Il y a un peu plus de trois ans, le 3 mars 2017, Nintendo lançait sa Switch avec un titre aujourd’hui devenu culte : The Legend of Zelda Breath of the Wild. Les critiques sont alors dithyrambiques. On entend des “meilleur épisode de la franchise” par-ci et des “révolution de l’open-world” par-là. Il ne faisait alors aucun doute que Link venait d’imposer un nouveau standard en matière de monde ouvert et que toute l’industrie allait suivre. Mais qu’en est-il aujourd’hui, trois ans après sa sortie ?
“Pendant les phases d’exploration, les joueurs devront s’appuyer sur des repères physiques et une compréhension du monde qui les entoure. Il n'y a pas de points de repère qui mettent en évidence la prochaine mission”. Ces informations, elles concernent Ghost of Tsushima, prochain AAA exclusif à la PS4 et prévu pour le 26 juin prochain. C’est IGN qui a récemment rapporté la nouvelle via le Playstation Magazine britannique. Et même s’il s’est avéré que les infos provenaient d’une vieille preview - trop ancienne pour savoir si ces éléments intègreront le jeu final - l’idée d’une exploration moins dirigiste a un moment germé dans la tête de Sucker Punch, les développeurs. Et cette vision moderne de l’open-world, c’est The Legend of Zelda : Breath of the Wild qui l’a popularisée.
Avec ses 18 millions d’exemplaires vendus aux dernières nouvelles en comptant la Wii U, BOTW a largement aidé la Switch à se faire une place de choix parmi la huitième génération de console. Mais plus qu’un succès commercial, Breath of the Wild fut une réussite critique tonitruante. Il fait partie des rares jeux à avoir décroché la note maximale dans nos colonnes et à s’être hissé dans le club très fermé des “97 sur 100” sur Metacritic, avec d’autres titres cultes comme Perfect Dark ou Metroid Prime. Un consensus médiatique qui s’explique par la manière dont BOTW a dépoussiéré la série Zelda et révolutionné le monde ouvert.
Cette révolution, elle peut s’expliquer en trois points : la façon dont le jeu cultive notre curiosité par son level design et récompense sans cesse l’exploration ; un “système de GPS” avec des points d’intérêt in-game qui force le joueur à regarder le monde qui l’entoure plutôt qu'un pointeur sur sa carte ; et un vrai sentiment d’aventure créé par une difficulté revue à la hausse et une débrouillardise de tout instant (changer souvent d’arme, sortir un item de feu en pleine montagne pour se réchauffer, etc). Hidemaro Fujibayashi, game director de Breath of the Wild, résumait ainsi sa vision lors d’une conférence à la GDC 2017. Et citait le tout premier The Legend of Zelda comme source d’inspiration.
Je voulais créer un jeu où le joueur pourrait constamment ressentir un sentiment de liberté et d’aventure alors qu'il se balade librement. Quand j'ai commencé à penser de cette façon, le Zelda sur NES m'est venu à l'esprit. Chaque fois que l'écran défilait, il y avait quelque chose de nouveau à découvrir - Hidemaro Fujibayashi, game director de Breath of the Wild, à la GDC 2017
Premiers impacts
Le résultat manette en main est si efficace que le champ des possibles en matière de monde ouvert venait de faire un bond. Et trois mois après la sortie de Breath of the Wild, on ressentait déjà des influences chez un certain Assassin’s Creed Origins, qui dévoilait une première phase de gameplay à l’E3 2017 : le HUD y est par défaut beaucoup moins envahissant que par le passé ; les points d’intérêt s’affichent en surimpression des bâtiments pour éviter de se référer constamment à la carte ; la présence de l’aigle incite à se repérer directement en jeu plutôt que via un GPS ; et d’autres petits détails, comme le temps qui se ralentit lorsque Bayek bande son arc en plein saut, font très “Breath of the Wildesque”. La sortie du jeu en octobre 2017 révélera d’autres éléments, comme la possibilité d’enflammer une flèche dans un foyer puis de la lancer sur une embarcation ennemie, pour la détruire progressivement par les flammes.
Assassin's Creed Odyssey - Première phase de gameplay
Même si le tout est plutôt de l'ordre du détail, Ubisoft avancera un peu plus vers l’open-world à la Breath of the Wild avec Assassin’s Creed Odyssey, dernier opus de la série sorti fin 2018. Le titre hérite ainsi des nouveautés évoquées plus tôt mais surtout d’un mode Exploration qui retire le pointeur de quêtes indiquant avec précision la prochaine destination. Pour trouver cette dernière, il faut collecter des informations auprès des PNJ et remplir une liste d’indices qui s’affichera en haut à gauche de l’écran. Le joueur devra alors ouvrir sa carte et bien observer les alentours. Le tout rappelle sans mal BOTW lorsqu’il faut trouver un lac précis avec pour seule indication sa forme, par exemple celle d'un coeur.
“Je pense que tout le monde devrait essayer le mode Exploration” explique GamerBrosStudios dans une vidéo sur le sujet. “L’option vous pousse vraiment à explorer le jeu (...) et à utiliser la carte et l’aigle. Ce n’est pas révolutionnaire, mais je pense que ça offre beaucoup”. Le mode Exploration est tout à fait optionnel et ne se substitue en aucun cas au mode Guidé, système de quête classique. Et si Ubisoft ne s’est pas exprimé sur l’influence de Breath of the Wild (nous avons contacté l'éditeur et attendons une réponse à ce sujet), difficile de penser que le chef d’oeuvre de Nintendo n’a pas sa part de responsabilités dans les nouveautés du titre, surtout quand on sait qu’un petit Korogu se cache au nord de la carte d’Odyssey.
