Le cas des loot boxes est un sujet qui occupe une place assez prépondérante dans le jeu vidéo. Ces caisses renfermant un contenu en jeu aléatoire (skin, arme, émotes...) pouvant être acquis contre de l'argent réel sont devenues un sujet central de débat, notamment concernant leur légalité. Si les décisions de justice et la légifération à ce propos diffèrent d'un pays à l'autre, il semblerait qu'un rétropédalage des loot boxes soit en train de s'opérer d'une manière parfois brutale, parfois équilibrée et parfois plus subtile.
Quand un AAA met le feu aux poudres
Si dans bon nombre de free-to-play, les loot boxes vivaient tranquillement leur vie et permettaient à certains éditeurs et développeurs de faire dépendre la viabilité de leur modèle économique à long terme de cette pratique, l'arrivée de ces « pochettes surprises » dans des productions de gros calibre a mis un coup de pied dans la fourmilière. Le plus vif de la polémique est incontestablement apparu avec Star Wars Battlefront II qui, en 2017, proposait aux joueurs, en l'échange de crédits gagnés à chaque fin de partie, d'ouvrir des caisses de butins dont certaines favorisaient largement la progression en jeu. Accessibles en premier lieu avec de l'argent virtuel, les caisses de butins étaient tout de même suffisamment attractives pour que le public désireux de profiter de leur contenu mette la main au porte-monnaie pour en acheter si ses crédits en jeu n'étaient pas suffisants. Le principe même des loot boxes repose sur ce principe et s'apparente dans ses grandes lignes à un jeu de hasard déguisé. Effectivement, sans savoir ce que renferme une caisse, le joueur investi à l'aveugle une certaine somme dans l'espoir d'obtenir un objet, au risque d'être déçu, même si certains affirment qu'on ne peut apparenter la pratique à un jeu d'argent pour autant puisque, quoi qu'il arrive, l'investisseur recevra toujours quelque chose de la part d'une loot box fraîchement ouverte.
Le Jeu Service et donc la volonté des éditeurs d'engager leur public sur plusieurs années tout en profitant de leurs hypothétiques investissements est devenu un modèle économique à part entière, qui, en dépit de sa philosophie qui recueille plus de scepticisme que d'enthousiasme auprès d'une partie du public, reste une option particulièrement lucrative. Mais la levée de boucliers inhabituelle chez les joueurs a finalement atteint les sphères gouvernementales, dont certaines ont d'ailleurs pris des mesures drastiques à ce sujet. Avec les Pays-Bas qui venaient de déclarer que les loot boxes de 4 jeux (non nommés) entraient en violation avec les lois du pays, c'est à la Belgique que l'on doit la première prise de position ferme à l'encontre des loot boxes. Effectivement, alors que la polémique faisait rage depuis seulement novembre 2017, la commission des jeux de hasard belge, courant avril 2018, s'est prononcée en défaveur des caisses de butin aléatoire et a entériné la pénalisation de la pratique.
Et les réactions ne se sont pas fait attendre. Pour se plier à la loi belge, des éditeurs de poids ont fini par supprimer les loot boxes de leurs jeux. Par exemple, tout en réaffirmant leur désaccord avec la décision de justice locale, 2K a supprimé la possibilité d'acheter les caisses de NBA 2K contre de l'argent réel, tandis que Blizzard en a supprimé l'accès sur le territoire Belge pour ses jeux Overwatch et Heroes of the Storm. Chose assez amusante, celui par lequel la polémique est arrivée, Star Wars Battlefront II a échappé à la sanction puisqu'il a entre temps remanié son système pour ne plus tomber sous le coup de la qualification pénalisée par la loi. Et il faut reconnaître que les sanctions pour quiconque manquerait à ses obligations dans le Plat Pays sont assez lourdes pour que la mesure soit respectée, puisque les contrevenants s'exposent à une amende pouvant s'élever à 800 000 euros.
La législation se met en mouvement, les éditeurs aussi
Cependant, si une proposition d'harmonisation européenne à ce sujet a été évoquée, la législation sur les loot boxes reste encore à la discrétion des différents pays membres de l'UE. Et si la position de la France, notamment, n'est pas encore tout à fait claire, certains pays pourraient emboîter le pas à la Belgique, comme en témoigne la Commission parlementaire initiée par le ministère britannique du numérique. Ladite commission a effectivement établi une similitude entre loot boxes et jeux d'argent quand bien même le pays était initialement plutôt hostile à cette idée :
Nous considérons que les loot boxes qui peuvent être achetées avec de l’argent réel et ne révèlent pas leur contenu à l’avance sont similaires aux jeux de hasard qui permettent de remporter de l’argent.
