Willerslev, dans "Not animal, not not-animal: Hunting imitation and empathetic knowledge among the Siberian Yukaghirs", raconte le mode de vie des Yukaghirs, un peuple sibérien vivant de chasse de subsistance.
Leur relation à la chasse est ancrée dans une approche mimétique et empathique, où le chasseur ne se contente pas de pourchasser sa proie, mais entre dans une dynamique de fusion partielle avec l’animal.
Quand un chasseur Yukaghir part chasser l’élan, il devient presque élan lui-même. Il imite son apparence, reproduit son bruit, s’imprègne de son odeur et adopte son mode de déplacement. Par exemple, il recouvre les semelles de ses skis de peau d’élan pour que le son de ses pas ressemble à celui de sa proie.
Ainsi, lorsqu’il chasse, son regard n’est ni entièrement celui du chasseur, ni totalement celui de l’animal : il se tient dans un espace intermédiaire, entre l’humain et l’animal, entre le désir de capturer et l’empathie pour sa proie.
Ce qui me fascine, c’est que pour réussir, il ne doit pas chercher uniquement à chasser, il ne doit pas se focaliser exclusivement sur son objectif (la chasse à l’élan), mais il ne peut pas non plus renoncer totalement à cet objectif. Pour chasser, il ne doit pas chercher en premier à chasser… mais…(c’est le « not »).. il ne doit pas ne pas chasser. Il agit dans une dynamique paradoxale « ne pas chasser tout en chassant ».
Prenons l’exemple d’un homme qui souhaite améliorer son éloquence. Si il se concentre uniquement sur le fait de paraître parfait à chaque prise de parole, il risque de perdre sa spontanéité et de ressentir une pression paralysante. Mais si il participe à des discussions, s’investit dans des lectures et s’intéresse simplement à échanger des idées, son éloquence s’améliorera naturellement, presque sans qu’il en fasse un objectif explicite.
Si on cherche à apprendre une nouvelle compétence, se concentrer uniquement sur l’idée de maîtriser parfaitement cette compétence peut bloquer le processus d’apprentissage. À l’inverse, ignorer cet objectif empêcherait toute progression. La clé serait dans une approche indirecte, où l’on s’engage dans le processus sans se fixer uniquement sur le résultat.