Après s'être penché sur Red Dead Redemption II, Anthem ou encore Dragon Age IV, le journaliste Jason Schreier de Kotaku est allé fourrer son nez dans les coulisses du développement de Call of Duty : Black Ops 4. Le résultat est une longue enquête, basée sur les déclarations de onze employés et ex-employés, décrivant un crunch (période de développement intense) permanent et des inégalités de traitement entre les employés.
Titré "le coût humain de Call of Duty : Black Ops 4", l'article de Kotaku met l'accent sur les conditions de travail des "contractors", ces employés sous contrat temporaire traités comme des "citoyens de seconde classe". Il est notamment question des testeurs QA, chargés de chasser les bugs durant le développement. Employés par une société externe, Volt, ces derniers travaillent directement dans les locaux de Treyarch à Santa Monica. On leur fait toutefois comprendre clairement qu'ils ne font pas partie de la boîte. Regroupés par groupes de dix ou douze dans des bureaux supposés accueillir six ou sept personnes, à un étage différent de celui des employés en CDI de Treyarch, certains expliquent avoir eu l'interdiction de communiquer avec les autres départements du studio. Globalement, ces testeurs prestataires sont traités différemment et n'ont ainsi pas accès à certains avantages dont bénéficient les employés en CDI : pas de congés payés, des jours maladie et des vacances limitées, des pauses à des horaires fixes et non payées, interdiction de profiter des repas fournis par l'entreprise... lls disposent même d'un parking spécifique situé à dix minutes des locaux et sont également à l'écart des réunions et autres sondages sur la vie de l'entreprise, le tout en subissant le mépris de la direction ou des employés internes.
On pouvait souvent entendre des blagues sur les QA, tout le monde rejetait la faute sur eux dès qu'il y avait un problème dans le jeu. Un développeur de Treyarch.
La majorité d'entre nous veut juste être traitée de manière égale. Tout le monde se soucie du jeu. On donne de notre temps pour travailler dessus. Aucun d'entre nous ne serait ici si nous n'aimions pas Black Ops et la série en général. Pourquoi nous traiter comme des sous-hommes alors qu'on travaille autant que vous ? Un testeur QA sur Black Ops 4.
Un isolement et des conditions qui ont amené beaucoup de testeurs à partir d'eux-mêmes, entraînant un renouvellement perpétuel des équipes et une baisse d'efficacité du service :
Tous les mois ou trois mois, il y avait des départs et de nouveaux membres intégrés à l'équipe QA. Le résultat, c'est qu'il y avait beaucoup de gens qui n'étaient simplement pas formés. Un développeur de Treyarch.
Un mode battle royale développé en neuf mois
Débuté fin 2015, le développement de Black Ops 4 a nécessité un "crunch perpétuel" selon un développeur. En 2018, les testeurs QA ont dû travailler 70 heures par semaine, tandis que le volume horaire des développeurs est estimé à 64 heures par semaine, réparties en journées de 12 heures du lundi au vendredi, de 8 heures les samedi, "et parfois le dimanche". Les employés de Treyarch interrogés ont expliqué gagner entre 13 et 30 dollars par heure, sachant que les heures supplémentaires étaient payées une fois et demi la somme normale si le quota journalier dépassait huit heures, et deux fois si la journée de travail dépassait les douze heures. Certains indiquent avoir été obligés de prendre un deuxième job une fois le crunch terminé pour compenser la faiblesse des rémunérations chez Treyarch. Les testeurs étaient quant à eux rémunérés 20 dollars de l'heure (le minimum légal en Californie est de 12 dollars), sans pouvoir bénéficier d'augmentations malgré les heures supplémentaires ni des primes et bonus versés aux employés après la sortie du jeu.
Nos avantages craignent (...) Lorsqu'on voyait certains employés arriver en Jaguar ou en Tesla une fois les bonus versés, ce n'était pas très agréable pour nous. Un sous-traitant de Treyarch.
Le développement a été marqué par l'abandon de la campagne solo, début 2018. Censée se dérouler après les événements de Black Ops 3, celle-ci reposait sur une "ambitieuse" mécanique coopérative, avec des missions opposant deux équipes de deux joueurs (ou la possibilité de jouer en solo avec l'IA), chacune représentant une faction avec ses propres objectifs. À l'origine de cette annulation : des inquiétudes techniques, des soucis de timing et les retours négatifs des playtesteurs (joueurs lambdas invités à tester et faire part de leur avis), qui jugaient le gameplay trop répétitif. Impossible alors de convertir le travail effectué en une campagne narrative plus classique : le temps manquait, d'autant que la sortie du jeu a été décalée de novembre au 12 octobre afin d'éviter un certain Red Dead Redemption II, prévu pour le 26 octobre. La suite, c'est la création dans l'urgence du mode battle royale Blackout, conçu en seulement neuf mois.
L'urgence est par ailleurs toujours d'actualité puisqu'en plus d'alimenter Black Ops 4 en mises à jour, Treyarch a récemment hérité du développement du Call of Duty prévu en 2020. Avec un cycle de développement de deux ans contre trois habituellement, le crunch et les soucis auxquels le studio fait face risquent de s'accentuer, bien qu'il soit pour le coup aidé par les équipes de Sledgehammer et Raven Software. Depuis 2005, un nouveau Call of Duty sort chaque année, et Activision n'a pour le moment pas affiché sa volonté d'offrir une pause à sa lucrative licence.
A l'équipe :
Aujourd'hui, Kotaku a publié une enquête qui explore un certain nombre de problèmes internes survenus durant le développement de Black Ops 4. La première et plus importante des annonces que nous voulons faire, c'est qu'en tant que managers de ce studio, nous prenons le bien-être de chacun de nos employés très sérieusement.
Nous avons une vision pour le futur de ce studio qui inclut des améliorations significatives de l'équilibre travail-vie privée, et nous désirons le mettre en place à travers une meilleure gestion de projet, des processus de production affinés et des emplois du temps plus rigoureux. Nous avons également l'intention de maintenir notre engagement vis-à-vis d'une plus grande transparence.
Parvenir à cela demandera du temps, du travail, de la détermination et plus important encore, une communication libre. Si jamais vous avez le sentiment que l'on ne répond pas à vos besoins, n'hésitez pas à en faire part à votre manager. Personne ne devrait avoir l'impression qu'il ne dispose pas de solution, qu'il ne peut pas parler librement ou que son seul choix est de faire connaître ses préoccupations au public. Ces conversations devraient toujours commencer par un dialogue honnête avec le responsable de votre département, et si ça ne fonctionne pas, n'hésitez pas à joindre l'un de nous.
Développer un jeu est un art très complexe qui nécessite un ensemble de personnes très varié et des nombreuses compétences pour être mené avec réussite. Il est important pour nous tous de mettre en place une culture de studio qui traite tous les membres de l'équipe avec respect.
Nous apprécions les contributions apportées par chaque partie de l'équipe au nom des jeux que nous produisons.
Sincèrement,
Dan Bunting & Mark Gordon, co-dirigeants de Treyarch