Trouver le juste équilibre entre les multiples éléments qui constituent un jeu vidéo est un travail de longue haleine. Comme dans bien d'autres domaines, ce qui est bien fait est tenu pour acquis et finalement peu révéré tandis qu'un grain de sable dans l'engrenage devient immédiatement source de doléances. C'est notamment le cas de la difficulté, sujet ô combien complexe dans le jeu vidéo et dont la perception varie d'un utilisateur à l'autre. Cependant, qu'il s'agisse des modes de difficulté ou du challenge d'un jeu au mode unique, trouver la bonne position des potards rehaussant ou édulcorant la difficulté sans léser l'expérience du joueur n'est pas chose aisée. Mais alors, qu'est-ce qu'un bon mode de difficulté ?
En préambule, il convient de préciser que la difficulté est perçue différemment en fonction des joueurs. E-sportifs ou speedrunners, par exemple, trouvent leur plaisir dans la maîtrise absolue d'un jeu et de ses mécaniques. D'autres, sont à la recherche d'une expérience fluide et sont rebutés par la perspective d'une aventure morcelée, dont le rythme serait brisé par des morts trop fréquentes dues à un challenge trop relevé. La difficulté pourrait se résumer au degré de compétence requis par un joueur pour terminer un jeu, mais également au rapport qu'il entretient avec elle. Chacun peut trouver chaussure à son pied, notamment dans les produits proposant plusieurs crans de difficulté, le plus facile offrant une traversée sans trop d'encombres et le plus difficile requérant une vraie connaissance des rouages d'un jeu. Mais pour proposer un challenge supplémentaire aux joueurs, les développeurs se trouvent face une question retorse, qui est celle de savoir comment augmenter le défi d'une aventure sans la dénaturer et sans non plus impliquer une refonte totale d'une expérience initialement conçue pour être jouée en mode « normal ».
La difficulté comme étendard : une option à manier avec science
Avant d'aller plus avant, rappelons que, bien entendu, il existe une multitude de titres s'affranchissant purement et simplement de modes de difficulté, les développeurs choisissant d'imposer leur vision de l'équilibrage au joueur, ce qui n'est pas non plus une chose évidente, puisque là aussi, un dosage un peu bancal peut tout simplement ruiner une expérience entière. Dans ces cas précis, le défi réside dans le fait de ne jamais sanctionner le joueur par une erreur de game design. La défaite face au jeu, lorsqu'elle intervient régulièrement, doit être du fait du joueur et non de celle d'un titre mal calibré. À quelques exceptions près, les Soulsborne sont de plutôt bons exemples démocratisés de jeu réputés - à juste titre - difficiles puisqu'ils demandent une grande précision du joueur et une vraie connaissance des mécaniques mises à sa disposition. S'il se donne la peine d'être patient, d'explorer les moindres recoins de l'univers qui lui est offert, les développeurs ont pensé à lui et lui offriront items et expérience utiles à l'accomplissement des objectifs qui jalonnent sont parcours, même les plus retors.
C'est alors qu'un jeu passe du statut « difficile » à celui d'«exigeant» au même titre que certains jeux de plate-forme réputés hardcore à l'image des Cuphead ou autres Super Meat Boy. Dans le cadre de la difficulté unique, il y existe une multitude d'approches et également de genres, ces derniers ayant souvent leur propre itération « hardcore ». RTS hardcore, jeu de survie, de gestion hardcore... et souvent, les philosophies diffèrent. Certains font appel à la mémoire musculaire et l'apprentissage à la dure de pattern à respecter au millimètre, d'autres à la patience ou à la prudence... les approches sont multiples, mais un facteur doit être invariable : celui de la probabilité réelle pour le joueur d'arriver à surmonter les obstacles dressés sur son chemin. S'il n'y parvient pas en dépit de la meilleure volonté et de la meilleure technicité du monde, le challenge devient rédhibitoire, tandis qu'une traversée trop évidente créera invariablement l'ennui. Cet équilibre entre compétences, amusement et frustration a été illustré par un graphique établi par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi dans les années 70, qui traitait du « bonheur » des individus et mettait en relation leurs compétences et les challenges qu'ils doivent surmonter pour arriver à un état de « flow ». Cette vision est applicable à la difficulté dans le jeu vidéo.
