Des débuts sous le signe du gameplay

Beaucoup de jeux nous permettent de capturer des images, cependant, dans un premier temps il s’agissait d’un vrai ressort ludique. Garder une photo souvenir d’une ballade en plein parc Pokémon, ramener des secrets défenses dans Goldeneye sur N64, parfaire nos connaissances sur les chrosomes dans Bioshock…

Ces exemples précédant l’avènement des réseaux sociaux ont tous un impact direct sur le gameplay. Certains en on fait le pivot central du jeu. C’est le cas de Pokémon Snap ou de Project Zero par exemple.

Tandis que certains le placent en feature optionnelle. Dead Rising et Bioshock premier du nom permettent d’augmenter les statistiques des joueurs après un cliché réussi. Évidemment le programme jugera de la qualité d’un cliché selon des critères arbitraires et non votre fibre artistique, la plupart des jeux cités ne conservent même pas vos photographies. Si des ennemis sont en surnombre ou que l'un d'entre eux est sur le point de vous coller une mandale, cela vous permettra d’engranger un maximum de points.

Un outil largement favorisé par les constructeurs

La photographie est présente depuis un moment dans nos jeux préférés, très bien, mais pourquoi le mode photo tel qu’on le connaît a-t-il mit autant de temps à se développer et à se démocratiser ? Avant l’arrivée de la génération actuelle de consoles, chaque jeu voulant permettre au joueur de conserver ses meilleurs moments se devait de développer un outil dédié. Un outil capable de manipuler la caméra ayant accès à la mémoire interne de la console ou à un dispositif de stockage quelconque. Difficile de justifier une telle démarche dans le développement déjà coûteux d’un titre, à l’heure où nul ne pouvait se douter de l’intérêt réel d’une telle feature, d'autant que les rendus photoréalistes ne courraient alors pas les rues. Celles qui précipitèrent l’avènement d’un tel mode sont bel et bien les consoles en elles-mêmes. Conscients que les réseaux sociaux étaient devenus un enjeu gigantesque en termes de communication et de marketing, les constructeurs ont finalement implanté la feature que nous connaissons tous à nos manettes et à nos consoles. Une simple pression sur la touche dédiée et notre cliché se voit enregistré sur le disque dur de la machine. Mieux encore, si vous avez lié votre identifiant PSN, Nintendo Online ou Xbox Live à vos réseaux sociaux, en quelques clics vous pouvez publier votre photo sur votre réseau social de prédilection. Le plus gros du travail était donc fait, il ne restait plus qu’à implémenter le mode.

Nous ne voulons évidemment pas minimiser le travail que représente le développement d’un tel mode, mais dans l’absolu il s’agit plus de laisser les commandes d’un outil déjà existant au joueur, plutôt que de créer de A à Z une nouvelle feature. En effet les paramètres mis à notre disposition sont ceux qu’utilisent les studios pour mettre en scène les cutscenes, capturer des images pour leurs trailers ou leurs screenshots de communication. Déplacement des axes X, Y et Z de la caméra, ouverture du diaphragme, longueur focale, filtres… Cet outil se veut de plus en plus perfectionné se rapprochant petit à petit d’un véritable appareil photo professionnel. De plus la plupart des jeux proposant cette option disposent de dizaines de poses ou d’expression faciales. Quelques restrictions subsistent encore et sont pour la plupart dictées par le matériel utilisé. Nous ne pouvons déplacer la caméra à des distances trop extrêmes du protagoniste, car cela entraînerait une surcharge de la mémoire vive de la console qui devrait afficher bien plus de modèles et textures. Ou bien à l’inverse le joueur survolerait une matrice complètement vide en dehors des limites du jeux. Hormis l’échelle de distance limitée, la dernière contrainte à laquelle nous faisons face est la temporalité. Si Super Smash Bros Ultimate, les reboots de Doom et la licence Skate proposent de faire défiler le jeu image par image pour trouver LE moment décisif, cette option n'est pas répandue pour autant. Impossible également de laisser le jeu se dérouler en plaçant la caméra où on le désire à l’instar du mode Réalisateur de GTA V. Difficile de savoir dans quelle mesure ces contraintes se verront réduites une fois les nouvelles consoles disponibles, car nous ne pouvons pas déterminer l’impact exact de cette option sur le moteur d’un jeu.

