1983. Alors qu’il prospecte dans l’Ouest de la France pour le compte de l’entreprise Thomson, Bruno Bonnell reçoit l’appel d’un ancien camarade de « Maths Sup », Christophe Sapet. Ce dernier, en poste chez Texas Instruments, a reçu un appel d’un éditeur qui lui propose de réaliser un livre sur la micro-informatique et invite son acolyte à participer à l’écriture. À sa sortie, l’ouvrage « Pratique de l’ordinateur familial » rencontre le succès et rapporte pas moins de 63 000 francs (environ 20 000 euros). Interpelé par ce succès inattendu, le duo décide de réinvestir la somme dans la création d’une société d’édition de logiciels. Dans un premier temps, les deux hommes envisagent le nom Zboub Système mais reculent lorsque leur conseiller juridique, horrifié (on peut le comprendre), les dissuade d’utiliser une telle appellation. Les compères se lancent à l’assaut des banques, essuyant pas moins de seize refus, et parviennent à s’installer dans une ancienne chemiserie lyonnaise. Infogrames, né de la contraction des mots Informatique et Programme, démarre sa grande aventure !
Au même titre qu'un film, qu'une pièce de théâtre ou qu'une comédie musicale, la création d'un jeu vidéo est un long processus et un morceau de vie pour des dizaines voire centaines d'individus. Durant ces mois et années, il arrive que la production soit émaillée d'évènements pouvant bouleverser l'édifice créatif. Ces obstacles forment l'expérience et permettent d'aboutir, généralement, à une œuvre bien différente des concepts d'origine. Le jeu vidéo n'échappe pas à cette règle et il est souvent l'épicentre d'une foule de circonstances amenant les développeurs à se surpasser. Jeuxvideo.com a décidé de vous raconter l'histoire de ces jeux, mais surtout de ces hommes et femmes qui ont, par le prisme d'une œuvre artistique, écrit une partie de leur biographie. Régulièrement, vous retrouverez les témoignages de ces artistes apportant un nouveau regard sur les productions d'hier. Pour cette nouvelle enquête dans les coulisses du jeu vidéo, nous nous sommes intéressés à l’univers de la bande dessinée et des adaptations vidéoludiques issues du neuvième art. Pour cette occasion, nous nous sommes entretenus avec les développeurs des jeux Astérix sortis sur Super Nintendo, NES et Game Boy. Au gré des anecdotes, vous allez ainsi découvrir comment le moustachu teigneux et son compère lanceur de menhirs se sont glissés jusqu’à nos consoles. C’est aussi une manière de rendre hommage au grand Albert Uderzo qui nous a quittés récemment. Bonne lecture et n'hésitez pas à nous dire, dans les commentaires, si vous souhaitez revoir de façon régulière ce type d'articles.
À ses débuts, Infogrames est une toute petite entité. Pour lancer l’activité, Bruno Bonnell et Christophe Sapet s’entourent de créateurs indépendants talentueux et embauchent quelques personnes pour gérer les aspects financiers, commerciaux et publicitaires de la compagnie. À une époque où l’achat d’un ordinateur équivaut à plusieurs SMIC, la dimension éducative des projets est primordiale pour convaincre la clientèle. Bonnell et Sapet l’ont bien compris et lancent Le Cube, un programme éducatif qui sera adapté et remis au goût du jour, avec une édition Basic (le langage de programmation), dans le cadre du partenariat avec le gouvernement pour le plan « Informatique pour tous ». En 1984, le logo original disparaît au profit du célèbre tatou, un animal symbole de pérennité et capable de résister aux changements environnementaux les plus radicaux. Mois après mois, Infogrames – qui s’est installée entre temps à Villeurbanne dans la banlieue lyonnaise - sort des jeux innovants, devient incontournable sur le marché des logiciels de loisirs et se met à absorber des studios comme Ère Informatique et Cobrasoft. Contre vents et marées, entre les succès et les décisions chaotiques, Infogrames montre toute son ambition et diversifie son offre en développant des jeux aux multiples thématiques (stratégie, réflexion, fantastique, aventure, science-fiction…). De toutes ces thématiques va émerger l’une des futures spécialités du studio : l’adaptation de licences fortes et de bandes-dessinées en jeux vidéo.
Au début des années 1990, Infogrames est avant tout connu pour ses jeux à destination des micros que sont les Amstrad CPC, Atari ST et autres Amiga. Il faut en effet attendre 1991 et un certain Fantasia sur Mega Drive pour que l’éditeur français se frotte à l’univers des consoles. En dépit de graphismes vraiment réussis, cette adaptation souffre d’un gameplay mal réglé et d’une difficulté très élevée. Avec cette comédie musicale animée, qui est la première à expérimenter le son stéréo dans les salles obscures, Walt Disney voulait réconcilier la jeune génération avec la musique classique. Ce fut un échec commercial mais l’œuvre a profondément marqué les esprits. Quant au jeu, il était difficile pour la Mega Drive de retranscrire la prestigieuse bande-son du long-métrage (impossible de reproduire un orchestre composé de multiples instruments avec quelques canaux sonores). Fantasia n’a donc pas fait l’unanimité (c’est le moins qu’on puisse dire) mais Infogrames avait d’autres projets et rien n’était en mesure de stopper sa folle ascension.
Stéphane Baudet, l’une des figures incontournables du studio, est entré chez Infogrames en août 1988. Programmeur de nombreux jeux (Hostages , Drakkhen , North & South …), il est propulsé à la tête du département console en 1991. Cette division, comme son nom l’indique, a pour mission d’élargir la gamme de jeux à destination des consoles SEGA et Nintendo. Il se remémore :
La première expérience d’Infogrames sur console fut la collaboration avec SEGA sur l’adaptation du long-métrage d’animation Fantasia de Disney sur Genesis/Mega Drive. Je n’étais pas impliqué directement sur cette création mais, de mémoire, c’était un jeu graphiquement très réussi, mais également très difficile à jouer. La seconde tentative fut l’adaptation de North & South (Les Tuniques Bleues) sur NES. Mais cette adaptation a été entièrement réalisée au Japon par l’éditeur Kemco, et notre rôle fut assez limité (adaptation du design et des graphismes). Dans la foulée, nous avons été impliqués dans le lancement de la Super Famicom au Japon avec le jeu Drakkhen qui fut co-développé avec les équipes de Kemco. Mais ce fut en 1991 qu’Infogrames commença sérieusement le développement de jeux sur consoles. J’étais assez proche du directeur commercial de l’époque, Benoit de Maulmin (présent dès les débuts de la firme), qui travaillait régulièrement avec le Japon et a anticipé l’arrivée des consoles Nintendo et SEGA en France. Lui et Bruno Bonnell ont eu l’idée de signer des licences européennes pour proposer des jeux consoles adaptés au marché européen.
