorsqu’il s’agit de conception. Nous savons que Kickstarter est souvent critiqué à cause de nombreux échecs mais nous pensons aussi que la plate-forme est parfaite pour véritablement savoir qui sont nos fans. Ce sont les premiers à nous suivre, à espérer et à croire au projet. Leur passion va au-delà de leurs doutes et ils suivent leur coeur. Ce sont ces personnes avec qui nous voulons être le plus proche possible lorsque nous développons un jeu. Ils nous motivent à nous dépasser et à faire le meilleur jeu possible.
Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes présente l'un de ses boss
La deuxième raison de cet engouement tient à un véritable attrait des fans de J-RPG pour la 2.5D parvenant à conjuguer le charme de la 2D des RPG d’antan avec des effets plus actuels et des mouvements de caméra inédits. On le voit d’ailleurs bien lors du premier combat de boss de Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes (même si on doute qu’il s’agisse pour l’instant de temps réel), de l’arrivée du monstre dans la grotte à certaines attaques utilisant l’espace à disposition afin de donner de l’ampleur à celles-ci qui n’en deviennent que plus impressionnantes. Bien que la 3D règne en maître dans le jeu vidéo depuis des années, la 2.5D a donc ce double avantage de profiter des nouvelles technologies tout en soufflant un vent de nostalgie ayant la saveur d’une madeleine de Proust pour de très nombreux joueurs. Octopath Traveler et ses 1,500 000 unités écoulées l’ont démontré et il y a fort à parier que Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes en fasse de même si tant est que la qualité soit au rendez-vous. Cependant, comme nous l’expliquent les développeurs de Rabbit & Bear Studios, la 2.5D propose également certaines choses que la 3D n’arrive pas totalement à reproduire :
Nous avons fait le choix pour Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes d’opter pour un style «Pixel art old school» car il y a certaines expressions 2D que la 3D ne parvient pas à retranscrire. Parfois, «faire moins» peut avoir des avantages et cela peut se concrétiser par un effet nostalgique très bénéfique réussissant à conjuguer l’ancien (dans le bon sens du terme) et le nouveau. Trouver le parfait équilibre entre ces deux univers peut aider à produire un visuel saisissant, ce qui est une excellente chose.
La troisième raison, et non des moindres, est tout simplement le fait que le titre soit une suite spirituelle de la série Suikoden, et plus particulièrement le deuxième épisode, de par ses développeurs, dont plusieurs ont travaillé sur la saga, mais aussi à travers son chara design ou bien encore nombre de ses mécaniques de jeu. Cependant, Rabbit & Bear Studios nous rappelle bien qu’il s’agit ici d’un jeu entièrement nouveau (et qu’il n’y a donc aucun problème de droits avec Konami) et que leur but, encore une fois, a été de développer le meilleur jeu possible :
Pour ce projet, nous voulions vraiment approfondir ce qui est au coeur d’un très bon jeu. Nous nous sommes concentrés sur ce principe des plus basiques pour concevoir des tonnes d’éléments mais aussi nos systèmes de jeu. Bien entendu, se faisant, il est facile de s’emporter et d’être hors budget. En fin de compte, il faut vraiment bien équilibrer son temps, son budget ou les éléments qui pourront être ajoutés dans de potentielles DLC. En substance le challenge que représente le développement d’un RPG, par rapport à d’autres genres de jeu, est de produire cette masse d’assets et de bien équilibrer le tout. Trop de ci, pas assez de ça et vous avez rapidement entre les mains un mauvais jeu.
Quoi qu’il en soit, il suffit de regarder les visuels de Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes et ceux de Suikoden II pour comprendre à quel point le but du jeune studio japonais est de rendre hommage à cette figure du J-RPG. Pour autant, malgré la vague de nostalgie que suscite Suikoden II, et le fait que les fans du genre le citent souvent comme d’un fleuron du genre, le titre n’a pas vraiment connu des ventes faramineuses. Elles furent néanmoins suffisantes pour mettre en chantier plusieurs suites en 3D qui, pour la plupart, ne feront que mettre en avant les immenses qualités de ce volet sorti sur Playstation en 1998 au Japon, 1999 aux US et 2000 en France dans une version sous-titrée. Ainsi, avec ses 680 000 ventes (dont 380 000 au Pays du soleil levant), Suikoden II arrive loin derrière plusieurs mastodontes de l’époque. A titre de comparaison, Final Fantasy IX se vendra à 2,65 millions d’exemplaires entre juillet et décembre 2000, soit beaucoup moins bien que les VII et VIII mais loin devant Suikoden II. Pourtant, ce RPG de Konami est un titre extrêmement profond et novateur et intègre des mécaniques existant depuis le premier qui en ont font un jeu à part.
Ainsi, si la base reste finalement assez classique (à travers, notamment, le traditionnel jeune héros promis à un destin extraordinaire), c’est avant tout l’inspiration du roman chinois Au bord de l’eau, qui lui apporte une véritable personnalité. De ce roman, Suikoden reprend l’idée des 108 bandits se regroupant pour affronter le gouvernement qui deviennent dans le jeu les 108 Etoiles que vous allez pouvoir récupérer au fil de l’aventure et incarner. Bien que l’histoire tourne autour d’un groupe plus restreint, le joueur n’aura alors de cesse de dénicher l’entièreté des Etoiles puisqu’au-delà du fait que le tout soit synonyme de combinaison inédites en combat, chaque personnage aura une personnalité propre, plusieurs d’entre-eux ayant également un métier spécifique qui vous servira dans votre forteresse que vous prendrez plaisir à faire évoluer. Ce point est également essentiel dans Suikoden car outre le fait qu’il offre un foyer à votre équipe, le fait de pouvoir faire grandir votre QG, qui évoluera sous vos yeux procure une grande satisfaction. Bien que plusieurs jeux aient usé de ce principe (Assassin’s Creed II , Fire Emblem Fates : Héritage …), Suikoden a ce petit plus nous permettant d’ajouter dans notre forteresse des pièces supplémentaires dans lesquelles pourront travailler certains personnages optionnels, parfois très difficiles à trouver, et qu’il sera possible de connaître un peu plus en profondeur en discutant avec eux. Le tout pourrait paraître anecdotique mais procure ici aussi un véritable sentiment d’accomplissement.
Cette dimension micro/macro se retrouve également dans le système de combat et parvient à retranscrire parfaitement le sentiment d’appartenance à un royaume et à un groupe tout en poursuivant sa quête personnelle. Pour se faire, les développeurs ont tout simplement scindé les affrontements en trois types : le duel, face à un adversaire unique, en groupe avec 5 compagnons et enfin les batailles de masse où on dirigera une armée dans des joutes intégrant une petite dimension stratégique.
Le gameplay et la narration sont donc au service l’un de l’autre et forment un tout parfaitement cohérent appuyé par un visuel classique mais très réussi et des compositions musicales harmonieuses. Eiyuden Chronicle : Hundred Heroes reprendra à son compte la plupart de ces éléments (la forteresse évolutive, la création de guildes, la centaine de héros à obtenir…) et bien qu’il soit encore trop tôt pour miser sur la réussite du projet, l’intention est louable, la nostalgie palpable et l’excitation véritable.