«mode histoire», «mode très facile», «débutant»… De plus en plus, les jeux vidéo proposent des niveaux de difficulté particulièrement bas. Sacrilège pour certains, cette tendance a le mérite de rendre les jeux accessibles à un plus large public.
Les modes faciles existent depuis toujours, mais ces dernières années nous avons pu constater l’apparition de modes très faciles, allant jusqu’à transformer le jeu en une expérience narrative, où le game over peut disparaître. Nous pouvons voir cela comme un héritage des cheat codes, sauf que maintenant, il n’y a plus besoin de fouiller sur Internet ou dans les magazines spécialisés en astuces et soluces. Ces nouveaux modes facilitent ainsi l’accès aux jeux aux plus novices de tous les novices. Et pourtant leur présence n’est pas du goût de tout le monde, jugeant parfois avec mépris que cela dénature l’oeuvre et que sans challenge, nous ne pouvons plus parler de jeu. Je pense au contraire que c’est une initiative efficace pour embarquer encore plus de personnes dans le jeu vidéo.
« Ridiculement simple », « blague » voici les mots employés dans un article de Kotaku à propos du mode très facile de Final Fantasy VII Remake . La meilleure des réponses se trouvent sur Twitter, où Steven Spohn, directeur d'AbelGamers spécialiste de l’accessibilité dans le jeu vidéo s’est exprimé :
DIFFICULTY level set to EASY is to make the game EASIER for people who
— Steven Spohn (Spawn) (@stevenspohn) April 10, 2020
A) Have disabilities which make "normal" difficulty almost impossible
or
B) Prefer to focus on the story and not combat
Please stop writing articles complaining EASY is bad. Let people play how they want! https://t.co/U7Qa4h62P2
Certains jeux vidéo prévoient des fonctionnalités pensées pour des personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse de dysphorie musculaire, de difficultés d’apprentissage ou de problèmes liés à la vue. Le dernier Spider Man donnait la possibilité de retirer les QTE, Furi avec son mode adapté simplifie les commandes et Celeste peut assouplir les règles tout en maintenant un certain niveau d’exigence. L'option très facile correspond à cette même démarche : ouvrir le jeu vidéo à un public plus large, malgré leur manque d'expérience ou leur désavantage physique, mental ou cognitif.
Un langage qui s'apprend
Le jeu vidéo est un langage et nous ne sommes pas tous égaux face à celui-ci. Premièrement, nous n’avons pas tous grandi avec et donc, les habilités de chacun diffèrent. Nous avions par ailleurs fait un billet sur la difficulté pour une personne novice et adulte, d’appréhender les jeux. Il y a aussi le fait que le temps accordé à ce média ne soit pas très élevé. Tout le monde ne peut pas et ne veut pas rester bloqué pendant des heures face à un boss coriace. Combien se sont fait rembourser un titre Steam à cause de cela ? C’est dans cet esprit-là que la réédition de jeux rétro, remasters ou remakes proposent souvent des modes plus faciles comme Halo Master Chief Collection ou encore SNK 40th Anniversary Collection. De cette façon, plus de joueurs et de joueuses pourront se lancer dans des séries et titres qui paraissaient inaccessibles.
Longtemps nous avons observé qu'il existait d'un côté des jeux vidéo pensés pour les occasionnels et de l’autre ceux réservés aux hardcores gamers. Aujourd’hui, cette délimitation tend à disparaître ; les développeurs veulent aussi que leurs jeux soient joués par plus de monde. Il y a de très nombreuses manières de jouer et sans doute autant d’envies différentes qu’il y a de joueurs, qu’ils soient novices ou avertis : se plonger dans un autre univers, parcourir des environnements artificiels, découvrir une histoire, admirer toute la créativité des concepteurs, se sentir invincible et réussir des exploits sans contraintes et nécessairement faire appel à ses reflexes.
Au-delà de la performance
Parmi les joueurs, performer dans le jeu vidéo est une façon de se valoriser. C’est d’ailleurs ce qui prédomine encore beaucoup dans l’industrie qui, côté communication, met le paquet sur la promesse selon laquelle le joueur doit à tout prix devenir le meilleur. Cela renforce l'idée qu’il existerait les vrais gamers et les autres. L'intérêt du jeu vidéo, en tant que divertissement, ne serait pas là avant tout pour qu’on passe un bon moment ? Et ce plaisir peut prendre diverses formes comme nous l’avons souligné, la performance technique en étant une parmi tant d’autres.
Je peux comprendre qu’il y avait quelque chose d’un peu condescendant quand un jeu vous force à basculer dans une difficulté moins élevée, comme si vous étiez incapable de réussir. C’est le cas depuis New Super Mario Bros. Wii : après trop d’échecs, un Luigi contrôlé par l’ordinateur apparaît pour finaliser un niveau. Mais dans le cas de figure qui nous intéresse, nous parlons bien de mode supplémentaire qui n’influence pas votre manière de jouer si vous optez pour le normal ou le difficile. Pourquoi s'évertuer à critiquer une telle démarche, si cela ne change rien à sa propre partie ? Oui, un mode très facile peut totalement transformer le genre du jeu : dans Death Stranding , les parties en normal et difficile s’adressent aux habitués au genre action tandis que le mode très facile a été imaginé pour les cinéphiles et amateurs de jeux de rôles. Il n’y a aucune raison à mon sens de râler sur l’arrivée d’un mode très facile tant qu’il existe d’autres niveaux de difficulté. Ne soyons pas snobe.
Faisons confiance aux joueurs et joueuses, je pense qu’ils sont largement capables de savoir quel mode leur correspond et leur procureront le plus de plaisir. Débarrassons-nous aussi de ces vieux dictats autour du jeu vidéo, jouez comme vous êtes et sans honte.