Au fil des discussions, plusieurs séries émergent et Infogrames se lance alors dans une prospection auprès des ayants-droits de bandes dessinées canoniques franco-belges. Pour l’hexagone, passer à côté du personnage d’Astérix aurait été une hérésie et il n’a pas fallu longtemps pour que le nom du petit gaulois soit cité. Les Lyonnais d’Infogrames se sont alors rapprochés des Éditions Albert René, comme le confie Stéphane Baudet :
Je venais de passer 18 mois en Angleterre à Londres pour suivre les développements externes, et notamment les versions européennes de Sim City. C’est Infogrames qui avait les droits d’édition du jeu pour l’Europe avant que Maxis ne soit racheté par Electronic Arts. Ce sont les collègues qui travaillaient avec moi, Dominique Cor et Henri Coron, qui ont fondé EA France mais j’ai préféré retourner à Infogrames pour y diriger une partie de la production. Benoit de Maulmin m’a donc confié la réalisation d’Astérix, première licence d’une longue série, qu’il venait de signer. À l’époque, les équipes étaient petites, donc mon rôle était assez large, il allait du game design à l’encadrement du projet.
La décision de réaliser un « Mario-Like » est rapidement prise. Pour s’assurer de prendre la bonne direction, Infogrames organise même une session de discussion avec de jeunes joueurs de 8 à 14 ans (la cible recherchée) et commence à élaborer les axes principaux du futur jeu.
MÉS QUE UN CLUB
Lorsqu’on pense à Astérix sur consoles Nintendo, on fait généralement écho à la version 16-bits. Pourtant, au départ, l'équipe pense d'abord à se focaliser sur la version Game Boy :
La version Game Boy était la première version du jeu. Notre équipe interne n’étant pas experte en Game Boy, nous avons décidé, à l’époque, de nous concentrer sur le développement d’une version Super Nintendo et de confier le développement de la version Game Boy à une petite équipe basée à Barcelone : Bit Managers. Nous avions, en interne, uniquement gardé la main sur le design du jeu. Les graphismes, le son et la programmation ont été confiés à Isidro Gilabert, Ruben Gomez et Alberto José González.
L’Histoire du studio catalan est indirectement liée à celle d’Infogrames. Co-fondateur de Bit Managers, Alberto José González est peut-être moins connu que certains grands noms du jeu vidéo mais il s’agit pourtant d’une véritable légende de la génération 8 et 16-bits. Graphiste, musicien et bruiteur, il a dessiné et mis en musique de nombreux jeux signés par Infogrames et s’est notamment démarqué par ses mélodies incroyables sur Game Boy. Astérix , Les Schtroumpfs , Tintin , Spirou , Lucky Luke , Turok … c’est lui !
Il revient sur ses débuts :
Un jour, j’ai remarqué le nom d’une société de développement sur une enveloppe et je me suis souvenu d’un de leurs jeux auxquels je jouais sur mon ordinateur : c’était l’entreprise New Frontier. Avec mon ZX Spectrum +2 (une version évoluée du ZX Spectrum 128), je m’étais déjà essayé à l’élaboration de graphismes et d’animations. C’est pourquoi j’ai frappé à leur porte et je leur ai demandé s’ils avaient besoin d’un graphiste. J’ai montré mes travaux, ils ont apprécié et j’ai commencé à travailler dès le jour suivant. À l’époque, la compagnie n’avait que deux ou trois jeux dans son catalogue. Parmi les autres productions pour lesquelles j’ai participé, il y avait des jeux utilisant un périphérique appelé Gun Stick, une sorte de pistolet à infrarouges. Malheureusement, faute de ventes suffisantes pour l’accessoire, ces titres n’ont jamais vu le jour, même si je pense qu’ils étaient très bons. Nous avons aussi fait pas mal de portages du ZX Spectrum vers le MSX ; certaines de mes premières compositions étaient des adaptations de chansons originales.
Il continue :
Infogrames était en train de chercher un studio externe afin de porter des jeux d’ordinateur sur consoles 8-bits et nous avons été sélectionnés pour produire un prototype du jeu Operation Jupiter (Hostages) de l’Amiga 500 vers le ZX Spectrum. Ils ont apprécié la démo et nous avons commencé à travailler pour eux, d’abord avec ce titre et, ensuite, avec d’autres comme North & South, Light Corridor ou encore Mystical. Et puis, avec le déclin des ordinateurs 8-bits, nous avons peu à peu bifurquer vers les consoles de salon. C’était naturel pour nous de continuer de travailler avec eux sur des jeux de console 8-bits et c’est ce que nous avons fait, d’abord avec Pop Up , puis avec Bomb Jack et, plus tard, avec Astérix. Je pense qu’Astérix a été lancé après avoir terminé mon service militaire. Le concepteur et le directeur du jeu d’Infogrames sont venus en Espagne pour travailler pendant un certain temps et c’était super !
Polyvalent, Alberto se frotte au game design, dessine, produit les bruitages et compose les musiques des jeux. Grand amateur de claviers, c’est véritablement avec ce type d’instruments que son talent rejaillit. Comme il aime le souligner...
Je me suis focalisé sur les claviers car il s’agit du seul instrument que je maîtrise.
À une époque où les staffs sont minuscules, il n’est pas rare qu’une personne se voit confier différentes tâches.