Changement de philosophie
Pour le dernier opus d’Assassin’s Creed, le vidéaste MojoPlays cite également la tendance d’Ubisoft à cacher des secrets en dehors des routes principales, comme l’a fait la firme dans Far Cry 5. “Nous sommes dans une période où les jeux ont moins tendance à nous prendre par la main et nous disent plus : va vérifier ça par toi moi-même” analyse-t-il. “Et c’est Nintendo qui nous a aidés à y parvenir”.
Les changements d’open-world impulsés par Breath of the Wild tiennent ainsi davantage d’une philosophie de game design / level design de fond plutôt que de mécaniques précises, même si l’un n’empêche pas l’autre. Dans le jeu indépendant A Short Hike par exemple, on retrouve un système d’escalade soumis à une endurance que l’on peut améliorer, mais il y a aussi cette magie liée à une exploration naturelle et spontanée. Sans carte et conscient dès le début de la destination à atteindre (le plus haut sommet de l’île), le joueur aura tout le loisir de se perdre et de découvrir divers personnages, trésors et secrets.
On peut aussi retrouver du BOTW dans Death Stranding, avec la manière dont le jeu fait émerger toutes sortes de sentiments lors de ses longues balades grâce à la gestion du poids, des obstacles et du fameux BB. Nintendo avait de son côté opté pour un game design systémique où la pluie ralentit l’escalade et les épées enflammées réchauffent le corps de Link. L’idée reste ainsi la même : créer de l’enjeu grâce à l'environnement même quand le scénario passe au second plan. De quoi donner l’illusion de l’imprévu même si comme toujours, une bonne part a été planifiée d’avance par les développeurs.
Death Stranding - Gameplay en plein air
Mais on retrouve aussi la philosophie de Breath of the Wild là où on ne l’attend pas. Saviez-vous par exemple que dans Crackdown 3, il est possible d’affronter le dernier boss dès le début et que l’ennemi nargue le joueur depuis une immense tour visible partout sur la carte ? Joseph Staten, directeur créatif des Xbox Games Studios (éditeur du titre), ne cache ainsi pas ses influences dans les colonnes de GamesRadar. “Comme dans BOTW (...) il n’y a pas de quête linéaire” a-t-il affirmé. “La conception du jeu et l'histoire attendent tout simplement en arrière-plan pour voir ce que vous faites”.
Et plus surprenant encore, le dernier Zelda a même influencé Telling Lies, un jeu d’enquête en FMV où il faut se plonger dans des dizaines de vidéos. Ici, il n’est pas question d’exploration au sens traditionnel du terme mais de navigation entre plusieurs morceaux d’une même histoire. “Je voulais trouver comment rendre cette navigation aussi agréable que courir dans un champ dans Zelda (Breath of the Wild, ndlr)” explique-t-il ainsi au média Polygon. Car "avancer vers un objectif dans BOTW est, en soi, intéressant et agréable”. Et au vu du succès critique de Telling Lies, Sam Barlow semble avoir réussi son pari.
Impression de déjà-vu
Si certaines influences sont donc assez subtiles, d’autres au contraire semblent trop évidentes. C’est en tout cas pour cette raison que le jeu chinois Genshin Impact a été accueilli avec scepticisme par une partie de la presse et des joueurs lors de son annonce à l’E3 2019, certains désignant le titre de “clone version animé” de BOTW. Il est certain que sa patte graphique, son système d’escalade et de vol se rapprochent du chef d’oeuvre de Nintendo. Mais les différentes previews ont démontré que le jeu avait de quoi se détacher de Breath of the Wild voire même de convaincre les joueurs.
Certains médias n’ont pas non plus été tendre avec Gods & Monsters, prochain jeu des créateurs d’Assassin’s Creed Odyssey lui aussi annoncé au dernier E3. “Je ne sais toujours pas si j’ai assisté à la démo d’un jeu ou à un acte de grand banditisme” a par exemple écrit le journaliste Colin Campbell, suite à une présentation réservée à la presse. Il faut dire que nous avons nous-mêmes constaté de grandes ressemblances entre le prochain titre d’Ubisoft et BOTW, notamment concernant son système d’escalade qui permet de gravir tout et n’importe quoi, la présence d'endurance ou encore son amour pour les puzzles.
Il faudra évidemment attendre d’avoir ces jeux en main avant de se prononcer, même si les fans de Breath of the Wild ne seraient pas contre une expérience similaire en attendant la suite des aventures de Link, officialisée l’année dernière. En tout cas, les productions similaires à BOTW ne semblent pas s’arrêter. Tout récemment, Playstation dévoilait Windbound, jeu d’aventure à la frontière entre le film d’animation Vaiana et Breath of the Wild prévu pour l'été 2020. On y retrouve ainsi une DA proche du jeu de Nintendo avec néanmoins la présence d’un bateau que l’on pourra améliorer. Et tient, ce serait la paravoile de Link ça ?
Windbound - Trailer
L’avénément d’autres open-world
Enfin, il ne faut pas oublier que depuis la sortie de Breath of the Wild, d’autres jeux en monde ouvert ont crevé l’écran, mettant ainsi en évidence d’autres formules d’open-world ayant largement convaincu la presse et les joueurs. J’ai nommé Outer Wilds et Red Dead Redemption II. Le premier mise sur un univers morcelé et particulièrement dense ainsi que des sessions d’exploration de vingt minutes. L’autre symbolise l'avènement du AAA scénarisé et décloisonné avec sa part de liberté et de rencontres inattendues, mais bien loin de la philosophie de BOTW.
Il faut ainsi se rendre à l'évidence : Nintendo a bien révolutionné l’open-world mais tout le monde ne lui a pas emboîté le pas. Le monde ouvert reste ainsi une formule de base dont le champ des possibles a été transcendé par Big N. Mais reste surtout une formule aux multiples interprétations.