Il ne vous a pas peut-être pas échappé que depuis la sortie de The Last of Us Part II vendredi dernier, le titre de Naughty Dog a été victime de review bombing, pratique dont 87 vous parlait l'année dernière. Encensé par la critique avec un score Metacritic de 95, le titre accuse actuellement les foudres des joueurs sur le site susnommé avec un score de 3.9 pour 54 163 avis. Au delà du côté souvent contestable de la méthode, on peut se demander comment ce titre a pu engendrer autant de réactions virulentes, également visibles sur jeuxvideo.com avec une note Lecteurs de 11.5 pour 779 avis.
L'article ci-dessous comporte quelques spoils mineurs concernant certains personnages ainsi qu'une réflexion sur divers éléments narratifs. Une mention vous renseignera sur cette dernière partie afin de ne pas vous faire spoiler si vous n'avez encore pas terminé le jeu.
Comme nous le mentionnions dans notre test, The Last of Us Part II est un jeu d'auteurs. Il ne pouvait donc que diviser d'autant qu'il aborde plusieurs thèmes sensibles (la religion, la sexualité) tout en se présentant comme la suite d'un titre ayant marqué des millions de joueurs. De fortes réactions étaient à prévoir, ce qui en soi est une bonne chose si tant est qu'elles fassent avancer le débat.
Or, c'est plutôt le contraire dans le cas présent sachant que la grosse majorité des avis de Metacritic ont été postés le jour de la sortie du jeu, avant que les joueurs aient pu terminer voire même jouer au titre. Ces réactions à chaud se sont donc principalement basées sur les nombreux leaks du scénario, mais aussi et surtout sur la vision qu'avaient les joueurs de cette suite qui ne correspond pas à leurs attentes.
Confronter des avis reste un excellent moyen de revenir sur l'image qu'on a d'une oeuvre et de l’apprécier sous un jour nouveau. D'ailleurs, nous avons maintes et maintes fois rappelé que les tests de jeuxvideo.com n’engagent que leurs auteurs, qu'ils ne sont en rien des dogmes et qu'ils restent avant toute chose une porte d'entrée pour vous forger un premier avis, le plus important consistant à les mettre en opposition avec ceux de nos confrères afin de glaner un maximum d'informations. Dans le cas présent, cette méthode s'apparente plus ou moins à une sorte de biais de confirmation s'auto-alimentant via des avis tranchés de personnes cherchant davantage à faire du tort à une œuvre. La discussion n'est donc pas le but recherché puisqu'il s'agit plutôt de s'enfermer dans ses convictions sans chercher à écouter des arguments allant à l'encontre de ceux qu'on véhicule.
Si le tout pourrait se comprendre dans une certaine mesure pour ce qui est du gameplay, élément se basant sur des mécaniques précises visant coûte que coûte le confort du joueur, il l'est en revanche beaucoup moins pour le scénario dicté par la vision de ses auteurs, en l’occurrence Neil Druckmann et Halley Gross, et cherchant ici à secouer le joueur. C'est justement ce parti-pris, brisant très rapidement ce que beaucoup croyaient acquis, qui semble déranger de nombreux joueurs dans The Last of Us Part II. Cette réaction épidermique est intéressante, car elle stigmatise l'envie de retrouver un univers, des personnages tout en refusant d'être bousculé dans ses convictions basées sur ses propres attentes et non plus celles d'un scénariste désireux de continuer l'histoire qui, à l'origine, lui appartient. On a donc ici un choix pour le moins osé, mais précieux de la part de Naughty Dog, synonyme de AAA non calibré en fonction des scénarios élaborés par les fans, de leurs attentes, mais conditionné par quelque chose de beaucoup plus personnel. Ca peut sembler anecdotique, mais ceci va à l'encontre de ce qui se fait à Hollywood où les prises de risques concernant les blockbusters sont de plus en plus minces et où les datas, les screens tests, peuvent changer l'orientation d'un projet en cours de production si les retours des spectateurs sont négatifs. Si ceci peut se comprendre d'un point de vue du retour sur investissements, il devient dangereux d'un point créatif car engendrant une uniformisation.