C’est dans ce contexte que débute le développement d’Astérix sur Game Boy. Des premières ébauches sont réalisées par l’équipe mais l’ambiance, chez New Frontier, n’est pas au beau fixe. Les employés multiplient les heures et ne sont que peu récompensés. Ce qui incite Alberto et certains de ses collègues à déguerpir…
En dépit de tout le travail que nous fournissions, nous n’étions pas payés régulièrement à cause des personnes qui dirigeaient New Frontier (elles nous mentaient et elles trichaient sur la situation de la société). En réalité, ce n’était pas une véritable entreprise, nous n’avions ni contrat, ni salaires et les patrons nous balançaient d’innombrables excuses et promesses pendant qu’ils gardaient tout l’argent de notre travail. À un moment, nous en avons eu marre et les quatre derniers employés que nous étions avons pris nos baluchons pour créer Bit Managers avec le peu d’argent que nous avions réussi à mettre de côté. Comme Infogrames savait de quoi nous étions capables, nous n’avons eu aucun mal à continuer nos projets avec eux. Par contre, je ne me souviens pas de ce qui nous a inspiré pour le nom Bit Managers, cela fait tellement d’années…
Bit Managers est créé en 1992 et récupère, au passage, le projet Astérix débuté dans les locaux de New Frontier par Alberto et ses comparses. À partir de là, une communication étroite se met en place entre Infogrames en France, chargé de la version Super Nintendo, et Bit Managers en Espagne, qui a pour mission d’adapter les aventures du héros gaulois sur la portable de Nintendo.
PETIT MAIS COSTAUD
Pour des raisons économiques, Infogrames choisit d’utiliser des cartouches à moindre coût, comme l’explique Stéphane Baudet :
Au départ, nous étions loin de penser que nous allions vendre autant de jeux (600 000 pièces de la version Super Nintendo dans les six premiers mois de commercialisation). Le coût de fabrication des cartouches était très élevé, donc les marges assez faibles. Nous avons alors maximisé nos chances de profit en choisissant la cartouche la moins chère. Pour la Super Nintendo, nous connaissions un peu la console pour avoir participer brièvement à l’adaptation de Drakkhen sur le support, mais également au portage d’un jeu de stratégie qui ne verra finalement jamais le jour. Malheureusement, nous ne voulions pas prendre trop de risques financiers donc nous avons opté pour la plus petite taille de cartouche, ce qui fut une contrainte importante tout au long du développement.
Et là, on devine sans mal l’ampleur du challenge pour l’équipe du jeu Game Boy. Non seulement elle était très limitée par la puissance même de la machine mais, en plus, elle a dû se battre pour faire rentrer l’intégralité du contenu dans la mémoire microscopique de la cartouche. C’est là qu’Isidro Gilabert, programmeur chez Bit Managers, intervient :
Nous avions une foule de contraintes, mais aussi beaucoup d’espoir et d’ambition. Astérix était véritablement notre premier grand jeu et nous savions qu’il allait rencontrer le succès. Donc, nous avons travaillé très dur pour résoudre les problèmes techniques et réaliser le meilleur titre qui soit. L’une des plus grosses difficultés que nous ayons eu à négocier était la gestion de la mémoire pour l’animation des personnages. Nous avons alors décidé de concevoir des protagonistes plus petits afin de leur attribuer un maximum de mouvements. Pour tout vous avouer, certains de nos supérieurs voulaient des héros plus grands mais Stéphane et moi les avons convaincus que le contraire était la meilleure solution. D’une manière générale, nous manquions à la fois de temps et de mémoire.
En découvrant les photos dans les magazines, certaines personnes ont pu être surprises par la taille minuscule de l’avatar ou des différents sprites du jeu mais ce choix a été salvateur. Le gaulois jouit d’un nombre intéressant de mouvements et évolue dans des décors variés et disposant d’une innovation… de taille (ha, ha) pour le support, comme le conforte Isidro Gilabert :
Si mes souvenirs sont exacts, nous avons été la première équipe à utiliser un scrolling parallaxe – ou défilement différentiel – sur un jeu Game Boy.
En superposant des calques (ou couches) qui défilent à des vitesses variables, cela donne un effet de profondeur. Cette technique, qui fut omniprésente par la suite dans les jeux en 2D, n’était pas démocratisée à l’époque. Et encore moins sur Game Boy. Il suffit de comparer Astérix à un titre comme Super Mario Land 2 pour s’en convaincre. En optant pour une petite taille de personnages, Bit Managers a pu exploiter la mémoire d’une autre manière et tirer le meilleur des capacités de la portable.
Alberto José González complète :
Nous avons fait beaucoup de choses très cools avec Astérix. La mémoire a toujours été une contrainte mais elle l’était déjà sur les ordinateurs 8-bits, donc nous étions habitués à cette limitation et savions comment optimiser l’utilisation de la mémoire et des cycles CPU. La Game Boy n’avait pas beaucoup de mémoire vidéo pour créer des animations fluides et des arrière-plans très variés. Pour ce jeu, nous avons conçu une technique permettant de simuler le défilement de parallaxe sur deux plans, avec un défilement différentiel pour le sol. Pour y parvenir, nous devions vider constamment différents éléments d’arrière-plans dans la mémoire vidéo, mais cela limitait également la quantité de mémoire disponible pour d’autres détails dans les arrière-plans ou les sprites. Aussi, le jeu tournait à 30 images au lieu de 60 images par seconde. Mais l’effet était si cool – et inédit sur cette console – que ça valait le sacrifice.