La difficulté unique, un jeu développé dans le but d'être difficile, est donc toute une science et surmonter un jeu réputé hardcore procure diverses sensations à celui qui le recherche : satisfaction, sentiment d'accomplissement, fierté... La difficulté peut-être un critère de préférence chez une certaine catégorie de joueurs qui ne conçoivent pas la pratique du jeu vidéo sans rechercher à tout prix l'optimisation et la run parfaite. Cependant, dans la vaste diversité des sorties annuelles, le joueur curieux en quête de défi relevé ne doit pas pour autant se priver des jeux plus « grand public » et c'est l'une des raisons pour laquelle beaucoup de production se fendent de différents crans de difficulté pour convenir au plus grand nombre. Établir un éventail d'expérience allant de la plus facile à la plus retorse garanti, sur le papier du moins, le mariage entre accessibilité pour les joueurs occasionnels ou peu désireux de passer des heures entières pour boucler une aventure, et challenge élevé pour les joueurs en mal de défi. Mais pour être pertinents, ces crans ne doivent pas être artificiels et bien trop souvent malheureusement, les niveaux de difficulté supérieurs ternissent l'expérience de jeu originale.
Du facile au cauchemar : le risque de dénaturer l'essence d'un jeu
La manière la plus simple, mais aussi encore la plus répandue d'adapter la difficulté d'un jeu vidéo reste de modifier des données associées à ses éléments statiques. Les possibilités sont légion. Généralement, le niveau « difficile » correspond à l'augmentation du nombre de points de vie des ennemis, de leur nombre et/ou des dégâts qu'ils infligent au joueur. Les développeurs peuvent aussi influer sur le joueur lui-même, en lui attribuant des handicaps. Garder les patterns adverses intacts, mais livrer aux mains du joueur un personnage moins résistant, avec moins de vie ou tout simplement supprimer l'abondance de munitions ou de medkit accroîtra fatalement le challenge offert par un jeu même si cela s'avère artificiel en pratique.
Dans le cas où les modes de difficulté arrivent en considération dans les derniers moments du développement, augmenter les statistiques d'un élément ou amoindrir celles d'un autre semble être le choix le plus facile et le plus évident. Mais c'est bien là tout le problème : se contenter de jouer sur les données chiffrées a davantage de risque de dénaturer la nature d'un jeu plutôt que de la corser intelligemment. Un jeu vidéo est effectivement l'association de très nombreuses mécaniques interdépendantes qui doivent s'articuler en harmonie pour proposer au joueur une expérience divertissante et dans la plupart des cas - nous excluons notamment les jeux narratifs ou le joueur n'a cure d'être partiellement passif face à l'histoire qu'il cherche à expérimenter – une expérience rythmée et fluide. C'est généralement ce que propose le mode « normal ». L'équilibre entre ressources, nombre d'ennemis, dégâts subis, infligés et possibilité de riposter avant échec est supposé être bien dosé dans ce mode. Si l'on monte la difficulté d'un ou de plusieurs crans, sans toucher à autre chose que ces éléments fixes, l'équilibre est brisé. Augmenter le challenge de cette manière biaise l'expérience, car elle n'a pas été pensée de la sorte en amont et le game design dans son ensemble est inadapté à un boost arbitraire des statistiques. Certains titres, comme un Evil Within ou un Uncharted, passés en mode cauchemar (ou quel que soit le nom du niveau de difficulté maximal) deviennent au moins sinon plus difficile que n'importe quelle production de From Software, mais le sentiment de frustration qui s'en dégage est hautement supérieur à ces dernières. Effectivement, nombre de séquences ne sont pas taillées pour ne laisser aucune chance au joueur. Si certaines portions d'un jeu peuvent chercher à créer un sentiment d'urgence ou de tension lorsque demandant au joueur une vraie concentration, il est nécessaire que lesdites portions ne soient pas inutilement punitives en raison d'une difficulté artificiellement rehaussée.
