Créer un open-world passionnant où l’on ne s’ennuie pas, y a rien à faire, c’est un sacré défi. Parce que la nature même de monde ouvert suppose que le joueur a le droit d’aller où bon lui semble à tout moment. Et donc, que c’est en grande partie sur lui que repose le rythme. S’il tombe sur un truc passionnant, tant mieux, sinon, tant pis. Tout ça est bien sûr lié à la manière dont les développeurs nous guident dans l’espace de jeu (c’était l’objet d’un précédent billet) mais surtout à ce qu’ils choisissent de mettre à l’intérieur : les quêtes et objectifs annexes. Et si on s’en débarrassait ?
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
L’idée m’est venu à l’esprit pendant mes heures sur Mafia II : Definitive Edition, remaster du second épisode de la série sorti tout récemment. Et devinez quoi : le jeu ne contient aucune quête ou objectif annexe. Bon d’accord, il y a quand même les magazines Playboy et les affiches Wanted à récupérer. Mais ils sont tellement peu intrusifs (pas de compteur pour vous dire où vous en êtes, pas d’emplacement sur la carte et un trophée pour seule récompense) qu’on peut se permettre de les ignorer ici.
Je l’admets, je pense préférer les aventures linéaires aux open-world (on parlera du cas Breath of the Wild dans quelques lignes). J’aime leur manière d’aller à l’essentiel, de faire vivre les phases de gameplay et les étapes narratives dans un ordre scrupuleusement établi à l’avance, et aussi leur rythme, souvent beaucoup plus soutenu et maîtrisé que dans un open-world (on y reviendra plus tard aussi). Mafia II : Definitive Edition m’a donné tout ça, en plus d’ajouter un soupçon de liberté qui marche très bien.
Parce que oui, c’est toujours rigolo de conduire n’importe comment dans les rues d’une métropole pour échapper à la Police. Ou de s’arrêter sur le retour d’une mission pour observer la mer ou le soleil couchant. Bref, c’est chouette d’avoir la possibilité de faire ce que l’on veut. Mais c’est aussi super de savoir que suivre “seulement” la quête principale ne nous fera pas rater la moitié du jeu. Ne pas avoir d'objectifs annexes, c’est certes une vision du monde ouvert résolument old-school. Mais qu’est-ce que ça fait du bien de pouvoir de nouveau y goûter aujourd’hui.
Logique industrielle
Car depuis l'avènement du genre dans les années 2010, l’open-world est entré dans une logique industrielle. Faire toujours plus gros, avec toujours plus de points d’intérêts et toujours plus de trucs à faire. Ce genre d’ambition - ou plutôt de surenchère - a de bons côtés. Elle repousse les limites du monde ouvert et stimule la concurrence. Mais elle fait surtout perdre de vue l’essentiel (ou du moins ce qui est défini comme tel par le jeu). “Pourquoi est-ce que je suis dans cette région déjà ?”, “Où est la trame principale parmi toutes ces quêtes ?”. Voilà le genre de choses que je me suis demandé dans AC : Origins ou Red Dead II.
Red Dead Redemption II - Trailer de lancement
Et la chose est encore plus dommageable dans The Witcher 3, où Geralt est censé retrouver Ciri le plus vite possible. Ici, les actions du joueur ne reflètent pas du tout cette urgence. Le monde est trop beau, trop vaste et trop insistant avec son contenu - les nombreux points d’interrogation - pour que le joueur ne s'y balade pas. Et c’est un peu dommage. Ça ne fait pas du titre de CD Projekt Red un mauvais jeu - très loin de là même - mais un jeu moins puissant. Si pour le cinéma, on dit souvent “show but don’t tell” (montre mais ne raconte pas), le jeu vidéo devrait s’attacher à la règle “fait vivre mais ne raconte pas”.
Suivre le rythme
Outre ce genre de dissonance ludonarrative, la taille grandissante et le nombre de quêtes annexes rendent certains open-world particulièrement compliqués à rythmer et à baliser. Tout simplement parce que les joueurs peuvent faire tout et n’importe quoi et sont sans cesse appelés par d’autres activités. Lors d’une conférence à la GDC 2020, le développeur indépendant Adam Robinson-Yu expliquait les trucs et astuces qu’il a mis en place dans A Short Hike, petit monde ouvert tout mignon. Il voulait entre autres que les joueurs tombent dès la première zone sur la Pelle, qui permet - sans blague - de creuser un peu partout.
Mais il voulait aussi que cette découverte donne l’impression d’être faite par hasard. Il a alors placé le même item à différents endroits pour être certain que l’on tombe dessus à un moment ou un autre au début de l’aventure. Il s’agit de quelque chose d’important niveau rythme (nouvelle mécanique) et plaisir de jeu (une découverte qui semble inopinée). Mais c’est quelque chose de bien plus compliqué à faire quand des dizaines de points d’intérêts demandent votre attention dans un espace de jeu gigantesque.
En 2017, Breath of the Wild a pris le problème à l’envers en donnant dès le départ tous les outils du jeu au joueur. Et on peut d’ailleurs voir le jeu tout entier comme une longue succession de quêtes annexes. L’objectif principal est clairement identifié dès le départ : tuer Ganon au centre de la carte. Tout le reste (Sanctuaires, Donjons, etc) permet d’avoir plus de chances face au boss. Au final, soit comme dans Mafia II, on enlève toutes les quêtes annexes pour privilégier la trame principale. Soit on fait un jeu avec uniquement des objectifs secondaires, comme le dernier Zelda. La réponse pour un bon open-world - de manière très subjective - semble donc être quitte ou double.