L’autre grande qualité de la cartouche provient de ses musiques. Alberto José González a veillé à ce que chaque thème soit reconnaissable et en adéquation avec l’environnement traversé par le personnage. Gaule, Helvétie, Égypte, Rome… chaque zone donne vie à une mélodie qui reste en mémoire ! On pourrait penser que les sonorités sont très espagnoles mais l’intéressé évoque d’autres pistes :
Je ne saurais dire s’il y a une touche espagnole, mais les inspirations sont avant tout européennes. Les techniques que j’utilise dans ma musique sont plus ou moins les mêmes que les compositeurs européens de jeux sur ordinateurs 8-bits. Mes principales influences viennent de compositeurs de la génération micro comme Tim & Geoff Follin, David Whittaker, Ben Daglish, Jonathan Dunn, Matthew Cannon… et plus tard, je me suis inspiré de compositeurs de l’ère 16-bits (ordinateurs et consoles) comme Chris Huelsbeck, Yuzo Koshiro, Nobuo Uematsu et la liste est loin d’être exhaustive. Pour les mélodies, je suppose que c’est mon propre style ! J’essaye de créer des airs entraînants tout en proposant une rythmique solide. Je varie aussi les styles pour ne pas ennuyer le joueur. Je me souviens avoir été inspiré par le thème joyeux de Dr. Slump pour composer la musique du premier niveau, mais avec du recul, je pense que certains morceaux ne s’intègrent pas très bien, en particulier le niveau de Rome.
Sur Internet, on peut aussi découvrir qu’Alberto s’est inspiré de Solstice sur NES mais il apporte une clarification :
En fait, l’inspiration de Solstice vient avant tout du pilote de son, pas de la musique en elle-même. Quand j’ai eu à réaliser ma première composition pour la NES, j’ai écouté la musique de nombreux autres jeux sur le support afin de trouver une piste de travail. Solstice faisait partie des jeux qui m’ont servi, j’adorais le rendu sonore de la batterie et c’est à partir de là que j’ai créé mes propres routines rythmiques. Dans les années 90, toutes mes mélodies 8-bits ont été composées sur ZX Spectrum +2 avec un séquenceur que j’ai programmé spécialement (le Compact Editor). C’était mon instrument principal. Bien entendu, le son ne ressemblait pas à celui des consoles mais il me permettait de composer la mélodie de base et le reste était ensuite entièrement programmé via le chip (puce) sonore de la console. J’ai aussi eu un Casio SA-1 que j’utilisais pour trouver rapidement des mélodies et des idées.
Stéphane le reconnaît sans mal :
Alberto a fait un excellent travail pour rendre les mélodies très sympas, entraînantes et facilement mémorisables. Au début, j’étais un peu étonné que l’équipe puisse avoir un musicien/sound designer à plein temps, vu la taille du staff, mais au final, cela avait du bon. Il donnait parfois un coup de main sur les graphismes, participait aux idées de design et avait beaucoup de temps pour itérer sur la qualité des musiques et des bruitages.
Astérix sur Game Boy est un jeu agréable qui repose sur des idées simples mais efficaces. Très inspiré des jeux Mario avec ses blocs « A », ses étoiles, ses zones bonus et ses salles secrètes, le titre de Bit Managers (qui répond au game design d’Infogrames) met tout de suite en confiance. L’univers respecte la charte visuelle de la bande dessinée avec ses sangliers, ses romains (et sa bulle « PAF ! » quand on les frappe), ses divers items (couronnes de César, amphores…) et ses différents environnements qui rappellent des albums comme Astérix en Helvétie, Astérix et Cléopâtre, etc. En choisissant de petits sprites, les développeurs ont donné une grande visibilité aux graphismes. Un détail toutefois se remarque rapidement : le personnage d’Astérix souffre d’une légère inertie qui demande un petit temps d’adaptation. Si on s’y fait vite, ça a causé quelques gamelles à l’époque… et il n’était pas rare d’entendre le digit vocal d’un gaulois apeuré par la chute. Le fameux « Waaaaaaaaaaaaaah… » était, mine de rien, une sacrée performance ! Stéphane Baudet s’en explique :
Il était en effet assez rare d’avoir des échantillons sur Game Boy à cette époque. La plupart des bruitages étaient des effets de type synthétiseur, ce qui ne coûtait pas grand-chose en mémoire. Le programmeur était tellement content d’avoir réalisé le code permettant la lecture d’échantillons que, malgré le coût mémoire que ça représentait, nous avons décidé de l’implémenter. Une fois dans le jeu, comme toute l’équipe trouvait ça génial, nous ne pouvions plus revenir en arrière. Il faut parfois faire plaisir au joueur, même si au premier abord, ça ne paraît pas toujours très raisonnable.
La version Game Boy étant sur d’excellents rails, Infogrames offre un petit surplus de travail à ses collègues espagnols. Stéphane Baudet résume :
Il a rapidement été décidé de confier à Bit Managers une version NES. Celle-ci consistait globalement à une re-colorisation des graphismes et une adaptation des niveaux à la taille différente de l’écran. Au final, le résultat était assez satisfaisant et les critiques plutôt bonnes. Sans égaler les ventes de la version Game Boy, cette adaptation a connu un succès très correct.
Outre la couleur et la mise à l’échelle du niveau et des personnages, la cartouche NES se démarque par ses musiques inédites ! La mélodie de l’écran-titre, la musique des crédits de fin ou certains thèmes de niveaux sont totalement différents par rapport à la version Game Boy.
Alberto José González l’admet :
Ha, ha ! C’était une mauvaise habitude, j’aimais écrire de nouvelles compositions afin de profiter d’un son adapté pour chaque puce sonore. Quand j’étais en train d’adapter mes compositions de la Game Boy à la NES, je trouvais de nombreuses mélodies qui ne s’adaptaient pas bien à la puce sonore de la NES. Si bien qu’avec le temps restant, j’ai essayé de composer un maximum de musiques inédites. Pour moi, le son final est aussi important que la composition elle-même.
Astérix sur NES et Game Boy est une chouette aventure. Tout en restant classique dans sa démarche du jeu de plate-forme, il permet de se replonger dans l’univers du gaulois sans que l’aventure soit rude pour les nerfs. Il y a certes quelques passages plus difficiles à négocier mais les niveaux offrent des idées excellentes (comme la balançoire à la fin du niveau qui permet d'accéder aux stages bonus) et nombreux sont les joueuses et joueurs à en avoir gardé un très bon souvenir.
