Epyon écrivait fin-2017 que le modèle du “jeu service”, désormais réalité sur une poignée de AAA, ne pouvait réussir que s’il mettait d’accord joueurs et actionnaires. Une tâche jugée difficile et qui ne prenait malheureusement pas en compte le facteur typiquement humain qu’est la méfiance. Une fois déçus, les joueurs, que nous sommes tous, avons tendance à montrer les crocs lorsqu’une entourloupe semble se présenter à nouveau... Et ce n’est, à mon avis, pas un hasard si le terme “game as a service” fut si peu prononcé à l’E3 2019, tant il évoque désormais pour le public, à tort ou à raison, quelque chose de péjoratif.
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De l’Eldorado à l’Omerta
Pour comprendre pourquoi j’estime que ce supposé Eldorado a gâché son potentiel, il est important de lire en préambule l’article qui détaille les leviers de réussite des game as a service. Epyon nous y dépeint cette métamorphose, visant à transformer une partie du prolifique catalogue des éditeurs en rares mais pharaoniques projets, bâtis pour durer. Malheureusement, et comme bien souvent lorsqu’une mode “à saisir” se dessine dans l’industrie, le Rubicon fut très vite franchi et ce, avant même que la formule n’ait pu officiellement s’installer. Inutile de vous détailler les scandales qui ont animé les réflexions sur le gaming moderne entre la fin-2017 et la mi-2019, vous ne connaissez les causes et les fautifs que trop bien. De ce fait, le jeu service à gros budget n’a eu que trop peu de moments de gloire ces derniers temps.
A vrai dire, les rares AAA qui s’en sortent sur ce format sont eux aussi source de grogne chez les joueurs puisqu’ils occupent pas mal de terrain médiatique, notamment à l’E3, là où, soyons francs, on aurait aimé voir un peu plus de sang neuf… Une trentaine de titres, parmi les plus gros blockbusters des années passées, se sont ainsi exhibés durant les conférences et sur le showfloor, affichant fièrement un “support communautaire longue durée”. Pour un medium qui adore l’innovation et se repaît d’originalité, on repassera. Cette impression de "stagnation" qui se dégage des conférences d'éditeurs du cru 2019 de l'E3, les joueurs l'attribuent donc en partie au "jeu service", pourtant présenté comme un rempart naturel à l’hyper-consumérisme et à la flambée des coûts de production. Sauf que, pour tout vous dire, le jeu service était déjà has been avant même d’être à la mode...
Tout baser sur une promesse
Comme partout où la notion de confiance est cruciale, les mauvais élèves ont tendance à décrédibiliser la totalité du modèle. Et, de la même manière que la Ouya, Godus ou encore Star Citizen ont scellé chez beaucoup de joueurs l’image du “jeu kickstarté”, les jeux service AAA lancés entre 2017 et 2019 ont à peu près tous plombé la crédibilité du "jeu service". Pourquoi ? Parce qu'ils prévoyaient d'en être, et furent conçus en tant que tels. Or, dans un monde parfait, c’est l'appétence de la communauté qui génère le suivi des développeurs, et non l’inverse. Raisonner à l'envers n'apporte qu'une communication assez peu claire sur ce qu'il sera possible de faire dans le jeu à ses débuts, et volontairement tournée sur les possibilités futures, encore à peine mises en chantier.
D'ailleurs, la campagne marketing du titre, forcément intense en raison des enjeux commerciaux massifs, le montre généralement comme "un succès qui est là pour durer". C'est ce que les actionnaires veulent entendre. Les joueurs, eux, seront peut-être plus prompts à attendre au tournant ce messie autoproclamé... La promesse du support longue durée peut aussi se transformer en véritable calvaire pour le développeur si son jeu n'est pas à la hauteur des attentes. Mal noté par la presse, critiqué par les joueurs, le studio se retrouvera empêtré dans un cycle de contenus pour un titre qui n'a pas plu. Dans l'impossibilité de démarrer un nouveau projet, l'équipe perdra probablement ses meilleurs éléments, démoralisés, qui chercheront à travailler ailleurs, sur quelque chose d'encourageant et de nouveau. La formule, pourtant idéale pour un succès qui peut se décliner dans le temps est donc un vrai risque lorsqu'elle s'envisage avant même le lancement et forge carrément l'architecture du titre. Et cela ne va pas aller en s'améliorant.
Un futur déjà sombre
Malgré la réussite du modèle chez certains AAA, l'avenir ne laisse que peu de place à la pratique, rattrapée par le "fast-food vidéoludique" que représente l'arrivée des services de jeu à la demande (Origin Access, Uplay+...). “A quoi bon investir du temps et de l'argent dans un seul jeu, certes mis à jour régulièrement, si l’on peut découvrir des tas de titres récents pour pas cher ?”. La question mérite d’être posée. Certains survivront, c’est évident, et le modèle a déjà quelques fiers représentants (mais peu de AAA) à l'image de Warframe, Rocket League, Fortnite, ou encore FIFA Ultimate Team, qui génère près de 30% des revenus d'EA. Toutefois, les nouveaux entrants n’auront pas droit à la crédibilité ou à l’audience théorique qu’avaient les projets "game as a service" annoncés en 2017, c’est une certitude.