The Last of Us Part II va loin, très loin même dans le traitement de ses personnages et ne se fixe que peu de limites pour arriver à ses fins. Si critiquer sa violence ou son histoire (si tant est qu'on ait une vision globale de celle-ci) est légitime, il est en revanche ridicule de clouer cette suite au pilori à cause de l'orientation sexuelle de certains personnages. Ouvertement LGBT, The Last of Us Part II met en avant Ellie, lesbienne, Dina, bi, tout en offrant une impressionnante musculature à Abby faisant d'elle un personnage très masculin. En soi, on ne devrait pas s'attarder sur ces éléments et je dois bien vous avouer que ce n'est qu'après avoir terminé l'aventure, en parcourant plusieurs articles à ce sujet, que j'ai commencé à y réfléchir. Cet aspect du jeu revenant souvent dans les commentaires dénigrant le titre sur Metacritic, on peut se questionner sur la virulence de ces prises de position.
SPOIL
The Last of Us Part II n'est pas exempt de défauts. On sent ainsi que les scénaristes ont eu à cœur de plaire à toutes les communautés, en poursuivant l'histoire d'Ellie tout en y intégrant de nouveaux personnages. Malheureusement, et malgré un étirement du récit dans son dernier tiers, le game director n'est pas parvenu à suffisamment creuser certains personnages à l'image de Jesse ou Manny, importants pour Ellie et Abby mais rapidement relégués au rang de «buddies de luxe» principalement utiles pour faire avancer le récit à la toute fin et légitimer encore plus le sentiment de vengeance réciproque des deux femmes. On pourra également reprocher aux auteurs d'avoir cherché à tout prix à créer un jeu de miroirs parfait entre Ellie et Abby afin de constamment immiscer le doute dans l'esprit du joueur en le forçant à se demander qui est la plus condamnable des deux. Que ce soit à travers une scène de sexe, la perte d'êtres chers ou la prise de conscience les stoppant net dans leurs excès de violence, cette suite oppose constamment les vies des deux femmes n'étant ni plus ni moins que les deux faces d'une même pièce.
Enfin, bien que l'identité transgenre de Lev soit habilement intégrée au récit, l'écriture du personnage s'avère imparfaite, dans cette volonté de fuir les Scars, refusant qu'une femme se rase la tête (ceci rendant impossible son envie d'être un jeune garçon), tout en étant pourtant très proche de la prophétesse du culte et donc de leur religion. Un traitement flou ne permettant pas vraiment de bien définir le jeune garçon d'autant que toutes ces questions ne sont finalement traitées qu'à travers quelques lignes de dialogues, mettant en avant l’insignifiance que devrait avoir ce sujet dans notre quotidien, mais insuffisantes pour offrir de l'épaisseur à Lev.
Le physique atypique d'Abby aura également soulevé des questions, autant sur sa sexualité que l'intérêt de lui offrir une telle masculinité. Néanmoins, critiquer cet aspect du personnage n'a aucun sens sans avoir terminé le jeu. C'est en effet, en poursuivant l'aventure qu'on comprendra pourquoi Druckmann et Gross ont opté pour un tel design, sans doute ici aussi pour mettre en avant des personnages différents, mais surtout parce que cette carrure est représentative de la carapace qu'Abby a dû se forger au fil de son existence pour s'endurcir et affronter une réalité impitoyable. Notons que l'apparence du personnage sert également à accentuer le contre-poids avec Ellie, plus frêle et amenée, à l'image de Lara Croft dans le reboot de 2013, à endurer mille souffrances en avançant dans sa quête vengeresse.
FIN DU SPOIL
En définitive, ne pas apprécier une œuvre, que ce soit un film, un roman ou un jeu vidéo, est tout à fait normal. Confronter des avis ne peut être que positif, si tant est qu'il y ait derrière une réelle envie d'en discuter sans vouloir imposer à tout prix son opinion. A l'inverse, déverser sa colère pour le simple plaisir de le faire (l'anonymat offert par Internet ayant malheureusement accentué cet état de faits) et critiquer sans développer un argumentaire solide tout en réfutant systématiquement ce qui nous semble «hors normes» est dangereux pour la créativité d'une industrie. Néanmoins, The Last of Us Part II aura porté jusqu'au bout son envie de modernité et d'inclusion, pas toujours très adroitement mais directement héritée de celle du premier épisode. Oui, le jeu entend bien nous faire réagir par ses prises de position clivantes et si vous attendez d'une suite qu'elle reprenne simplement la formule initiale sans nécessairement l'enrichir, il y a des chances que vous soyez déçus. Cependant, le plus important reste que vous réfléchissiez à ce que vous avez vécu trente heures durant afin d'en discuter, d'échanger et finalement, dresser un bilan de ce que The Last of Us Part II a apporté (ou non) au jeu vidéo et en dehors.