Mais lorsqu’on sait dans quelles conditions le jeu a été réalisé… on est encore plus admiratifs ! On peut en effet imaginer que la petite équipe de Bit Managers était installée dans un petit bureau qui servait de studio. Eh bien, non ! La réalité est tout autre comme le confie Stéphane Baudet :
Bit Managers était dirigé par une personne dont la spécialité n’était pas vraiment les jeux vidéo. Il possédait avant tout des boutiques de vêtements, une dans Barcelone, l’autre donnant sur les plages de Cubelles à quelques kilomètres au sud. L’été, l’équipe était installée dans l’arrière-boutique de Barcelone, mais l’hiver, le magasin de Cubelles étant fermé, l’équipe s’installait dans la boutique au bord de la plage déserte. On ouvrait donc le rideau de fer de la boutique pour y découvrir quelques bureaux de récupération avec 3 ou 4 pauvres développeurs. C’était assez insolite. Je me souviens également qu’il fallait faire attention à fermer le rideau de fer quand il y avait du vent afin que le sable ne rentre pas trop dans le local. Quand le soleil apparaissait, nous sortions le canapé et nous faisions les pauses au bord de la plage.
Alberto complète :
Ha, ha, la boutique de vêtements ! Durant la transition qui nous a amené de New Frontier à la création de Bit Managers, nous n’avions pas assez d’argent pour louer des bureaux, si bien que nous avons travaillé dans l’arrière-boutique d’un magasin de… maillots de bain ! C’était à Cubelles et ça a duré un certain temps d’ailleurs. La boutique était très proche de la plage et je me souviens qu’il faisait très chaud l’été et froid l’hiver. Nous n’avions pas de clim et c’était très dur de travailler certains mois.
Même topo pour son compère Isidro Gilabert :
Nous étions littéralement dans l’arrière-boutique d’un magasin de maillots de bain ! C’était dur de travailler près de la mer, d’entendre des gens qui allaient et venaient de la plage. Mais nous savions que nous avions l’opportunité de faire quelque chose d’énorme et nous avons essayé de nous concentrer uniquement sur nos illusions, pas sur la difficulté.
Chaud, froid, pas de clim, du bruit, du sable qui volait dans le matos et dans la figure par moments… voilà un peu le contexte du développement d’Astérix sur Game Boy et NES. Avouez que c’est plutôt cocasse, non ? Mais l’ambiance était très bonne et Alberto garde un bon souvenir de sa collaboration avec Stéphane Baudet :
J’ai d’excellents souvenirs du développement d’Astérix. C’était passionnant de travailler avec Stéphane. C’est l’une des personnes les plus motivantes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. C’était un vrai plaisir de collaborer avec lui.
Conçu en l’espace de huit mois, Astérix sur Game Boy et NES avait décidément tout pour plaire ! Maintenant, repartons en France pour nous intéresser à la version Super Nintendo…
COCORICO !
Épaulé par le game designer Jean-Jacques Poncet, Stéphane Baudet a pour mission de mener à bien le projet Astérix. Entre deux voyages en terre catalane, le chef d’orchestre du jeu doit veiller à ce que l’épisode Super Nintendo soit à la hauteur des attentes et profite, un tant soit peu, des capacités de la console de Nintendo.
Comme pour la Game Boy, il a été décidé de travailler avec la plus petite taille de cartouche, ce qui incombe des concessions. Nous avons dû limiter le nombre d’animations pour Astérix, limiter le nombre et la variété des décors ainsi que la variété des ennemis.
Il ajoute :
Dès le départ, le cahier des charges était différent, les deux jeux partageant uniquement le même concept, c’est-à-dire un jeu de plate-forme avec un gameplay à la Mario avec Astérix en personnage principal et un scénario identique. Pour le reste, les deux équipes françaises et espagnoles ont travaillé de manière autonome. Parfois, quand il y avait quelque chose qui fonctionnait vraiment bien dans la version Super Nintendo, nous essayions de le porter sur Game Boy et vice-versa. Mais globalement, chaque équipe avait pour objectif de tirer le meilleur parti de chaque console. Le game designer Jean-Jacques Poncet et moi étions les seuls à travailler en permanence sur les deux projets.
Comme sur Game Boy, Astérix a pour mission de retrouver Obélix capturé par les romains. Les Gaulois ne sont pas inquiets pour le compagnon enrobé du meilleur guerrier du village mais craignent plutôt pour Rome, César et… les lions – comme le dit Abraracourcix dans l’intro : « Pauvres Bêtes ». Obélix capturé en dormant, cela peut surprendre mais chaque élément été validé par les Éditions Albert René et Albert Uderzo en personne, comme le confie Stéphane Baudet :
Albert Uderzo n’a été impliqué qu’à quelques moments-clés du développement. Au départ du projet, nous lui avons soumis le concept du jeu : le type de jeu (plate-forme), le scénario, l’utilisation des personnages principaux et des décors traversés. Il ne connaissait pas du tout les jeux vidéo, donc il nous a fait confiance lors de ce premier rendez-vous. Par la suite, nous lui avons montré un premier prototype, pour qu’il ait une idée du rendu des décors, des animations des personnages et plus particulièrement de celles d’Astérix. Enfin, avant la sortie du jeu, nous lui avons réalisé une vidéo complète du jeu, du premier au dernier niveau. Contrairement à d’autres ayants-droits, j’ai le souvenir d’une très bonne collaboration. Je ne me souviens pas avoir dû faire beaucoup de modifications à sa demande. Il était très sympa, accessible et respectueux de notre travail tout autant que nous l’étions de l’univers qu’il avait créé avec René Goscinny. Lors de nos rendez-vous, nous lui montrions, en général, l’avancement des deux versions. Ses commentaires étaient plus pointus sur la version Super Nintendo car, en plus du respect des couleurs, l’ensemble des éléments issus de la BD était plus détaillé, donc la comparaison était plus évidente.
