En dépit des reproches, légitimes ou non, que l'on peut invoquer à l'encontre de cette entreprise aux dents longues, Epic Games se porte bien. Très bien, même. Outre la trésorerie que l'on imagine colossale générée par son Battle Royale Fortnite, sa plate-forme de jeux est également forte d'une bonne santé financière, ce qui a conduit, assez logiquement, Epic a se lancer directement dans l'édition de jeux vidéo sous le nom plutôt évocateur d'Epic Games Publishing.
Un nouveau pas logique dans la politique d'Epic
La nouvelle nous est parvenue pas plus tard qu'hier ; après avoir été studio de développement de jeu, loup aux dents longues sur le territoire des launcher, Epic Games s'est senti pousser des envies d'édition, évolution somme toute assez logique pour celui que tout le monde pensait enterré après la sortie plus que mitigée de la première mouture de Fortnite. Après avoir donc bousculé le marché des launchers en marchant sur les plates-bandes de Valve et de son indéboulonnable Steam, Epic chasse désormais sur le terrain des éditeurs. Et, conformément à l'attitude affichée depuis le lancement de l'EGS, Epic ne s'est pas aménagé des partenariats secondaires. Au contraire, à l'image de ce qu'il a prouvé avec les exclusivités qu'il est parvenu à s'arroger en très peu de temps sur son store, Epic a choisi 3 illustres studios pour se lancer dans le grand bain du publishing. Ainsi, ce sont Playdead (Limbo, Inside), Remedy (Control, Alan Wake) et genDESIGN (The Last Guardian et dirigé par Fumito Ueda, réputé pour Ico et Shadow of the Colossus) qui ont rejoint le giron d'Epic, qui se félicite naturellement de ces signatures, par la voix de Hector Sanchez, nommé à la tête d'Epic Games Publishing :
genDESIGN, Remedy et Playdead sont parmi les studios les plus novateurs et talentueux de l'industrie, avec une vision forte de leurs prochains jeux.
Des conditions en faveur des studios et développeurs
Nous le savons, l'Epic Game Store a pour lui une véritable attractivité pour les développeurs désireux de rejoindre la plate-forme. Effectivement, là où un Steam ponctionne aux développeurs 30 % de chaque vente de leurs produits, l'EGS ne s'en réserve que 12%. Cette philosophie a été adaptée et transposée au modèle de l'édition et Epic annonce un partage égal des bénéfices (50/50) , permettant aux studios d'obtenir une rémunération équivalente à celle de l'éditeur une fois tous les coûts récupérés. Cette transparence et cette équité, plutôt rares dans le monde de l'édition, sont présentées comme un argument coup de poing, ce qui laisse entendre que cette répartition des bénéfices n'est pas toujours aussi favorable chez la concurrence, peu prompte à communiquer ce genre de données. En outre, Epic Games Publishing a également choisi de se faire le mécène de ses studios en affirmant prendre en charge 100% des coûts impliqués par le développement des futurs titres, « des salaires des développeurs aux dépenses liées au lancement des jeux telles que l'assurance qualité, la localisation, le marketing et les coûts de publication. »
Enfin, c'est du côté de la souplesse des contrôles de ses partenaires qu'Epic entend se démarquer, puisqu'il affirme laisser 100% de liberté créative aux studios. L'entreprise laissera donc hypothétiquement toute latitude à ses créateurs de s'exprimer comme il l'entendent, tout en finançant l’intégralité des coûts que cela implique. Dans un monde idéal, et donc dans celui annoncé par l'EGP, il se pourrait que les studios acceptent désormais de prendre des risques sans avoir trop à se préoccuper des considérations pécuniaires si toutefois Epic choisit de financer le projet en question. La perspective de ne pas être bridé et de ne pas répondre aux desideratas d'un éditeur intrusif pourrait être un argument pesant très lourd dans la balance lorsqu'un studio se mettra en quête d'un partenaire de confiance.
Si naturellement cette philosophie d'ouverture sera à vérifier dans les faits et que l'on imagine mal Epic injecter des fonds dans des projets d'IP trop risqués, une autre ligne du contrat garantit une véritable attractivité à la division édition d'Epic, puisque, effectivement, la propriété intellectuelle des franchises développées sous son égide appartiendra exclusivement à leurs créateurs. Ainsi, si une licence incroyable voit le jour sous la tutelle d'Epic Games Publishing, une fois le studio qui en est à l'origine libéré de son obligation envers son éditeur, il sera tout à fait possible pour ce dernier de développer des suites à son bébé d'une manière indépendante ou chez un autre partenaire. C'est à nouveau, donc, d'une manière agressive et orientée en faveur des développeurs qu'Epic se lance dans l'édition. Tim Sweeney, CEO et fondateur d'Epic Games, a déclaré lors de l'officialisation d 'Epic Games Publishing :
Nous travaillons actuellement sur la création du modèle de publication dont nous rêvions lorsque nous collaborions avec des éditeurs.
