Les témoignages de femmes à l'encontre d'acteurs majeurs de l'industrie vidéoludique, accusés de harcèlement voire d'agressions sexuelles, affluent sur internet depuis plus d'une semaine maintenant. Un mouvement de libération de la parole d'une ampleur inédite.
Les accusations visant Chris Avellone, scénariste réputé du milieu qui a travaillé sur Fallout : New Vegas, Pillars of Eternity ou encore Alpha Protocol, ont été l'un des éléments déclencheurs du mouvement. Samedi 20 juin, une certaine Karissa a publié un long récit sur Twitter, racontant comment l'auteur l'aurait enivrée puis agressée sexuellement au cours d'une convention il y a plusieurs années. D'autres témoignages de femmes décrivant des comportements abusifs de la part d'Avellone ont rapidement fait surface, notamment dans les colonnes de Kotaku. Sans nier ni reconnaître clairement les faits publiquement, l'intéressé a présenté des excuses à plusieurs accusatrices. Deux jours plus tard, Techland (Dying Light 2), Paradox Interactive (Vampire The Masquerade Bloodlines 2) et Gato Salvaje (The Waylanders) ont chacun diffusé un communiqué et pris leurs distances avec l'auteur.
Depuis, les récits se sont multipliés sur les réseaux sociaux, dénonçant les dérives dans certaines équipes ou des personnes bien précises de l'industrie. Certains évoquent des cas de harcèlement sexuel, d'autres des menaces, des agressions sexuelles ou des propos racistes, sexistes et homophobes, qui remontent parfois à plusieurs années. Difficilement vérifiables, ces accusations graves sont tellement nombreuses qu'il est "impossible de tout recenser", se désole la scénariste Meghna Jayanth, qui a relayé un grand nombre de ces prises de parole sur son profil Twitter.
Ubisoft sous le feu des accusations
Dans le lot, un nom ressort régulièrement : celui d'Ubisoft, l'un des plus gros employeurs de l'industrie avec ses milliers de salariés à travers le globe. Les témoignages, anonymes ou non, concernent les bureaux de la firme au Canada, mais aussi aux États-Unis, en Bulgarie, en Suède et en France, visant parfois nommément certains employés haut placés. Le service des ressources humaines est à plusieurs reprises pointé du doigt pour son inaction face à ces abus et pour avoir protégé certains agresseurs présumés.
Ubisoft a rapidement réagi par voie de communiqué à la presse, indiquant prendre la situation "très au sérieux".
Concernant les récentes allégations portées contre certains membres des équipes d’Ubisoft : nous souhaitons commencer par nous excuser auprès de toutes les personnes affectées - nous sommes sincèrement désolés. Nous sommes engagés à créer un environnement inclusif et sûr pour nos équipes, nos joueurs et nos communautés. Il apparaît clairement que nous n'avons pas réussi à atteindre cet objectif. Nous devons faire mieux. Nous avons lancé des enquêtes sur les allégations avec le soutien de consultants externes spécialisés. En fonction de leurs conclusions, nous nous engageons à prendre toutes les mesures disciplinaires appropriées. Ces enquêtes étant en cours, nous ne pouvons pas faire de commentaires supplémentaires. Nous procédons également à l'audit de nos politiques, procédures et systèmes existants afin de comprendre là où ils ont été défaillants, et de nous assurer que nous puissions mieux prévenir, détecter et punir tout comportement inapproprié. Nous partagerons avec nos équipes les mesures supplémentaires que nous sommes en train de mettre en place dans les jours qui viennent. Notre objectif est de favoriser un environnement dont nos employés, nos partenaires et nos communautés puissent être fiers, un environnement qui reflète nos valeurs et qui est sûr pour tous. Communiqué d'Ubisoft du 25 juin.
Le syndicat Solidaires Informatique Ubisoft Paris a également pris la parole dans un communiqué daté au 26 juin, et affirme qu'il "ne s’agit pas seulement de quelques cas isolés, dont l’exclusion seule suffirait à résoudre le problème, mais d’une question systémique, qui semble tolérée de manière massive et de longue date". Il demande ainsi à l'entreprise qu'elle "prenne ses responsabilités et entreprenne des changements en profondeur, en identifiant toutes les personnes, les mécanismes et la culture qui a permis et protégé ses violences et en la changeant radicalement, plutôt que quelques licenciements, de la communication externe et du damage control". Selon les informations de Bloomberg, Ubisoft aurait mis à pied deux personnes, toutes deux vice-présidents de l'équipe éditoriale, le premier à Paris, le second à Toronto, ainsi que plusieurs autres employés. La porte-parole Stéphanie Magnier a indiqué que l'entreprise ne fera pas d'autres commentaires le temps de l'enquête sur les accusations dont ses employés font l'objet.
Insomniac Games est aussi concerné par cette vague d'accusations et a publié deux tweets en réponse aux messages d'une ancienne employée, concernant une dizaine de femmes qui auraient été affectées et poussées à la démission par la direction du studio. Celle-ci aurait protégé plusieurs prédateurs sexuels, selon les dires de nos confrères de gamesindustry.
Nous étions au courant des allégations formulées aujourd'hui dans les tweets d'une ancienne employée et nous avions pris de nombreuses mesures pour y remédier. Pour des raisons juridiques et de confidentialité, nous ne répondrons pas aux allégations individuelles concernant d'anciens employés spécifiques. Nous sommes un lieu de travail familial qui a toujours activement encouragé la diversité, l'inclusion, la représentation et l'égalité. Nous continuerons de le faire chaque jour. Communiqué d'Insomniac Games du 23 juin.
Des streameurs Twitch également dénoncés
Ce n'est pas la première fois que ce type de témoignages sort publiquement, mais le phénomène prend ici une ampleur inédite et ne s'arrête pas à une poignée d'affaires, comme ce fut le cas en août dernier avec les accusations à l'encontre du compositeur Jeremy Soule et du développeur indépendant Alec Holowka. L'ensemble du secteur semble secoué, y compris le milieu du streaming. Un document Google mis en ligne le 23 juin par la streameuse Jessica Richey recense plus de 260 accusations de harcèlement sexuel et de comportements inappropriés, visant principalement des créateurs de contenu américains et des personnalités de l'esport. Plusieurs d'entre eux ont été bannis de manière permanente, certains ayant reconnu les faits en présentant des excuses publiques, tels que iAmSpoon et BlessRNG. Twitch s'est fendu du communiqué suivant le 24 juin, jour de l'appel au boycott "TwitchBlackout", organisé pour dénoncer le manque de réaction de la plateforme face aux cas de harcèlement.
Nous examinons chacun des cas portés à notre connaissance dans les meilleurs délais, tout en effectuant les vérifications nécessaires. Nous traitons en priorité les cas les plus graves et nous allons commencer à bannir certains comptes de manière permanente. Dans beaucoup de cas, les incidents dénoncés ont eu lieu hors de Twitch, et nous devons rassembler plus d'informations pour orienter nos décisions. Dans certains cas, nous devrons solliciter les autorités, qui sont mieux placées pour conduire des enquêtes abouties. Communiqué de Twitch du 24 juin.