Dans le numéro 21 du magazine Consoles +, Albert Uderzo est interviewé pour la sortie du jeu vidéo Astérix et glisse une révélation assez étonnante. Il semblerait que l’idée initiale d’Infogrames – sans doute lors des toutes premières discussions – mettait en scène Astérix face à des ennemis vraiment… étonnants. Voyez plutôt : « En général, je me contente de vérifier qu’on ne déforme pas graphiquement les personnages et qu’on les fait bouger tel que je le conçois. Je ne suis intervenu qu’une seule fois sur le projet, qui prévoyait au départ qu’Astérix devait affronter des Ninjas. Là, j’ai dit non, je préférais quand même que ce soit des romains. Je n’ai rien contre les Ninjas mais ce n’est pas la même époque, et il est important de conserver l’univers du personnage, sinon on s’égare et on perd toute crédibilité. »
Lorsque le projet Astérix est lancé sur Super Nintendo, l'équipe s'agrandit pour répondre aux délais et aux exigences d'une telle adaptation. Le graphiste Xavier Schon, qui s'est chargé du personnage d'Astérix et de toutes ses animations, a une particularité par rapport à ses collègues. En effet, il n'a pas réalisé le jeu depuis la France... mais en Angleterre !
Il explique cette situation :
Je devais partir faire mon service militaire (oui, ça existait encore à l’époque) et ça n’arrangeait pas du tout Bruno Bonnell car il avait besoin de graphistes et j’étais l’un des seuls. Il m’a alors proposé de faire une formation à l’étranger et je suis parti dans les locaux anglais d’Infogrames – des bureaux commerciaux. C’est depuis l’Angleterre que j’ai travaillé sur Astérix sur Super Nintendo. J’ai fait le personnage et ses animations. Stéphane Baudet gérait le projet, j’étais juste graphiste donc, pour moi, c’était assez cool (Rires). Ce qui était un peu compliqué, c’était de réaliser un personnage et des animations qui répondent aux contraintes techniques. Mais, à l’époque, même si on se retrouvait à bosser sur un personnage canonique, on n’avait pas vraiment conscience de tout ce que ça représentait et on ne ressentait pas vraiment de pression.
Pour son arrivée sur Super Nintendo, Astérix devait transporter le joueur dans de multiples contrées tout en respectant les albums et le ton de la bande-dessinée créée par Goscinny et Uderzo. À l’image de la version Game Boy, l’opus Super Nintendo fait la part belle à la plate-forme, aux salles secrètes, aux bonus et aspire au voyage. Des forêts et plaines de Gaule aux montagnes d’Helvétie en passant par les pyramides d’Égypte ou les thermes de Rome, le jeu offre un panel d’environnements très intéressant. Super Nintendo oblige, les développeurs ont également intégré des passages inédits comme le bateau pirate ou les paysages grecques. L’autre détail qui saute aux yeux et qui deviendra l’une des marques de fabrique d’Infogrames, c’est le ton pastel utilisé pour la colorisation. Les couleurs sont vraiment belles et rappellent la bande-dessinée. Et c’est bien évidemment voulu, comme le confirme Stéphane Baudet :
À l’image de la version Game Boy, nos inspirations en termes de jouabilité étaient les jeux de plate-formes de Nintendo. Les Mario sur NES étaient et restent toujours des perles de plaisir et de game design rationnel, qui fait encore école aujourd’hui. Pour l’univers graphique, notre référence était la BD, mais nous avons utilisé des palettes de couleurs assez subtiles comme des tons pastel qui tranchaient un peu avec les couleurs plus vives utilisées par les jeux japonais et ce, afin de créer une identité plus européenne. Quant aux environnements, nous souhaitions avoir des décors très différents pour renforcer l’idée de voyage à travers l’Europe et le bassin méditerranéen. Nous souhaitions également que le joueur retrouve les décors plus emblématiques des aventures d’Astérix. Albert Uderzo a d’ailleurs été très ouvert à nos propositions, nous avons pu choisir l’ensemble des pays traversés très librement.
Stéphane Baudet, en tant que chef de projet, a dû trouver des outils qui permettent de gagner du temps. Les délais étaient assez courts et il a pu s’appuyer sur son programmeur pour accéder à des outils-maison ultra efficaces. « Les bons outils font souvent les bons jeux. », résume-t-il. « Vincent Pourieux, notre programmeur outils, a développé un programme génial qui nous permettait de construire les niveaux à partir de blocs simples et surtout de positionner précisément tous les éléments de level design (bonus, ennemis, trajectoires, collisions…). L’outil possédait une fonction de pré-visualisation qui nous permettait de simuler le comportement des ennemis ou vérifier les collisions sans avoir à utiliser la Super Nintendo. C’était un gain de temps très important (pas de compilation des données ou du code nécessaire à chaque essai). » Pratique tout ça, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, ce principe est utilisé par tous les grands moteurs de jeu.
Pour donner vie à Astérix sur Super Nintendo, l’équipe avait toujours à portée des bandes dessinées qu’elle ouvrait régulièrement pour s’appuyer sur telle ou telle référence. C’est d’ailleurs l’une des méthodes qui sera employée, plus tard, pour les Schtroumpfs ou les jeux Tintin. Pour la partie musicale, l’équipe d’Infogrames s’est offert les services de son musicien attitré de l’époque : Frédéric Mentzen. L’approche de la version Super Nintendo est très différente, dans le ton, de la cartouche Game Boy. Mais c’est aussi ce qui fait son charme, avec quelques inspirations amusantes. La composition n’a pas été simple à mettre en œuvre car le manque de mémoire a obligé le musicien à trouver des parades pour que les sons soient exploitables dans les mélodies mais aussi les bruitages. À la fin de l’aventure, on sent toutefois qu’il s’est fait plaisir car le thème du niveau III du cinquième monde (Rome) fait carrément penser au célèbre générique de 20th Century Fox. Dans le niveau suivant, on note l’inspiration de la fameuse Entrée des Gladiateurs de Julius Ernest Wilhem Fučik qui est utilisée dans les spectacles de cirque. Ensuite, selon les pays, l’auteur s’est amusé à créer des tonalités qui rappellent les instruments locaux comme la mandoline ou le bouzouki pour la Grèce. Le ton musical d’Astérix, par les sonorités employées, est assez original, comme le souligne Stéphane Baudet :
Frédéric Mentzen était notre musicien attitré à l’époque. Par la suite, il a collaboré aux autres jeux consoles de l’équipe (Les Schtroumpfs , Astérix & Obélix , Tintin , etc.). Comme pour le reste des éléments du jeu, Frédéric a dû composer avec de fortes contraintes mémoires. Les lieux traversés étaient assez diversifiés, et il était assez difficile de réutiliser telle ou telle musique à n’importe quel moment. On a donc conçu des mélodies assez neutres qui pouvaient être réutilisées et des ambiances plus typées pour appuyer les décors assez atypiques comme l’Égypte. Je me souviens également que nous partagions les banques de son entre les bruitages et les mélodies. Un même échantillon, avec des réglages différents (pitch, enveloppe, etc.), servait à la fois d’instrument pour les musiques et de bruitage pour souligner une action.