Les choses commencent donc à bouger et l'exercice pourtant lucratif de la loot box, s'il n'est pas prêt de disparaître totalement, pourrait bien être largement remanié dans les jeux à venir. Comme une sorte de rétropédalage lors de la prise de conscience que la poule aux œufs d'or pourrait bien cesser d'être légalement viable, des éditeurs ont affirmé leur volonté de faire les choses « plus proprement » lorsqu'il s'agit d'introduire des transactions en argent réel dans leur catalogue actuel et à venir. C'est en tout cas un pas dans ce sens que Nintendo Sony et Microsoft ont eu l'occasion de faire, affirmant qu'ils s'engageaient à l'avenir à plus de transparence concernant les achats in game. Avec la bousculade législative assez fréquente que différents pays connaissent actuellement, les constructeurs préfèrent prendre les devants et éviter de tomber sous le coup d'une interdiction juridique pure et simple. Ainsi, les constructeurs, mais aussi de nombreux éditeurs s'engagent à communiquer davantage d'informations sur les caisses à ouvrir, notamment la rareté et la probabilité d'obtenir tel ou tel objet.
Les constructeurs majeurs de consoles (Sony, Microsoft, Nintendo) s'engagent à adopter cette nouvelle politique. Concernant les loot boxes payantes dans les jeux développés pour leurs plates-formes, ils devront divulguer les informations sur la rareté et la probabilité d’obtenir des objets virtuels. Ces informations obligatoires s'appliqueront également aux mises à jour du jeu, si la mise à jour ajoute de nouvelles fonctionnalités pour ces loot boxes.
Plusieurs éditeurs membres de l'ESA ont déjà décidé de divulguer ces chiffres de probabilité des loot boxes, d'autres éditeurs majeurs on accepté cette politique et la mettront en place fin 2020 maximum : Activision Blizzard, BANDAI NAMCO Entertainment, Bethesda, Bungie, Electronic Arts, Microsoft, Nintendo, Sony Interactive Entertainment, Take-Two Interactive, Ubisoft, Warner Bros. Interactive Entertainment, et Wizards of the Coast.
Vers une adaptation du principe pour une pratique plus éthique ?
Préalablement à ces déclarations, certains constructeurs et éditeurs avaient déjà pris certaines mesures préventives. Ainsi, Microsoft avait ne pas planifier de loot boxes pour ses jeux à venir, mais ne ferme pas pour autant la porte aux microtransactions, naturellement. Ainsi, les développeurs de Gears 5 ont rapidement affirmé leur volonté de rendre obsolète les loot boxes tout en continuant de proposer aux joueurs qui le souhaitent de pouvoir acheter des éléments en jeu, notamment cosmétique. Destiny 2 et Bungie, de leur côté, ont à l'international supprimé les caisses de butin et se sont contentés de proposer de simples achats cosmétiques in game excluant toute notion d'aléatoire.
Le fait d'adapter le jeu vidéo pour que son modèle économique reposant pour partie sur les microtransactions perdure, sans pour autant en interdire la distribution sur certains territoires dans lesquelles la pratique est illégale est un compromis plutôt souhaitable, si tant est que l'argent ne crée par de déséquilibre entre les joueurs. Si le principe même de micro transaction dans un jeu payant restera toujours par nature polémique et assez douteux en terme de respect du joueur et de son portefeuille, il n'est pas pour autant en perte de vitesse et s'avère bien trop lucratif pour que les éditeurs choisissent de s'en passer pour des considérations éthiques. De son côté, la dimension aléatoire à cela d'intéressant qu'elle est susceptible de créer une certaine excitation chez le joueur, espérant obtenir au prochain achat l'item rare tant convoité, et c'est ce sentiment d'excitation / frustration qui pose problème, ce que certains développeurs tentent aujourd'hui de contourner. La technique du "near missed", cette sensation que l'on peut par exemple trouver dans les machines à sous et qui donne le sentiment au joueur qu'il a "presque" gagné quelque chose, l'incitera très fortement à retenter sa chance. Mais encore faut-il que cette notion s'inscrive dans un processus acceptable par la législation des différentes nations.
Outre la déclaration des principaux constructeurs de machines d'être plus transparents sur les probabilités d'obtention de tel ou tel objet, d'autres studios ont quant à eux d'ores et déjà prévu de réviser leur système de caisses pour abonder dans ce sens. C'est notamment le cas de Psyonix et de son très populaire Rocket League. Reposant actuellement sur un système de caisse à ouvrir avec des clefs à acheter en argent réel, le titre va s'inscrire dans la nouvelle politique de transparence dès le mois de décembre, en remplaçant les caisses par des « patrons » obtenus en fin de partie. Il sera toujours nécessaire de payer pour transformer ce patron en objet concret, à la nuance près qu'à compter de cette fin d'année, le joueur saura précisément ce qu'il obtiendra s'il dépense son argent.
