Lorsque nous évoquons le nom de Nintendo, les premières images qui nous viennent à l’esprit sont celles de jeux vidéo pensés pour toute la famille. La société a réussi à créer et développer un univers attachant, fidélisant ainsi des joueurs de tout âge. La marque rassure les parents inquiets de laisser leurs enfants avec une console qui, potentiellement, proposent des contenus non adaptés. Pourtant, des titres matures, il y en a eu, et cela semble être en train de s’intensifier avec la Switch.
Image et censure
Qu’entend-on par jeux dits « matures » ? Ils correspondent à des titres réalisés pour un public adulte. Ils peuvent contenir de la violence, des scènes de nudité et de sexe, un langage grossier, une ambiance horrifique, un scénario et des dialogues trop soutenus, etc. Déconseillées aux enfants et parfois adolescents, ces œuvres doivent dans certaines zones du monde prévenir à quelle tranche de la population elles s’adressent. Cela passe par exemple par le système de PEGI et ses pictogrammes en Europe ou bien l’ESRB présent en Amérique du Nord.
Les jeux développés par Nintendo ou ses studios s'adaptent à tous les âges. L'édition des séries Fire Emblem et Bayonetta sont des cas à part et exceptionnels si nous les comparons à toutes les autres productions du constructeur. Ce dernier profite depuis des décennies d'une bonne image et nous lui collons volontiers l'étiquette de jeux vidéo familiaux. Nous nous souvenons de cette fameuse histoire de versions de Mortal Kombat : le versus remporte un sacré succès grâce à sa violence sur borne d'arcade. Le portage sur la Super Nintendo en 1992 transforme le sang en sueur et les Finish Him se montrent moins brutaux. Sur Mega Drive en revanche, un code contournait cette censure. À cette époque, Sega conduisait une communication agressive pour séduire des joueurs plus âgés, tandis que Nintendo se construisait une réputation tout public.
Mais si nous nous intéressons à Nintendo Japon, nous remarquons une différence de traitement avec les filiales nord-américaines et européennes. Au pays du soleil levant, les mœurs et la morale divergent de ceux établis en Occident. Nintendo a validé des titres sur ses terres qui seraient passés pour du contenu adulte chez nous. Certains d’entre eux n’ont d'ailleurs jamais vu le jour en Amérique et en Europe. D’autres ont réussi à passer à travers les mailles du filet grâce à la censure. Si le sang est quasi inexistant dans les jeux commercialisés au Japon et sur les consoles de Nintendo, la nudité ne rime pas forcément avec interdit. Des personnages, féminins pour la plupart, se font rhabiller pour se hisser au-dessus des frontières. C’est le cas avec les statues du château de Dracula dans Super Castlevania IV . Elles posent dans le plus simple des appareils sur la Super Famicom et se couvrent d’un drapé dans les versions américaines et européennes.
Des exclusivités pour adultes
Bien qu'il s'agisse d'exceptions, Nintendo accueille des jeux plus adultes d'autres éditeurs, qui se retrouvent commercialisés à l'international. Nous comptons même quelques exclusivités, parfois temporaires. Une preuve que le constructeur a essayé à plusieurs reprises de diversifier son catalogue. L’un des premiers jeux qui surpris tout le monde, c’est Conker's Bad Fur Day sorti en 2001 sur la N64. Malgré ses graphismes qui rappellent les autres séries de RARE comme Banjo-Kazooie , il comporte un langage grossier, des insultes, des corps sexualisés et il met en scène un héros alcoolique et pervers. Cerise sur le gâteau, lors de l'introduction le méchant écureuil tronçonne le logo de la N64, qui nous laisse croire que Nintendo a vraiment voulu casser son image. Bref, il coche toutes les cases pour s'adresser à un public avisé.
Autre cas intéressant : le survival-horror Resident Evil 4 . Le jeu de Capcom marque un tournant dans la saga en y incorporant davantage d'action. Sorti en 2005, le titre se montre en premier sur la console de Nintendo grâce à un contrat d’exclusivité. Mais ce dernier se voit rompu quelques mois plus tard à cause des faibles ventes sur GameCube. Comment expliquer ce semi-échec ? Peut-être parce que cela ne répondait pas aux attentes des joueurs Nintendo ou que les admirateurs du genre étaient déjà équipés chez Sony, qui regroupent plus de titres de cet acabit par rapport aux consoles Nintendo.