Il est arrivé une drôle de mésaventure à la chef de produit d’Astérix à l’époque, Édith Protière. Alors qu’elle est en train de gérer les relations à l’internationale pour la sortie du jeu, elle se retrouve confronté aux censeurs japonais qui accusent le jeu de racisme. Elle en conserve cette anecdote :
« Le premier Astérix a déclenché leurs foudres parce qu’ils y ont découvert un noir ridiculisé par son langage et ses grosses lèvres. En tout cas, c’est ce qu’ils estimaient. J’ai dû aller leur expliquer qu’il s’agissait de la vigie des Pirates, célèbre dans tous les albums, et qu’il était très sympathique aux yeux du public. »
Alberto se souvient de cette histoire :
« Baba, la vigie des pirates, apparaît dans certaines étapes bonus. Il lance des barils et le joueur doit sauter sur les tonneaux pour atteindre sa position et le frapper pour gagner la vie. Nintendo nous a demandé de changer de personnage car Baba est noir et cela aurait pu être considéré comme du racisme. Infogrames a dû envoyer des bandes dessinées Astérix au Japon pour montrer comment Baba était frappé par les héros comme n’importe quel autre pirate à chaque fois qu’ils les rencontraient et qu’il n’y avait rien d’inhabituel ou de raciste à ce sujet. »
Pour un joueur confirmé, le jeu peut se terminer en une grosse demi-heure mais demande une dextérité de tous les instants. Il y a de nombreux niveaux et certains passages ne manqueront pas de vous faire dresser quelques cheveux blancs, comme les séquences en wagonnet. Le jeu exploite également le principe des niveaux à scrolling automatique (la caméra avance toute seule) et il y a des idées vraiment sympathiques comme lorsque le barde Assurancetourix intervient pour figer les ennemis. Astérix sur Super Nintendo suit le même concept que ses homologues Game Boy et NES mais profite, en plus, des capacités de la console 16-bits.
Stéphane Baudet a toutefois un petit regret :
Pour être tout à fait honnête, l’originalité n’était pas le point fort de ce jeu. Nous assumions parfaitement les emprunts aux références comme les Mario. Je pense que la réalisation globale de ces projets est assez bonne et la retranscription de l’univers d’Astérix plutôt fidèle. J’ai juste un regret sur le niveau de difficulté peut-être un poil trop élevé, et qui rendait le jeu trop difficile d’accès pour certains joueurs plus occasionnels, qui étaient pourtant attirés par l’univers d’Astérix.
Il poursuit :
En fait, nos jeux étaient assez courts, comparé aux Mario de Nintendo par exemple. Les rendre difficiles permettait d’allonger artificiellement leur durée de vie. Les trois niveaux de difficulté proposés étaient également pensés en ce sens, mais globalement, on peut dire aujourd’hui qu’ils étaient en fait plutôt moyen, difficile et très difficile (et non pas facile, moyen et difficile). L’autre raison était qu’à l’époque, nous ne faisions pas suffisamment de playtests, c’est-à-dire des tests avec des enfants de la tranche d’âge auxquels ces jeux étaient destinés en priorité. La difficulté était réglée par les testeurs et l’équipe de développement, qui jouait trop régulièrement, manquait de recul. Pour eux, ces jeux étaient très faciles… À cette époque, l’accessibilité des jeux n’était pas vraiment une notion qui était prise en compte ; si nous comprenions ce qu’il fallait faire ou par où il fallait passer durant les phases de test, on considérait – à tort – que tout le monde s’en sortirait.
Débuté à la fin de l’année 1992, Astérix est paru sur Game Boy et NES durant l’été 1993. Les possesseurs de Super Nintendo, quant à eux, ont dû patienter jusqu’au mois d’octobre de la même année pour se farcir les romains. Chaque boite contenait une entrée pour le Parc Astérix. Avec un million d’exemplaires écoulés (toutes versions confondues), Astérix a été une véritable réussite pour Infogrames. Le studio, surpris par l’ampleur du succès du jeu, a ensuite investi dans des cartouches de plus grande taille, avec plus de mémoire. C’est ce qui explique pourquoi les Schtroumpfs – que ce soit sur Game Boy, NES ou Super Nintendo, est un jeu plus ambitieux visuellement. Toute cette montée en puissance du studio a ensuite permis de donner à une suite techniquement impeccable : Astérix & Obélix !
LA SUITE DES AVENTURES
Tout en reprenant les routines de l’original, Astérix & Obélix est un jeu qui se montre bien plus ambitieux que son grand frère, comme le détaille Stéphane Baudet :
Il était frustrant de ne pouvoir jouer qu’avec Astérix, mais la taille mémoire de la cartouche était tellement faible que ce n’était pas envisageable dès le début. Lorsque nous avons réalisé la suite, nous avons intégré toutes les critiques qui ont été émises sur le premier jeu, comme l’absence d’Obélix et la taille trop petite des personnages. Ce jeu est beaucoup plus abouti que le précédent, mais il n’a pas connu le même succès. Il y avait une offre beaucoup plus grande que lors de la sortie du premier jeu, donc plus de concurrence…
Lorsqu’on reprend les magazines de l’époque, on remarque très clairement l’affrontement entre les jeux Astérix réalisés par Infogrames et les jeux Astérix, très différents, faits par les équipes de SEGA au Japon. Quoi qu’il en soit, que ce soit sur Super Nintendo ou Game Boy (la suite n’est pas sortie sur NES), Astérix & Obélix est un jeu graphiquement impeccable, qui profite d’animations bien plus poussées. Le petit plus de la version Super Nintendo, au-delà du visuel qui est digne d’un dessin animé, c’est la possibilité de parcourir l’aventure à deux simultanément. Sur Game Boy, le jeu reste en solo mais la réalisation profite d’un gap considérable avec des sprites plus grands et des décors vraiment fouillés.