Ayant pour vocation à éditer des jeux multi plates-formes, Epic Games Publishing devrait, si l'on s'en réfère aux déclarations de Remedy sur son blog, accompagner le développement et la parution d'un jeu AAA d'ores et déjà en production et annoncé comme étant le projet le plus ambitieux du studio, ainsi qu'un nouveau titre de plus petite envergure, mais basé sur le même univers. Il reste encore à savoir quels sont pour l'heure les projets de Playdead et de genDESIGN, même si le premier, après avoir dévoilé quelques visuels, a effectué un nouveau teaser sur Twitter dans la foulée de l'annonce du lancement d'Epic Games Publishing. Enfin, Epic a annoncé que de nouveaux partenaires seraient annoncés dans les mois qui suivent, l'entreprise n'entendant naturellement pas en rester là. Les conditions très favorables annoncées pourraient faire de EGP un refuge pour les studios les plus modestes comme pour les autres, d'ailleurs : liberté de création, revenus équitables et conservation de propriété intellectuelle sont des arguments très forts et alléchants dans une industrie au cœur de laquelle il n'est ni facile de survivre, ni de tirer son épingle du jeu ou de trouver un éditeur.
Un avenir encore flou qui bouscule les règles
Cette arrivée sur le marché de l'édition signifie beaucoup de choses concernant Epic, mais soulève également de nombreuses questions. La première chose qui devrait s'avérer rassurante pour bien des joueurs est que l'EGP sera bien multi-plate-forme. Ainsi, inutile de craindre que les projets développés sous son égide soient exclusifs au PC. Cependant, difficile d'imaginer que Epic, avec sa casquette d'éditeur et aussi de plate-forme dématérialisée, ne va pas profiter de l'aubaine pour donner davantage de puissance à son magasin en ligne. À L'instar d'un Netflix qui s'est arrogé les services de grands réalisateurs en l'échange d'espèces sonnantes et trébuchantes et d'une exclusivité de diffusion sur sa plate-forme de streaming, les termes de la section édition d'Epic impliquent des coûts assez élevés qu'il faudra bien d'une manière ou d'une autre compenser. Il n'est donc pas interdit de penser que les titres seront exclusifs à l'EGS sur PC, du moins provisoirement, ou même que la sortie console intervienne quelques mois après la commercialisation sur PC. Epic s'est pour l'heure refusé à toute communication à ce sujet et n'a pas précisé si la signature des studios supposait également l'exclusivité de toutes les productions de ces derniers où s'ils pouvaient développer des projets parallèles indépendamment de la tutelle d'Epic.
Depuis son lancement, Epic Game Store a bien montré qu'il avait de la trésorerie et qu'il entendait son servir. L'exclusivité d'un Control monnayée à 10 millions de dollars, la présence constante de jeux gratuits qui, selon les dires de l'entreprise, sont adossés à des conditions de compensation en faveur des développeurs... autant de dépenses qu'il faut bien amortir. C'est donc également sans doute par l'attractivité de ses conditions qu'Epic parviendra à séduire un maximum de studios qui devraient sans aucun doute finir par se presser à sa porte. Conformément à sa volonté de filtrer le contenu accessible sur son store, Epic n'acceptera en revanche sans doute pas le tout venant et triera sans doute sur le volet les développeurs qui rejoindront son écurie, lui permettant autant de soigner son image que de s'assurer des ventes ne serait-ce que basées sur le prestige du nom des studios sous sa tutelle. Quoi qu'il en soit, Epic Games accélère la cadence et réaffirme plus fortement encore sa présence incontournable dans le paysage vidéoludique actuel. L'entreprise a son propre moteur, le très populaire Unreal Engine, son propre studio de développement de jeu, son propre store en ligne et désormais, dispose d'une division lui permettant d'endosser le rôle d'éditeur, tout en garantissant des contreparties solides pour les développeurs.
S'il est encore un peu tôt pour savoir avec exactitude comment l'EGP pourra supporter la charge financière que l'on imagine énorme et que le choix d'assumer l'intégralité du financement d'un développement, des salaires jusqu'au marketing est une prise de risque énorme, l'annonce de l'arrivée d'Epic dans le milieu de l'édition a été faite comme une véritable déclaration d'intention. Elle marque à nouveau une volonté de bousculer le modèle établi, en se posant à contre-courant des pratiques usuelles en ne manquant pas, comme à son habitude, de se poser en opposition des éditeurs actuels. Et il n'est pas interdit de penser que ces derniers doivent surveiller d'un œil attentif et peut-être même inquiet l'arrivée de ce challenger plutôt audacieux.