Sorti en 2002 sur PC, Xbox et PS2, Mafia a été une petite pépite en son temps. Son atmosphère, sa science de la mise en scène, son propos mature et sa reconstitution de l'Amérique de la prohibition des années 30 sont autant d'éléments ayant fait de lui un jeu incontournable pour tous les amateurs de l'univers gangster. Si la franchise s'est déclinée en deux autres épisodes assez différents, et qui sont d'une tenue encore acceptables en dépit des années, notamment en ce qui concerne le déjà vieillissant Mafia II, Mafia premier du nom, lui, mériterait bien un petit coup de verni, et c'est ce qui semble se tramer dans les locaux de Hangar 13, sous la tutelle de 2K, selon les récentes rumeurs et maladresses du Windows Store.
Mafia Trilogy se tease en vidéo
La perspective d'un remake nécessaire ?
Très récemment, 2K a refait parler de sa franchise en diffusant un trailer d'un certain Mafia Trilogy. Si l'on se doute bien que ladite trilogie renfermera en une seule boîte les trois volets de la franchise, difficile de savoir avec précision en revanche si les deux premiers épisodes bénéficieront par la même occasion d'un remaniement pour les remettre au goût du jour. Dans le foulée de l'annonce, la page nord-américaine du Microsoft Store a mis en ligne les fiches de Mafia et Mafia II : Definitive Edition. Sur la fiche de ce dernier était précisé son statut de remaster, comprenez sans doute refonte HD, et sa sortie serait fixée au 19 mai prochain, date à laquelle les détails sur Mafia Trilogy devraient être dévoilés.
Mais c'est essentiellement la possibilité d'une Mafia Definitive Edition qui a retenu l'attention des fans, nombreux, du premier opus de la franchise. Si la page du Windows Store la recensant a été supprimée après n'être restée en ligne qu'une poignée d'heures, quelques informations, que nous manipulerons cependant avec précaution, rien n'étant pour l'heure officialisé par 2K, laissaient entrevoir la perspective d'un remake intégral, avec une volée de captures d'écran illustrant la refonte pour le moins alléchante. Effectivement, le premier Mafia pourrait bien nous revenir dans un remake intégral et, il faut bien le reconnaître, un remaniement en profondeur du jeu ne serait pas de trop pour permettre à une nouvelle génération ou aux personnes étant passées à côté du jeu à sa sortie, de se faire une idée de ses multiples qualités sans souffrir de son caractère fortement vieillissant.
Une trame intemporelle, un jeu vieillissant
Mafia était un excellent jeu à bien des égards. C'était effectivement l'un des premiers à retranscrire aussi fidèlement l'esprit de ses inspirations cinématographiques, le Parrain en tête. Essentiellement narratif, Mafia vous plaçait dans les bottes de Tommy Angelo, chauffeur de taxi se retrouvant malgré lui embarqué dans les trafics de la famille Salieri, en guerre ouverte avec la famille Morello. De simple citoyen ordinaire, Tommy deviendra un membre clef de sa famille de coeur, au gré de l'accomplissement de multiples missions au cœur de la cité fictive de Lost Heaven et de ses environs. C'est incontestablement là qu'était tout le sel du jeu. Il récitait avec respect, mais sans être trop académique, les codes inhérents aux films de mafieux et jouissait d'un scénario solide, piochant autant dans le registre dramatique que celui de l'action et de l'humour, et d'une mise en scène soignée. Les personnages avaient du corps, leurs relations étaient crédibles, profondes, et l'attachement du joueur au personnage de Tommy était immédiat et inconditionnel d'un bout à l'autre de l'aventure.
Injustement comparé à GTA III sorti un an plus tôt, Mafia se déroulait certes dans un open world, mais ce dernier était davantage un décor planté pour donner du corps à l'univers du jeu plutôt qu'un prétexte à la multiplicité de missions et d'activités. La circulation dans Lost Heaven n'était en réalité utile que dans le but de suivre le fil narratif du jeu dont le joueur ne pouvait pas dévier. Et de ce point de vue, le gameplay de Mafia était fatalement en retrait. Séquences de conduite, de combats à la troisième personne ou de course-poursuite faisaient à l'époque plutôt bonne figure face aux standards de la concurrence, mais elles ne tutoyaient pas des sommets et, même alors, certains éléments de jeu n'étaient pas sans défauts. Et aujourd'hui, s'il vous prenait l'envie de regarder avec tout le recul nécessaire Mafia, ces derniers pourraient bien prendre le pas sur ses qualités de scénario et d'atmosphère qui elles, sont bien là.
