Les derniers résultats trimestriels de Microsoft, publiés le 23 octobre 2019, ont exposé un chiffre d’affaires en baisse de 7 % pour la division Xbox par rapport à l’année passée sur la même période. Une dégringolade due à “un ralentissement des ventes de One avec le rapprochement de la fin de cette génération” selon Amy Hood, directrice financière de la compagnie. Oui, le projet Scarlett est en approche et le géant américain va progressivement accélérer la communication autour de sa nouvelle console, avec en embuscade un Game Pass qui semble petit à petit porter ses fruits dans l’écosystème mis en place par la marque. De quoi approcher les 2 milliards de joueurs visés par Satya Nadella ? Nous avons posé nos questions à Vincent Desmazes, responsable des services chez Xbox France.
“Les cloisons vont continuer à être cassées”
Lors de la conférence téléphonique organisée par Microsoft à l’occasion des résultats financiers de la firme arrêtés au 30 septembre 2019, Michael Spencer (responsable de la communication financière), Satya Nadella (directeur général) et Amy Wood (directrice financière) ont détaillé les chiffres du groupe. Dans le milieu de la communication financière, cela signifie que la firme de Redmond a dû trouver les justes mots pour expliquer la baisse des ventes de Xbox tout en insistant sur un futur hypothétiquement radieux qui pourrait se dessiner. “Dans le domaine du jeu, nous investissons dans le contenu, dans la communauté, et dans les services Cloud pour élargir notre opportunité à 2 milliards de joueurs dans le monde entier”. Ce n’est pas la première fois qu’un haut placé de Microsoft évoque ce chiffre. Avec approximativement 150 millions de PlayStation 4 et de Xbox One distribuées depuis 2013, les consoles sont loin des 4 milliards de périphériques iOS et Android vendus dans le monde. “Les consoles sont déjà une niche” répond même avec une pointe de provocation Brad Sams, de Thurott, sur son compte Twitter. La firme de Redmond ne compte évidemment pas vendre 2 milliards de Scarlett, elle souhaite surtout atteindre un maximum de joueurs potentiels, qu’ils s’amusent sur PC ou sur des périphériques mobiles. Cela se fera par le projet xCloud, le service 100 % streaming de Microsoft actuellement en bêta-test aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Corée du Sud.
La Xbox Scarlett va avoir la lourde tache de ramener un large public à l'écosystème Xbox.
Tandis que les constructeurs abolissent petit à petit le principe de génération en livrant des machines “mid-gen” plus puissantes que les modèles d’origine, les développeurs, eux, plébiscitent le crossplay. Marginal il y a encore une petite année, le jeu sans frontière fait des émules et se retrouve aujourd’hui intégré dans le dernier Call of Duty : Modern Warfare. À une époque où les games as a service ne savent plus comment faire avec leurs suites, nous comprenons bien que le jeu vidéo cherche à sortir de la cage à l’intérieur de laquelle il s’est précédemment enfermé. Oui, la Scarlett sera une console puissante, mais elle sera surtout un point d’entrée aux nombreux services proposés par la société, comme le PC ou le smartphone. “Les cloisons vont continuer à être cassées” nous explique Vincent Desmazes, Xbox Services Category Lead chez Xbox France. Il continue : “Je pense que c’est vers là que nous allons pour continuer la démocratisation du jeu vidéo”. À une époque pas si lointaine, Microsoft essayait d’imposer son abonnement Live Gold afin de permettre aux joueurs Xbox de jouer en ligne. Au crépuscule de 2019, passer à la caisse pour rencontrer ses amis et des inconnus sur Internet est entré dans les habitudes, que ce soit sur des machines estampillées Microsoft, Sony, ou Nintendo. L’étape suivante pour la marque au gros “X” consiste à attirer un maximum de personnes dans les filets du Game Pass, cet abonnement donnant accès à un catalogue de jeux en échange de quelques euros. “On l’a lancé il y a deux ans, et ça a très bien pris” indique Vincent. “En France, nous avons le taux de pénétration le plus élevé d’Europe pour ce service. Nous avons vu qu’il y avait une attente, et que ce système existait dans d’autres industries telles que celle de la musique ou encore la vidéo. Cela a pris assez vite car le catalogue est là et parce qu’il y a régulièrement des nouveautés”.
