Quelle ne fut pas notre surprise en apprenant qu’une entreprise nous proposait en plein mois de décembre un rendez-vous, en avant-première, pour nous présenter une toute nouvelle technologie en Réalité Virtuelle. Le but de cette dernière ? Streamer les jeux PC, en ultra et sans latence, d’un ordinateur vers un téléphone, lui-même placé dans un casque VR mobile. Ainsi, RexR nous promet de jouer à nos jeux favoris, avec ce nouveau degré d'immersion, dans d’excellentes conditions, sans surconsommation de ressource et sans perte de qualité. Rien que ça. Alors, que donne la technologie à son lancement ?
Une promesse miracle sur le papier
Lorsque Youssef, le fondateur et CEO de l’entreprise estonienne derrière RexR, nous présente son parcours avant de nous faire tester sa technologie, le jeune ingénieur software d’une trentaine d’années nous avoue qu’il a tendance à vite décrocher lorsqu’il joue, en réalité virtuelle, à des titres spécialement conçus à cet effet. Inexorablement, il revient toujours vers les jeux “classiques” qu’il rêve, depuis plusieurs années, d’exploiter “autrement” et de manière bien plus immersive. Grâce à ses brevets qu’il a déposé avec ses équipées, sa solution nommée RexR (un combo app mobile - software PC) lui permet désormais de retransmettre ses jeux, en VR, et sur n’importe quel smartphone, si tant est que ce dernier soit équipé d’Android 8.0 et d’une dalle 1080p au minimum. Face à une telle promesse nous n’avions qu’une envie, c’était évidemment d’essayer. D’autant plus qu’on nous avait demandé, en préambule, une sélection de jeux que l’on voudrait tester avec la technologie. Notre sélection fut Red Dead Redemption 2 , Forza Horizon 4 , Star Wars Jedi Fallen Order et Borderlands 3 , et promettait donc un large panel de genres, dont deux particulièrement difficiles à adapter en VR.
Une installation simple pour un usage supposé universel
Une fois votre compte créé et l’application récupérée sur vos deux terminaux, qui se doivent d’être sur le même réseau, vous pouvez lancer RexR et faire tourner un jeu en plein écran sur votre PC. Le rendu sera alors dupliqué sur votre téléphone, et légèrement remanié. Cette étape est cruciale, car c’est elle qui donnera un aspect “sphérique” au jeu, une fois le téléphone positionné dans le masque VR. Ce dernier peut être de n’importe quelle marque, pourvu qu’il offre le minimum nécessaire : des lentilles et un système occultant. D’ailleurs, RexR et sa maison-mère, Realified, comptent développer leur propre casque à l’avenir, dans le but de maximiser le confort des joueurs et l’ouverture du champs de vision.
Et si RexR propose une liste de jeux recommandés, en théorie n’importe quel titre peut fonctionner sur la technologie puisque l’équipe de développement ne touche aucunement au code source des jeux et opère plutôt comme une surcouche : il ne s’agit que d’un transfert de l’image du PC vers le téléphone en passant par le réseau WiFi. RexR appose ensuite un filtre déformant sur les lentilles pour créer un sentiment de profondeur, tout en prenant la main sur les contrôles.
Une formule qui avait échoué il y a plus de 5 ans
Dans les faits, la promesse du service n’est pas inédite et, déjà, en 2012 et 2013, deux programmes, Vireio, gratuit, et VorpX, payant, proposaient la même recette à destination des casques VR câblés. Une alternative aux jeux VR qui, déjà à l’époque et face à la pauvreté de la ludothèque VR, n’avait pas vraiment été un succès critique. La nouveauté ici, c’est le coût théorique, relativement limité, de l’offre de RexR, car les masques VR (dans lesquelles on glisse un téléphone) coûtent sensiblement moins cher que les casques VR.
En revanche, on tiquera sévèrement sur le modèle économique adopté par RexR : un abonnement à 29€ par mois, lancé à moitié-prix pour le territoire français. Autant vous dire qu’à ce tarif-là, on s’attend à du très haut standing en matière de qualité…
Et si vous pouvez deviner à notre ton qu’on ne recommande en aucun cas RexR dans son état actuel, il est crucial, pour comprendre notre avis, d’identifier ce qui fait un bon jeu en réalité virtuelle.
Quand le concept-même coince un peu…
Quand on pense VR, on pense généralement à quatre choses : “graphismes un peu datés, possible motion sickness, immersion accrue et gameplay innovant”. Le problème avec RexR, c’est qu’il n’aborde aucun de ces points de la bonne manière. Si les graphismes sont généralement datés en réalité virtuelle, ce n’est pas pour rien, c’est tout simplement parce que le moteur de jeu calcule deux rendus légèrement différents : un pour l’oeil droit, et un pour l’oeil gauche. Ce faisant, on génère une impression de profondeur qui rend la VR immersive.