Control

Le AAA en fer de lance

Le mode photo s’est largement répandu et est utilisé par bien des joueurs, mais pouvons-nous vraiment dire qu’il s’est démocratisé ? En l’état, pas vraiment, car il reste généralement associé aux AAA en open world ou tout du moins aux jeux arborant une plastique impressionnante. Si quelques jeux narratifs comme les productions Naughty Dog, A plague Tale Innocence, ou encore Hellblade proposent l’option, elle a rarement plus de sens que dans les mondes ouverts. Les possibilités d’angles de caméra sont infinies tandis que des panoramas à couper le souffle nous sautent au visage tous les dix mètres. Assassin’s Creed Odyssey en est un excellent exemple. Et oui il n’est pas uniquement possible de se prendre en photo suspendu aux parties génitales de Zeus dans cet opus. Les environnements à couper le souffle font qu’une multitude de captures du jeu ont pullulé sur la toile. C’est également le cas d’Horizon Zero Dawn et sa direction artistique léchée. On ne prend pas trop de risque en disant qu’il en sera de même avec Death Stranding et son Amérique basée sur les reliefs islandais sublimés par la photogrammétrie. Il y a beaucoup de raisons possibles pour souhaiter utiliser une telle feature. Partager un panorama ou immortaliser une victoire par exemple. D’ailleurs la Playstation 4 capture systématiquement l’obtention d’un succès, libre à vous de frimer après avoir platiné votre jeu préféré. Toutefois les itérations de cette feature qui marquent le plus le joueur sont sans aucun doute celles qui s’intègrent à la diégèse du jeu. Beaucoup d’open-worlds contemporains le font très bien en donnant un smartphone à notre avatar. À nous les selfies !

La plus grande réussite en termes d’intégration reste sans aucun doute ce que propose le Spider-Man d’Insomniac. En plus d'offrir une multitude d’options et de filtres au joueur, l’appareil photo fait tout à fait sens dans l’univers du jeu. En effet Peter Parker est photographe de profession tandis que la nature joviale et insolente de l’homme-araignée permet des selfies décalés et des poses plus cool que cool. On pourrait même aller jusqu'à justifier certaines positions de caméra en imaginant que Spider-Man fige l’appareil photo sur un building à l’aide de ses toiles.

Certains jeux, plus communautaires, font passer ledit mode pour une évidence tant il se marie parfaitement à l’expérience de jeu. Le mode photo du tout frais Animal Crossing : New Horizons de son côté, a participé à consolider une communauté de joueur très active. Énormément de joueurs partagent l’avancée de leur maison, de leur île, les excentricités des habitants… Ici il n’est pas question de démontrer une fibre artistique ou encenser la plastique d'un titre, mais bien de proposer au joueur de s’exprimer, tout en affirmant son appartenance à une communauté. Si dans le cas présent ce mode photo est un vrai plus et s’intègre pleinement à l’expérience du simulateur de vie d’un point de vue du game design, il est très souvent utilisé simplement pour prolonger l’expérience du joueur qui désire s'immerger encore un peu plus dans l’univers du jeu. Espérons simplement que cette option trouvera plus fréquemment son chemin dans des jeux de moindre envergure.

Les grands gagnants de cette opération sont à n’en pas douter les professionnels du milieu. Éditeurs, constructeurs, développeurs… Tous gagnent une couverture médiatique gratuite. Les hashtags automatiques en cas de publication directe depuis la console offrent une publicité au constructeur, tandis que chaque visuel partagé offre une visibilité non négligeable au jeu photographié. On le sait, les périodes de marketing autour d’un jeu peuvent s'arrêter très vite une fois un titre sorti car les ventes des premières semaines sont décisives. Les publications du consommateur maintiennent la présence d’une oeuvre sur les réseaux sociaux et les créatifs l’ont bien compris. Hideo Kojima retweete tout ce qui bouge comportant #DeathStrandingPhotoMode tandis que Masahiro Sakurai utilise lui-même l’outil pour divertir la fanbase de Super Smash Bros Ultimate. Quelque part, chaque joueur partageant ses créations effectue une forme de publicité, à l’instar des streamers par exemple. En effet un joueur use de son temps, de sa sensibilité personnelle et/ou de ses connaissances techniques en photographie pour proposer un contenu qui mettra le jeu en lumière auprès d’acheteurs potentiels. Cette couverture médiatique mériterait-elle une rémunération ? Ce genre de question relève de la propriété intellectuelle et s’avère complexe. Cela rejoint dans une certaine mesure les problèmes que rencontrent des logiciels de création comme Dreams.

Gadget pour certains, indispensable pour d’autres, le mode photo est parfaitement intégré aux jeux à gros budget. Le fait que des AA s’y mettent confirme qu’il est un réel enjeu de communication et répond à une demande appuyée des joueurs. Tous le monde semble y trouver son compte. Cependant, la plus grande réussite de cette feature est sa faculté à réunir les joueurs pour célébrer la beauté de notre médium. Nul doute que les progressions techniques constantes de nos machines et le perfectionnement des outils mis à notre disposition permettront des clichés toujours plus éblouissants. Et vous, utilisez-vous cette feature ?