Nous évoquions Uncharted plus haut et une séquence du premier épisode est assez représentative du problème. Lorsque Nathan doit tirer à la mitraillette sur des hordes d'assaillants pendant qu'Helena conduit le véhicule sur lequel l'arme est montée, les niveaux de difficulté intermédiaires proposent un challenge acceptable et équilibré. Le joueur doit être attentif, prendre garde à sa visée, est exposé au risque de mourir tout en ayant l'opportunité de réussir s'il fait preuve d'un minimum de dextérité. Le mode de difficulté Brutal, introduit par la Uncharted Collection, rend la séquence assez terrible à traverser. Les dégâts subis par Nathan sont colossaux, la séquence devient un bête die and retry et le simple fait de répéter encore et encore une séquence à vocation cinématographique en brise tout l'attrait. Lorsqu'une difficulté mal calibrée vient entacher l'harmonisation entre mise en scène, gameplay, tension et skill, c'est tout le potentiel fun d'un titre qui s'en trouve amoindri, voire anéanti. C'est aussi pourquoi d'ailleurs la plupart des modes extrêmes de difficulté ne deviennent accessibles qu'une fois l'aventure terminée dans les précédents, étant davantage destinés aux chasseurs obsessionnels de trophées, ou tout simplement aux joueurs désireux de revivre l'expérience d'origine sous un prisme un peu plus hardcore.
Il est donc difficile d'augmenter la difficulté d'un jeu n'étant pas pensé dans le but d'être difficile sans en dénaturer l'essence. Si l'accroissement du challenge est trop timide, le mimétisme avec l'expérience normale ôte l'intérêt d'un mode difficile, et s'il est trop radical, il ne procurera de plaisir qu'aux plus acharnés même s'il apparaît inévitable que, quel que soit la mentalité du joueur, l'équilibre des mécaniques se trouvera perturbé et ôtera une partie de sa cohérence à l'expérience correspondant à la vision des développeurs. Dans l'idéal, mais cela demanderait un temps supplémentaire de développement que tous les studios ne peuvent pas s'accorder, il faudrait que les niveaux de difficulté supérieurs impliquent de nouvelles compétences, d'autres manières d'approcher le jeu afin que le défi soit à la hauteur du hard mode, mais qu'il continue à prodiguer plaisir et sentiment d'accomplissement. Cela supposerait néanmoins de consacrer des mécaniques de gameplay exclusivement dédiées à un mode en particulier, mode qui pourrait bien être boudé par pléthore de joueurs tout à fait satisfaits de leur expérience en mode normal. Le jeu n'en vaut sans doute pas la chandelle et à vrai dire, il y a fort à parier qu'une large partie du public préfère un titre imposant une difficulté calibrée au millimètre qu'un vaste choix de modes créant des déséquilibres dans la boucle de gameplay. Les joueurs hardcore disposent d'une grande quantité de titres designés dans le but d'être difficiles et de malmener leurs compétences pour qu'ils acceptent des expériences plus tranquilles.
Certains jeux pourtant y parviennent et sont surtout taillés pour faire sortir les joueurs de leur zone de confort. Les FPS sont d'assez bons représentants du genre, puisqu'un Doom , par exemple, peut facilement se fendre d'une difficulté cauchemardesque en raison de son gameplay élaboré pour être frénétique et aussi d'un héritage du fast-fps et du FPS online qui est punitif et exigeant. Dans ce cas, la difficulté dépendra de votre skill pur du joueur et dans le cadre d'un FPS, la difficulté réhaussée d'une manière artificielle choque moins. La chose est plus délicate lorsque le rythme est dicté par une approche cinématographique d'une aventure.
Cependant, il serait cavalier d'affirmer que tous les modes de difficultés sont ratés, mais il semblerait que pour les réussir, il faudrait que leur conception se base sur le mode hardcore et que les autres modes soient pensés a posteriori. Si l'on prend l'exemple de The Witcher 3, le mode le plus élevé baptisé Marche de la Mort n'est clairement pas un parcours de santé. Certes. Cependant, c'est sans doute dans ce mode de jeu que toutes les mécaniques mises à disposition du joueur sont mises à contribution. Impossible ou presque de terminer le jeu sans prendre la peine d'utiliser bombes, herbes, huiles ou de ciseler avec soin son arbre de compétences. Toutes ces options sont bel et bien présentes dans les modes de difficulté inférieurs, mais sont nettement plus dispensables ou du moins à utiliser plus ponctuellement qu'en mode hardcore. Cela ne brise pas pour autant l'immersion ou l'équilibre du jeu, puisque les mécaniques à exploiter obligatoirement en marche de la mort sont toujours présentes en mode normal. C'est là l'un des exemples viables d'une difficulté à plusieurs crans.