Alberto José González et l’équipe de Bit Managers se sont chargés de l’épisode sur portable mais à la différence d’Astérix premier du nom, le musicien a composé les thèmes de chaque version, en suivant une recommandation de Stéphane Baudet : que la musique soit épique et sonne un peu à la Disney. Pour composer cette bande-son, il s’est appuyé sur un clavier MIDI pour la première fois (un Roland PC-200 MKII), une carte son Turtle Beach Maui et un amplificateur Marantz PM-40. Peu à peu, il a délaissé ses outils d’origine.
J’ai composé la musique d’Astérix & Obélix sur Super Nintendo, sous la direction de Stéphane. C’était un grand moment ! Cette machine est impressionnante et j’ai aussi énormément apprécié le jeu qui m’a beaucoup aidé pour l’inspiration. J’aurais souhaité composer une autre bande sonore sur cette console, car j’ai à peine commencé à effleurer le vrai potentiel de la puce sonore. La Super Nintendo est un bel exemple de l’équilibre entre les limites techniques et la liberté qu’elle offre aux musiciens. Plus de puissance se traduit par une marge de manœuvre plus large et des possibilités plus évoluées, mais pas forcément de l’inspiration. Dans la plupart des cas, l’accès à de multiples canaux et à plus d’options permet de se concentrer sur la musique (et donc de créer de nouvelles mélodies), au lieu de se focaliser sur d’autres éléments.
Une nouvelle fois, les thèmes proposés par Alberto dans Astérix & Obélix sont superbes… et totalement inédits d’une version à l’autre. Certains thèmes sortent vraiment du lot, comme le niveau se déroulant à Londinium, et on comprend mieux pourquoi en posant la question à l’intéressé :
Pour Londinium, l’inspiration m’est venue en regardant ce superbe environnement, avec la nuit, le brouillard et tout le reste. Je l’ai trouvé sublime ce niveau.
Même en étant un compositeur hors-pair, et ce sont des révélations qui reviennent souvent, Alberto ne ressentait aucune pression car il vient d’une époque où les musiciens n’étaient pas vraiment « considérés ». Il explique :
Je n’ai jamais ressenti la moindre pression. En fait, la plupart du temps, j’ai eu l’impression que personne ne s’intéressait à ce que je composais. Je ne me souviens pas avoir eu beaucoup de commentaires par rapport à mes bandes sonores, ou peut-être juste de temps en temps. Je ne pense pas que le son de la Game Boy (sa machine de prédilection) était pris très au sérieux, la plupart des commentaires ne traitaient pas de cette console.
Aujourd’hui, il apprécie d’autant plus les retours.
Ce que je peux dire aux fans de mes musiques, c’est merci pour leur soutien ! L’idée d’avoir des fans avec les mêmes sentiments que j’ai pour d’autres compositeurs est vraiment géniale, c’est quelque chose que j’apprécie énormément.
Astérix & Obélix a profité de toute l’expérience acquise par Infogrames et Bit Managers sur le premier Astérix. Ce premier volet a permis de définir une base qui a été sublimée par la suite. Stéphane Baudet estime toutefois que la meilleure version, en matière de visibilité, reste l’épisode original :
Lors du développement de la suite, grâce au succès du premier jeu, nous avions des prévisions de vente élevées donc nous avons pu partir sur une cartouche deux fois plus grande. Du coup, les personnages étant plus gros, nous avons, sans vraiment nous en rendre compte, perdu le côté positif du premier jeu. En effet, avec la contrainte de la mémoire, imposer une taille minimum pour Astérix a été bénéfique pour le jeu car cela permettait d’avoir une distance de visibilité plus importante que sur la plupart des jeux de plate-forme, le joueur anticipait plus facilement ce qui arrivait (ennemis, bonus, trous, etc.).
Avec ses qualités et défauts, les jeux Astérix d’Infogrames ont vraiment été un tremplin pour Infogrames dans sa propension à adapter les plus grands succès de la bande dessinée franco-belge. Même si la suite, sortie également sur PC, Game Boy Color puis dans une compilation sur Game Boy Advance, n’a pas eu le même succès, ces titres ont marqué leur génération et ce n’est absolument pas un hasard s’ils reviennent dans les discussions des nostalgiques de cette époque 8/16-bits. Plutôt bien accueillies par la presse spécialité des années 1990, voilà deux aventures à vivre et revivre. Tous ces auteurs, créateurs et développeurs, qu’ils soient de France ou d’Espagne, ont participé, à l’époque, à l’arrivée des gaulois sur consoles. Il sera sûrement très intéressant, un jour, de se pencher sur le cas des jeux Astérix sur consoles SEGA qui, eux-aussi, ne doivent pas manquer de secrets étonnants. L’œuvre de Goscinny et Uderzo, quant à elle, n’a pas fini de traverser les générations.
Pour terminer, nous vous laissons en compagnie d’Isidro Gilabert, le programmeur de Bit Managers qui a une anecdote qui en dit long sur l’importance du jeu vidéo à l’époque :
Mon anecdote préférée, c’est comme nous sommes allés à la télévision espagnole. Ils nous ont interviewés dans un programme consacré aux jeux vidéo. Le public était constitué d’étudiants et d’enseignants, c’était une école. Pendant une pause, l’un des professeurs est venu vers nous et nous a demandé : ‘C’est cool que vous faites des jeux vidéo mais… que faites-vous dans la vie ?’ Heureusement, les gens comprennent désormais que la création de jeux vidéo est un vrai métier.
Assurément une autre mais riche époque.
Sources et entretiens :
- Interviews d'Alberto José González, Isidro Gilabert, Stéphane Baudet et Xavier Schon
- Pix'n Love #10 : Astérix
- Magazine Super Power n°8
- Magazine Consoles + n°21
- La Saga des Jeux vidéo - Daniel Ichibiah - Éditions Pix'n Love