Ce rendu “stéréoscopique”, RexR ne peut pas le proposer car, rappelez-vous, RexR ne touche pas au jeu, il ne fait que dupliquer ce qu’envoie le PC, et déforme légèrement le résultat. Une fois le masque sur la tête, on a donc l’impression d’avoir face à nous un écran aux proportions étranges et sans nuances de profondeur. Autre problème, et non des moindres, se font vite ressentir. Par exemple, le fait que l’écran soit volontairement déformé pour simuler un champs de vision plus grand rend les textes et interfaces de bordure peu lisibles, ce qui se ressent très clairement sur un Star Wars Jedi Fallen Order, où notre barre de vie était à peine visible, où sur un Red Dead Redemption 2 dans lequel les sous-titrages et indications étaient extrêmement peu pratiques. De plus, on aura constamment l’impression d’avoir des oeillères, du fait du format de l’affichage, ce qui est très désagréable. Pour réussir, RexR devra donc convaincre la plupart des éditeurs d’autoriser un placement libre des interfaces sans quoi les jeux qu'il exploite seront tout simplement inaccessibles… On est donc encore loin de l’aspect clé en main et surtout universel, vanté par le communiqué de presse.
Autre souci, lui aussi de taille : le framerate. Car si on nous a assuré que la fluidité serait optimale au lancement, il n’est franchement pas nécessaire de mesurer la fréquence d'affichage pour se rendre compte qu’elle ne l’est pas. A vue d’oeil, on oscille entre 30 et 45 FPS suivant les jeux, tandis que l’écran du PC envoie quant à lui du 60 FPS stable. Et si ce souci était constaté lors de notre première prise en main, début décembre, il est encore présent une fois le service disponible aux consommateurs qui, rappelons-le, paye pour accéder à RexR. Il faut donc se rendre à l’évidence : difficile de faire un rendu streamé via le WiFi sans en pâtir côté fréquence d’affichage et latence. Là encore, l’immersion prend un sacré coup et l’inconfort se fait vite ressentir. N’étant pas sujet au motion sickness, difficile de définir si la solution en génère puisque les mouvements y sont finalement assez limités. Toutefois, la stabilité d’un framerate élevé étant souvent une règle de confort en VR, il est possible que l’inverse génère ledit trouble chez les personnes sensibles. Mais soit, tâchons de prendre en main le tout, pour voir si côté gameplay, on retrouve les sensations de la réalité virtuelle.
Ici aussi, on déchante assez vite, car les contrôles “VR”, qui impliquent bien souvent du motion gaming et de la gestion de profondeur, ne sont de toute évidence pas là. De plus, les smartphones étant trackables uniquement sur deux axes (sans profondeur ni hauteur), c’est sur un plan fixe que se traduit l’immersion du casque, et son interaction avec le jeu. En gros, et pour faire simple, si vous bougez la tête à gauche, RexR simulera un mouvement de souris vers la gauche, si vous regardez en haut à droite, le curseur bougera en haut à droite. Voilà. C’est tout. Et de fait, cette maniabilité est totalement incompatible avec énormément de jeux. Seuls les FPS apparaissent donc “pratiques”, et encore, le mot est fort car ce que l’on apprécie dans un shooter VR, c’est ce que l’on appelle le “découplage casque” autrement dit, le fait que votre tête soit indépendante par rapport à votre visée. Cela permet entre autre de regarder autour de soi assez librement, sans nécessairement viser vers là où l’on regarde. RexR, qui ne fait que dupliquer l’écran PC et émettre des mouvements pour la souris, n’autorise aucunement ce découplage. On se retrouve donc à viser à la tête sur un Borderlands 3 en 35 images par seconde avec des oeillères, ce qui est vite inconfortable, et si l’on décide de repasser à une visée “clavier-souris” par soucis de praticité, on se rend bien vite compte que le casque nous encombre plus qu’il ne nous avantage, en tant que "simple" terminal d'affichage du jeu… Malheureusement ce constat se répète sur la totalité des jeux essayés, y compris sur les jeux de course comme Forza Horizon 4, où notre vue est très étriquée, peu fluide, et ne réagit aucunement aux mouvements de tête.
Parce qu’elle a tout d’une formule magique, la proposition de RexR risque de faire saliver bon nombre de joueurs. Mais après l’avoir essayé avant et après sa sortie, et constatant donc que les problèmes soulevés en preview n’ont pas été résolus, nous ne pouvons que déconseiller l’offre RexR pour l'instant. En l'état, la solution génère un entre-deux gênant et inconfortable, à mi-chemin entre la réalité virtuelle et l’affichage classique, sans l’immersion du premier et sans la praticité du second.