Des pistes de difficulté à la carte
S'il est bien évidemment question ici de mettre en exergue les travers des modes de difficulté ainsi que la complexité de les façonner et certainement pas de les condamner, il existe parfois des solutions alternatives qui, cependant, ne peuvent être appliquées que dans certaines catégories de jeu. Il existe notamment le principe de difficulté dynamique, selon lequel la difficulté du jeu s'adapte à la compétence du joueur. L'exemple le plus marquant est celui de Left 4 Dead ayant introduit l' « AI Director », adaptant les hordes d'assaillants et les situations en fonction de la progression et des performances de joueurs. D'autres jeux, comme Mario Kart ou Crash Bandicoot , avaient déjà adapté la difficulté au regard des compétences du joueur. Dans le cas de Crash Bandicoot, par exemple, le titre ralentissait certaines plates-formes mouvantes ou ajoutait des possibilités de continue supplémentaires en fonction du nombre de morts du joueur, permettant ainsi de conserver l'expérience originelle pour les plus performants sans pour autant frustrer les joueurs les plus occasionnels. Les RPG peuvent aussi s'adonner assez librement au level scaling, en augmentant la puissance des ennemis, chose un peu plus évidente puisque calquée sur un niveau de progression étant au cœur même du jeu. Mais malheureusement, tous les registres de jeux ne peuvent pas se permettre de proposer une difficulté adaptative et même si ce n'était pas le cas, paradoxalement, se priver d'un mode hardcore pourrait finir par s'aliéner une partie des joueurs en mal de challenge relevé.
Il reste enfin la gestion de difficulté laissée à la discrétion du joueur. Là encore, ce sont des options qui existent déjà dans certains genres de jeux. De nombreux jeux de gestion, par exemple, proposent en début de partie (mais en mode bac à sable, le plus souvent) de paramétrer à l'envi, et souvent d'une manière très précise les règles qui régiront leur partie. Ressources plus ou moins rares, grande présence de relief, proximité de sources d'eau, agressivité de l'IA... c'est au joueur de décider le challenge qu'il souhaite s'imposer afin d'éprouver sa connaissance du jeu et de ses mécaniques. D'autres jeux, c'est notamment le cas de nombreux RPG, autorisent le joueur à s'immerger totalement dans leur univers en retirant par exemple la mini-map, les marqueurs de quêtes, ou tout autre élément du HUD favorisant la progression du joueur. Ce ne sont alors pas tant les mécaniques qui se trouvent malmenées ou déséquilibrées, mais plutôt les coups de pouce facilitant un peu la vie qui se voient amoindris. Mais dans ce cas, encore faut-il que le jeu soit suffisamment bien conçu pour que les indications livrées aux joueurs par l'environnement, les PnJ etc... soient suffisamment limpides pour que le joueur puisse terminer l'aventure en se passant de données plus visuelles.
Faire de bons modes de difficulté n'est assurément pas une chose aisée, à plus forte raison que l'appréciation de la qualité de ces derniers dépendra aussi des individus. Si dans certains cas, la simple augmentation des statistiques peut être une option viable, la plupart du temps, la modification des éléments statiques d'un produit a pour conséquence de briser l'harmonie entre ses mécaniques. Mais il n'y a malheureusement pas de solution universelle pour calibrer parfaitement la difficulté d'un jeu. En fonction du genre, de la vision des développeurs ou de celle du joueur, la difficulté n'est pas universelle, et elle n'est pas non plus synonyme, soit dit en passant, de légitimité lorsqu'il s'agit de pratiquer le jeu vidéo, mais c'est là un tout autre sujet.