Pour ces raisons, la possibilité d'un remaniement de fond en comble de ce premier serait une excellente nouvelle si toutefois elle est réalisée en profondeur. Selon les quelques informations diffusées sur la page du jeu, le gameplay serait remis au goût du jour et l'histoire serait de son côté étendue. Et, si l'on s'en réfère aux quelques captures d'écrans diffusées pour une poignée d'heures, le travail de refonte semble avoir été largement pris au sérieux et ne pas avoir usurpé son label de remake. Lost Heaven semble effectivement bien partie pour justifier sa présence sur la génération actuelle de console, le titre étant a priori prévu pour une sortie fin août prochain.
Visuellement donc, Lost Heaven semble s'être offert une cure de jouvence. Pour être en accord avec les open world modernes, cette dernière devra miser sur sa population, sa circulation et la diversité de ses quartiers pour insuffler la crédibilité nécessaire à cette ville en pleine effervescence. Ce réalisme était d'ailleurs déjà présent sur de multiples éléments de jeu, mais elle devra se hisser dans son niveau de détail au rang des standards actuels, du moins dans la mesure du possible lorsque l'on parle d'un remake qui n'aura sans doute pas eu le temps de développement d'un certain Final Fantasy VII Remake , pour ne citer que lui. Au regard des quelques visuels aperçu, nul doute que les personnages seront également remaniés, plus détaillés, coupant ainsi court à la rigidité des expressions qu'imposait la technologie des jeux de l'époque. Du côté de l'histoire, il semble aujourd'hui délicat d'imaginer un remaniement ou une extension de la trame narrative, le scénario de Mafia se suffisant à lui-même et ne souffrant pas d’ellipses majeures ni de creux empêchant une bonne compréhension de ses enjeux. Et pourtant c'est manifestement dans cette voie que Hangar 13, ayant repris les rênes de la saga avec Mafia 3, entend s'orienter. Une histoire étendue ne voulant certes pas dire que l'histoire sera remaniée, nous espérons que les extensions annoncées ne seront pas un prétexte à la dispersion d'une intrigue qui était à l'époque parfaitement rythmée.
Ne pas céder aux sirènes du monde ouvert actuel
Avec une extension de l'histoire et une seconde vie de Lost Heaven, la tentation de faire céder Mafia aux sirènes de l'open world au sens où on l'entend aujourd'hui pourrait être tentante, mais il y a fort à parier que les développeurs ne reproduiront pas les erreurs commises suite à la nouvelle ouverture de la saga amorcée par Mafia III. Ce qui fait la force de la franchise, et la trame du dernier volet comme ses cut-scene ne démentaient pas ce constat et faisaient aussi preuve d'un certain respect de l'ADN de Mafia, c'est son scénario, le développement des personnages et cette atmosphère de rivalité et de sens de la famille qui plane au-dessus de chaque œuvre relative au genre. Si aujourd'hui les mondes ouverts servent de prétextes aux multiples quêtes et activités et que de disposer d'un monde ouvert sans l'exploiter autrement que comme simple décor n'a jamais vraiment été la norme (Mafia 1 & 2 ou L.A. Noire en sont de rares exemples), il serait nécessaire de conserver l'aspect « couloir », ce n'est pas une injure, du jeu d'origine. Mais la question qui se pose est de savoir si, pour un joueur découvrant l'univers du jeu, la présence d'un open world privé de missions annexes ou d'activités secondaires et souvent dispensables ne paraîtrait pas un rien anachronique. Si son aspect ne le laissait pas forcément paraître à l'époque, Mafia était avant tout un jeu à histoire avant d'être un jeu un gameplay et garder le contrôle sur le rythme de l'intrigue est déterminant pour les fans comme pour que le nouveau public puisse retrouver tout ce qui faisait le charme du titre sorti il y a 18 ans déjà. Le monde ouvert n'est qu'un élément destiné à favoriser l'immersion et clairement pas à gonfler la durée de vie du jeu, comme cela a notamment été le cas sur les activités répétitives imposées dans les différents quartiers de Mafia III, qui brisaient le rythme d'une histoire qui valait pourtant le détour.
