Dans l’industrie vidéoludique, un terme fait encore plus débat que les Lootbox, les DLC et autres merveilleuses trouvailles marketing de ces 30 dernières années. Ce mot, c’est évidemment “contenu sponso” que l’on appelle en marketing le Brand Content. Cette évolution de la publicité classique, éradiquée par les bloqueurs de pubs, prend plusieurs formes mais son fond reste le même : louer les services d’un relais d’influence afin d’atteindre sa communauté avec un message précis, contre rémunération. Mais ce modèle, qui a le vent en poupe dans le gaming depuis le début de cette décennie, risque bien d’être sévèrement troublé par un tout nouveau programme installé par le géant du streaming Twitch : le Tableau des Primes.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
L’ubérisation de l’"opé spé"
Avec ce “Bounty Board”, appelé en français “le Tableau des Primes”, Amazon et sa plateforme Twitch proposent aux petits, moyens et gros streamers d’effectuer des “opé spés” variées, de manière très rapide, automatisée et sans avoir besoin d’un carnet d’adresse rempli de commerciaux. C’est une excellente chose car cela va, à mon sens, permettre plus de transparence à l’égard des spectateurs, mais aussi plus de sécurité du côté des revenus des streamers. On gagne ici en flexibilité, en réactivité, et on évite le plus possible tout soupçon de collusion ou de drague, en vue notamment d’avoir accès à des opérations plus juteuses.
S’attaquer à une cible inexploitée
Sur un terrain où les lois de la monétisation changent très vite, le Bounty Board de Twitch sonne donc comme une aubaine pour une multitude de petits et moyens streamers. Ces fameux “micro-influenceurs” dont on vante partout les mérites (et la performance en matière de transformation) sont aujourd’hui en ligne de mire des agences. Le seul souci, c’est qu’ils sont bien trop nombreux et n’ont pas le professionnalisme et la structure administratives des gros influenceurs. Difficile donc de les voir comme des prestataires fiables et réguliers. C’est là où le Bounty Board fait aussi des miracles puisqu’il peut diffuser des offres d’opérations spéciales, en flux tendu, à des streamers particulièrement indiqués, en fonction de leurs jeux habituels et de leur audience. Passer des milliers de petits contrats par heure ne fait pas peur à Twich puisque rappelons-le : tout, ou presque, est automatisé. Oui, “presque”, et c’est là où la révolution jusqu’alors totalement bénéfique montre, selon moi, ses premières limites : la vérification du contenu et la validation de la prime doit encore être réalisée à la main et répond à des critères que je juge un peu trop flous.
Pas mal de points d’ombre…
Par exemple, durant le stream sponso, si le streamer souhaite critiquer négativement ce qu’il présente à ses viewers, il doit le faire de “manière construite” et “sans méchanceté gratuite”. Libre aux gens chargés de valider l’opération de considérer où est la limite entre critique d’une oeuvre (ce qui est par définition assez subjectif) et méchanceté gratuite… Et d’ailleurs, si le streamer ne valide pas plusieurs primes d’affilé, il pourra être exclu du programme. Il se privera ainsi des revenus significatifs que cela peut représenter : pour 100 à 150 viewers, une “prime” peut rapporter une quarantaine d’euros en 5 petites minutes. Quant aux gros streamers, comme Byron “Reckful” Bernstein, une partie d’une heure sur League of Legends peut rapporter 8 000 dollars. Se faire expulser d’un tel système serait donc assez dommage...
Une révolution qui menace “l’indice Twitch”
L’autre souci que l’on peut voir ici, c’est la très probable fragilisation future de Twitch en tant qu’indice de performance. Car si Apex Legends a pu monter très haut dès son lancement (moyennant des millions de dollars de sponsoring pour les plus gros streamers du globe), la chute une fois ces opés terminées fût elle aussi vertigineuse… Pour éviter de telles retombées néfastes, les éditeurs pourront “émettre des primes” afin de s’offrir, à quelques milliers de viewers près, une audience-ciblée stable sur Twitch, moyennant finance. Mais cet “indice Twitch”, si important dans les rapports financiers récents, pourrait aussi perdre de sa valeur à cause du Bounty Board. Si l’audience devient si facilement monétisable, alors l’indice perd en valeur et en confiance. Sans valeur ni confiance, les primes perdent en attractivité, et tout le système s’écroule, laissant Twitch comme seul perdant de cette affaire. Attention donc, de ne pas se brûler les ailes...