La croissance promise du Game Pass
Le Game Pass étant disponible depuis deux ans, nous pouvons supposer que Microsoft dispose de données suffisantes pour savoir si les habitudes de consommation des joueurs ont changé. Il se dit que le service vampiriserait les ventes de jeux, particulièrement depuis que l’analyste de Niko Partners Daniel Ahmad a révélé que sur sa semaine de lancement, Gears 5 s’était 4,5 fois moins bien vendu que Gears of War 4 au Royaume-Uni (en support physique). “Nous n’avons pas vu de changements fondamentaux” tempère Vincent Desmazes. “Evidemment, les gens continuent d’acheter leur Call of Duty et leur Fifa indépendamment du Game Pass. Ça a d’ailleurs poussé les joueurs à jouer encore plus et à découvrir de nouveaux jeux. Mais nous n’avons pas noté de modification fortes des habitudes”. Il ajoute : “sur Gears 5, oui, nous laissons le choix, numérique, physique ou abonnement, nous avons vu que ça avait bien pris sur le Game Pass sans que cela n’impacte particulièrement les ventes du jeu”. Comme trop régulièrement avec Microsoft, nous déplorons le fait de ne pas avoir accès à des chiffres précis. Le géant américain a même décidé de ne plus communiquer sur le nombre “d’utilisateurs actifs mensuels” liés à ses services. Nous nous retrouvons donc dans une situation ubuesque où Satya Nadella dit constater un “nombre record de Xbox Live Monthly Active Users” ainsi qu’une “croissance continue des abonnements Game Pass” sans en connaître la réelle nature. De la communication financière, nous vous disions.
Le modèle économique lié au Game Pass est encore à ses balbutiements dans le monde du jeu vidéo, et sa viabilité aussi bien pour Microsoft que pour les studios demeure assez floue malgré les récentes déclarations de Playdead et de Paradox Interactive. Du côté de la firme de Redmond, on assure que le Game Pass a permis à la branche “contenu et services” d’être en très légère évolution (+1 %) par rapport à l’année dernière. “Le Game Pass a beaucoup d’intérêt pour les studios. Une fois abonnés, les utilisateurs jouent à 40% de jeux en plus, qu’ils fassent partie du catalogue Game Pass ou non. C’est un outil de découverte et cela intéresse les studios” confirme Vincent. Il nous apprend qu’un ancien titre relancé en arrivant dans le Game Pass peut voir son utilisation multipliée par 7, voire 35 pour les plus petits jeux. “Les développeurs sont des passionnés qui veulent qu’un maximum de gens jouent à leurs jeux, et le Game Pass leur apporte cette opportunité, en plus d’une rémunération intéressante”. Il conclut : “Pour nous, le Game Pass est intéressant. Entre un Game Pass Ultimate à 12,99 euros et un Gears 5 à 69,99 euros, à très court terme, ce n’est pas rentable. Sauf que nous regardons sur la durée. Les gens, quand ils s’abonnent, ils restent ! Parce qu’il y a du contenu régulièrement renouvelé et que nous allons apporter plus de jeux grâce aux studios rachetés. Financièrement, c’est intéressant”.
La pierre angulaire de l’écosystème au gros “X”
S’abonner pour regarder des séries ou écouter de la musique fait partie de notre quotidien, et Microsoft souhaite faire de son Game Pass un abonnement incontournable pour les joueurs. La guerre féroce entre les principaux acteurs de ces marchés a mené à une multiplication de marques proposant les mêmes types de services. Spotify, Deezer, Netflix, Amazon Prime… dans l’arène du streaming, il faut parfois faire des choix. Puisque le jeu vidéo s’inspire des modèles précédemment cités, nous pouvons d’ores et déjà prévoir le même genre de segmentations à l’avenir. Après tout, si Electronic Arts gère son EA Access, qu’est-ce qui pourrait empêcher une société comme Ubisoft de faire de même ? Microsoft va donc devoir veiller à rester compétitif. “Nous avons fait du Game Pass une pierre angulaire dans notre stratégie” confie Vincent Desmazes. “Effectivement, certains s'engouffrent dans la brèche. Tout le monde apprend, et nous aussi. Beaucoup vont se lancer, certains vont revenir en arrière. Nous, nous avons plus de 100 jeux proposés par différents éditeurs. Un éditeur qui souhaiterait se lancer avec son propre catalogue pourrait se retrouver avec un contenu trop pauvre pour des joueurs qui veulent régulièrement des nouveautés. Je suis convaincu de notre solidité, le Game Pass est vraiment un pilier de notre stratégie” affirme le responsable des services chez Xbox France.
À la Paris Games Week 2019, le stand Xbox était aux couleurs du Game Pass. Le dématérialisé s’installe pendant que le 100 % streaming est à nos portes. “L’industrie est en pleine mutation” prévient Vincent Desmazes. “Nous sommes en train de pivoter d’une stratégie tout hardware à une stratégie de contenus et de services, même si les consoles et surtout la Scarlett restent des pierres angulaires dans notre réussite”. Microsoft a de grandes ambitions pour ses services, qu’ils prennent la forme de jeux ou d’abonnements, et qu’ils soient lancés sur une Xbox, un PC, ou un smartphone.