La subtilité Valve
La pirouette la plus étonnante, en revanche, est celle opérée par Valve et uniquement sur le territoire français. Son indéboulonnable CS:GO est clairement un cas d'école dans le domaine des loot boxes. Comme bon nombre d'autres jeux, il était jusqu'à très récemment possible de voir le contenu hypothétique d'une caisse, renfermant différentes skins de rareté variable, sans pour autant en connaître la probabilité d'obtenir tel ou tel élément en cas d'ouverture, contre de l'argent réel, toujours. Chose un peu plus atypique, il est également possible de revendre les objets obtenus sur le marché dédié au jeu via Steam. Et autant dire que la chose peut-être terriblement lucrative. Effectivement, un rapide coup d'oeil au Marketplace de CS :GO vous permettra de voir, par exemple, que certaines skins d'armes ultra rares peuvent se monnayer à 1 500€. De quoi donner la tentation d'investir d'une manière excessive dans les caisses afin peut-être, de dénicher la perle rare qui fera de nous des joueurs riches.
Cependant, il semblerait que Valve ait senti le vent tourner, notamment sur notre territoire. Effectivement, le public français vient de connaître une restriction non négligeable à l'ouverture compulsive de loot boxes, Valve tentant manifestement d'anticiper une potentielle décision de justice hexagonale et donc de rester dans la légalité le cas échéant. Désormais, chaque utilisateur pourra scanner une caisse pour savoir avec précision quel objet il récupèrera s'il choisit de l'ouvrir. Sur le papier, l'initiative est noble puisqu'elle exclut toute notion de hasard et donc de « pari » à base d'argent réel sur du contenu en jeu. Cependant, les choses sont plus subtiles. Effectivement, pour utiliser le scanner de caisse à nouveau, vous serez contraint d'acheter l'objet de la caisse précédemment scannée. Inutile, donc, d'espérer scanner tout un tas de caisses et de ne choisir d'ouvrir que celles qui vous intéressent, cette possibilité aurait tué tout le marché qui gravite autour de CS :GO. Ainsi, si votre premier scan révèle un item qui ne vous convient pas, vous ne pourrez plus ouvrir de caisses sans vous être préalablement acquitté de la somme requise pour l'objet scanné. Certes, avec ou sans scan, le joueur aurait de toute façon obtenu l'objet en question, qu'il lui plaise ou non. Ceci ne rend donc pas le principe de loot box obsolète, mais offre un rempart précédent l'achat en laissant le choix au joueur averti d'acheter ou non l'objet renfermé dans le contenant. L'éthique est sauve.
La compromission pour anticiper la législation ?
Si pour l'heure, Valve n'a appliqué ce filtre qu'en France, l'action en justice d'UFC-Que Choisir à l'encontre de l'entreprise ne portant pas sur ces pratiques, il semble cependant s'opérer un rétropédalage face à l'approche des transactions en jeu. Opter pour plus de transparence est naturellement le choix le plus évident pour les éditeurs, qui ne voudraient en aucun cas se priver d'une manne financière qui, aussi impopulaire soit-elle, continue de trouver de nombreux adeptes. Par ailleurs, les éditeurs ont tout à gagner à anticiper un durcissement de la législation à l'international, car, au-delà d'une image un rien redorée par une pratique jugée honnête par les joueurs, cela éviterait aux jeux futurs de s'adapter à la législation de leur pays de commercialisation. Pire encore, des produits différents en fonction des pays pourraient avoir un retentissement fort sur le jeu multijoueur et créer des déséquilibres plus importants qu'auparavant entre les joueurs ayant accès aux caisses de contenu et les autres.
Ce scénario catastrophe ne semble pas pour autant être d'actualité, car, comme nous l'avons vu, les acteurs majeurs de l'industrie semblent désireux de faire un premier pas dans le sens du joueur avant que les autorités ne les y contraignent. Et cela pourrait devenir plus rapidement le cas qu'on ne voudrait bien le croire. Les États-Unis, marché de choix pour l'industrie du jeu vidéo, ont vu le sénateur Josh Hawley proposer l'interdiction pure et simple de l'accès aux loot box pour tous les joueurs mineurs, ce qui impliquerait, en cas de concrétisation de cette proposition, que seuls les jeux estampillés 18+ pourraient proposer des loot boxes aux joueurs. De son côté, la France reste dans un certain flou juridique, reconnaissant les dangers inhérents à la pratique sans pour autant l'assimiler à un jeu d'argent.