Un gameplay devant être revu en prodondeur
Mais, bien évidemment, loin d'être un walking sim, Mafia, outre le fort accent mis sur son scénario, était aussi un jeu d'action. C'est sans doute là que plusieurs écoles pourraient s'affronter sur la vision que l'on pourrait se faire de la refonte du gameplay. En premier lieu, et c'est là un pan incontournable de la saga, la conduite pourrait être une épineuse question pour les développeurs. Les véhicules des années 30 sont lourds, peu rapides et difficilement maniables. Ce parti pris, qui témoignait d'une certaine volonté de réalisme de l'épisode original, réalisme qui se retrouvait d'ailleurs sur de nombreux détails du jeu (gestion du carburant, limitation de vitesse parfois pénible, etc.), pourrait s'avérer assez rédhibitoire en 2020. La physique des véhicules, pas toujours crédible, devra profiter de quelques ajustements, car les errances qui étaient parfaitement tolérables il y a près de 20 ans le seraient nettement moins aujourd'hui. Les trajets d'un point à un autre étaient parfois particulièrement longs et, la limitation de vitesse, sans le respect de laquelle la police vous infligeait une contravention, était une épée de Damoclès parfois plus pénible qu'immersive qui planait au-dessus du joueur. Et lorsque vous n'étiez pas aux commandes d'un véhicule semblant peser plusieurs tonnes et difficilement manoeuvrable dans les virages, les véhicules les plus rapides pouvaient aussi s'avérer traîtres. Nous vous rappelons au bon souvenir de cette mission demandant de gagner une course automobile, qui est parvenue à décourager plus d'un joueur de continuer le jeu, et dont tout le déroulement reposait sur une conduite qui laissait à désirer sur l'intégralité du jeu. Trouver alors le bon compromis entre respect de la crédibilité recherchée à l'époque et nécessité de ne pas frustrer les joueurs en la rendant plus fluide et agréable n'est pas une chose aisée, autant en raison du fait que c'est là tout une portion du jeu qu'il faudrait retoucher que celui de rallier sous une même bannière les puristes du jeu original comme le nouveau public.
D'autres ajustements seraient également bienvenus. Les combats, qu'ils soient au corps à corps ou à coup de fusil, manquaient à l'époque cruellement de précision, aucun système de couverture fonctionnel n'était introduit dans le jeu, les munitions étaient rares et la fragilité de votre héros parfois punitive. Même à l'époque, le jeu d'origine ne brillait pas pour l'intelligence de son gameplay, tout juste faisait-il ce qu'on lui demandait, mais en définitive, l'ensemble n'a pas empêché le jeu d'obtenir un statut culte chez celles et ceux s'y étant essayés, certes. Néanmoins, pour rafraîchir un titre de 20 ans, c'est toute une portion des gunfights qu'il faudrait repenser et un remake devra trancher à nouveau entre respect de l’œuvre originale et modernité. L'intelligence artificielle des adversaires, également, ferait assez pâle figure aujourd'hui face au minimum que l'on attend d'une production du type. Si l'IA est toujours un sujet délicat à développer, celle de Mafia III, nettement plus récent, ayant été d'ailleurs aussi régulièrement prise en défaut il y a seulement 4 ans, inutile de préciser que porter celle de l'épisode original sans la remanier serait un coup sévère porté à la possibilité de fédérer une nouvelle audience.
L'exercice du remake est assez délicat et il est difficile d'en n'en développer un que partiellement. Si nous prenons l'exemple de l'excellente refonte de Shadow of the Colossus, le jeu étant resté inchangé autrement que par ses visuels pourtant devenus époustouflants, difficile de parler de remake à proprement parler. Mais le jeu d'origine, exception faite d'une poignée de soucis de caméra, n'avait vieilli qu'esthétiquement, et le joueur apte à passer outre ce vieillissement pouvait encore largement se laisser porter par l'ambiance du titre de Fumeto Ueda. Final Fantasy VII Remake ou Resident Evil 2 (2019) , sont davantage à prendre comme exemples lorsqu'il s'agit de montrer montrer que l'on peut respecter le fond d'un jeu tout en en modernisant drastiquement la forme, gameplay inclut. Le cas de Mafia est particulier. En l'état, l'épisode de 2002 semble plus que jamais être le fruit des productions de son temps, le titre comme de nombreux autres n'est assurément pas intemporel et a incontestablement souffert du poids des ans. Nombreux sont les joueurs qui se sont cassé les dents sur sa rigidité en s'y essayant lors de la remise en lumière de la franchise, le retour de Mafia ne peut se faire décemment par le biais une simple refonte graphique.
Prises individuellement, et excepté son histoire, les différentes composantes du jeu d'origine n'avaient pas de caractère révolutionnaire et, toujours par cette observation décortiquée de chacune de ses mécaniques aujourd'hui, difficile, même en se replaçant dans le contexte de 2002, de comprendre pourquoi les défauts ou le manque d'ambition de certains partis pris de Mafia dans son gameplay n'ont pas empêché le titre de se hisser au rang d'incontournable. La réponse est simple : Mafia était plus fort et intéressant que la somme de ses parties. L'intelligence artificielle, les combats, la progression, la certaine lenteur de l'ensemble ne sont pas des défauts en eux-mêmes, ils sont simplement en accord avec ce qu'il était globalement possible de faire à l'époque, et en dépit de soucis réels, pris dans son ensemble, le titre s'avérait diablement immersif et poignant. Mais c'est dans la modernisation des nombreux éléments dignes d'être corrigés et remaniés en profondeur que devra se situer l'ensemble des efforts, l'histoire, elle, les personnages comme les rouages de l'intrigue devraient alors, si la refonte est bien pensée, conserver toute sa saveur et Mafia pourrait alors attirer un tout nouveau public dans son giron.