D'autres ont également marqué l'histoire du jeu vidéo par leur singularité, détonnant beaucoup avec le reste du catalogue de Nintendo. L'exclue MadWorld sortie en 2009 sur Wii a créé la surprise avec sa violence gratuite proche de la caricature. Le principe du jeu consiste à massacrer le plus de candidats possible dans une télé-réalité. Un jeu cruel, sublimé par une direction artistique audacieuse qui rappelle Sin City : tout se déroule en noir et blanc à l'exception du sang qui prend la couleur d'un rouge particulièrement vif. Eternal Darkness : Sanity's Requiem paru en 2002 sur N64 et GC, est un chef d'oeuvre du jeu d'épouvante et pour de diverses raisons. L'ambiance et ses histoires entremêlées réussissent à brouiller notre perception de la réalité. Les mécaniques de jeu ont secoué le genre en y redéfinissant les codes. Dans une bien moindre mesure, Nintendo comporte aussi son lot de jeux mignons, mais sexy appelés ecchi. Pour n'en citer qu'un, le beat'em up Senran Kagura Burst sur 3DS sexualise le corps de filles ninjas, où les récompenses dénudent ces dernières. Conclusion : il y a bien en effet eu des jeux matures sur les différentes consoles de Nintendo, mais leur nombre, leur mise en avant et leur succès commerciaux demeurent très limités pour la plupart. Malgré leur qualité, nous nous retrouvons plus sur un marché de niche. Cela semble bel et bien évoluer.
Vers une ludothèque plus diversifiée
Avec l’arrivée de la Switch, la position de Nintendo a changé. Dès lors de sa présentation en vidéo, la console hybride a préféré mettre la lumière sur les Joy-Cons noirs pour se débarrasser de son aspect jouet qui lui colle à la peau. Le trailer montrait par ailleurs des joueurs adultes et non des enfants. La Wii U manquait de jeux tiers matures, ce qui lui a causé du tort face à la PS4 et la Xbox One. Les éditeurs et développeurs de contenus sensibles ne se tournaient pas naturellement vers Nintendo. Surprise, la firme de Kyoto répond plus positivement pour ne pas reproduire l'épisode douloureux de la Wii U. Certains développeurs ont réalisé que travailler avec la société se révélait plus facile que par le passé. À propos, Nintendo a confié au Wall Street Journal : « Comme pour les livres, la télévision et les films, différents contenus sont destinés à différents publics».
Aujourd’hui la Switch peut se vanter de proposer dans son catalogue tout type de jeux. Ceux tout doux de Nintendo comme Animal Crossing cohabitent avec des licences connues pour leur violence telle que Doom , Wolfenstein Youngblood ou Payday 2 . Il ne s'agit plus là de titres obscurs, mais bien de grosses franchises qui ont déjà fait leurs preuves sur d'autres consoles et PC. D'autres, moins grand public mais controversés, débarquent aussi en Occident comme Metropolis: Lux Obscura, The Men of Yoshiwara Ohiya, Lust for Darkness ou Gal Gun 2 , qui consiste à frapper de jeunes filles à coup de phéromones pour qu’elles tombent amoureuses du héros...
Nintendo rassure les parents
La compagnie nippone demeure indissociable de Mario et son univers qui convient parfaitement aux plus jeunes. Mais avec le virage qu’elle effectue, elle doit prendre garde à ne pas non plus ternir sa réputation auprès du grand public. Atsushi Osanai, professeur à la Waseda Business School a déclaré en ce sens que «Faire une présentation aux joueurs matures avec une gamme de jeux plus large est fondamentalement bon pour l’entreprise, mais Nintendo devrait le faire avec soin afin de ne pas briser l’image que les parents ont de leurs produits jugés jusqu’alors sûrs pour leurs enfants. »
Pour répondre à ça, Nintendo a mis en place un contrôle parental fort dans les paramètres de la Switch afin d’éviter que les plus jeunes ne tombent sur des contenus sensibles. L’application Contrôle Parental Nintendo Switch va même plus loin puisqu’elle met à disposition des parents ou autres responsables toute l’activité de leurs progénitures sur la console et quelques outils pour limiter leur consommation.
Par habitude et pour son histoire, nous plaçons bien souvent Nintendo comme hors compétition avec les machines de Sony et Microsoft. Mais le catalogue de jeu de la Switch se rapproche de ce que nous pourrions qualifier d’ultime puisqu’il comporte des exclusivités de qualité en provenance des studios internes et désormais, de gros jeux pour adultes. Très récemment, Deadly Premonition 2 : A Blessing in Disguise nous faisait replonger dans cet univers inquiètant que nous avions laissé il y a quelques années. Si l'ambiance se montre horrifique, que dire de sa partie technique qui semble n'avoir jamais dépassé les années 2010. Dans tous les cas, le catalogue de la Switch s'enrichit au fil du temps et pourrait convaincre de nouveaux joueurs, soucieux de vivre des expériences multiples.