La France peine encore à trancher
C'est en tout cas les conclusions du rapport d'activité 2017/2018 de l'ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne), qui rappelle qu'en France, seules trois offres de jeux d'argent sont autorisées depuis 2010 : les paris sportifs, hippiques et le poker, et redonne à l'occasion de ce rappel les critères devant être réunis pour que les jeux d'argents soient qualifiés comme tels :
Pour être caractérisée de jeux d’argent, et donc sanctionnée si elle n’est pas autorisée, l’offre de jeu doit répondre à une définition basée sur le cumul de trois critères : offre publique, sacrifice financier consenti dans l’espérance d’un gain.
Au regard de cette définition, il semblerait que les loot boxes cumulent les trois critères, mais l'ARJEL précise que « toutes les «loot boxes» ne peuvent pas être qualifiées de jeu d’argent, mais qu'il n’en va pas de même lorsque le lot est monétisable » et que « La légalité de ce type de jeu est discutable lorsque le lot est susceptible de cession en dehors de la plateforme de jeu et que l’éditeur permet l’utilisation de lots acquis ailleurs que dans l’environnement de sa plateforme ». Ainsi, l'ARJEL, sans pour autant trancher, affirme qu'une action concertée des régulateurs à l'échelle européenne est nécessaire et les axes de réflexions s'articulent autour de trois piliers :
- Préciser les règles communes et susciter une prise de conscience chez les éditeurs de jeu;
- Sensibiliser les consommateurs sur les dangers de ces microtransactions, en termes d’intégrité de l’offre de jeu et en termes d’addiction;
- Alerter les parents des risques auxquels s’exposent les mineurs et les appeler à une vigilance particulière
Cette réflexion a d'ailleurs mené à un communiqué officiel diffusé par l'ARJEL le 30 septembre dernier. Menés par un collectif de 16 régulateurs des jeux d’argent européens (pour 19 signataires des conclusions au total) réunis sous le nom de GREF (Gaming Regulators European Forum - Forum Européen des Régulateurs des Jeux d’argent), ces travaux de réflexion ont abouti à une conclusion similaire aux recommandations initiales de l'ARJEL. En plus du rappel du caractère potentiellement dangereux des coffres à butin, le cas des microtransactions a été plus généralement évoqué. Quelques pistes d'améliorations ont été proposées, notamment concernant la visibilité de la présence d'achats intégrés, le souci principal étant axé sur la consommation des mineurs, plus vulnérables à la tentation de l'achat in game.
Les éditeurs disposent de statistiques sur la fréquence et le caractère aléatoire des contenus intra-jeu, à l’inverse des joueurs qui n’ont aucune visibilité sur ces données. En l’absence de certification ou de régulation, les joueurs n’ont pas d’autre choix que de faire confiance à l’intégrité des éditeurs et des développeurs de jeux, selon lesquels ces systèmes de récompenses sont équitables. (...)
Les secteurs des jeux vidéo et des jeux sociaux sont invités à afficher des informations plus détaillées à l’intention des consommateurs et les associations de défense des consommateurs sont encouragées à formuler des préconisations dans ce sens (par ex., préciser le périmètre d’applicationdu logo « achats intégrés » apposé sur les jeux). Une meilleure information des consommateurs éclairera davantage les joueurs sur les achats intégrés (communication du contenu des coffres à butin et des probabilités d’obtenir tel ou tel objet virtuel) et assurera une plus grande flexibilité dans le déroulement du jeu. Ces mesures pourraient inclure notamment la possibilité d’acquérir différemment un même contenu par le biais de la vente directe des contenus intra-jeu délivrés par les coffres à butin, ainsi que la possibilité d’échanger les contenus intra-jeu et d’obtenir des remboursements.
Cependant, l'harmonisation européenne n'est toujours pas d'actualité et la conclusion apportée par la commission de travail est assez éloquente d'inertie puisque : « Il est néanmoins admis qu’en définitive, l’application de la réglementation sur les jeux d’argent à ces activités dépendra de la définition des jeux d’argent dans chaque Etat. ». Chacun pour soi, donc, pour le moment. Mais le débat lui, est plus que jamais d'actualité.
En attendant donc une position plus ferme des instances judiciaires hexagonales, le phénomène des loot boxes, qu'elles créent ou non un déséquilibre en jeu, est de plus en plus malmené et le fait que de nombreux pays se penchent sur la question et en dépit de l'hétérogénéité de leur législation est comme un signal d'alarme adressé aux éditeurs et ces derniers le savent bien. Si la pratique brute des caisses à butins aléatoires à de plus en plus de plomb dans l'aile, inutile en revanche d'espérer une disparition totale de ces dernières. Nous l'avons vu, Valve a tenté un contournement anticipé du principe avec son système de scanner et il y a fort à parier que des discussions très animées doivent se dérouler dans les locaux des éditeurs afin de trouver un moyen de conserver leur poule aux œufs d'or pour la rendre légalement, sinon éthiquement, acceptable par les consommateurs.