https://www.lefigaro.fr/international/presidentielle-americaine-a-dearborn-la-communaute-arabe-menace-de-punir-kamala-harris-20241021
REPORTAGE - Le vote des quelque 250.000 électeurs originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord pourrait faire la différence dans l’État clé du Michigan, où les deux candidats sont au coude-à-coude.
Des drapeaux libanais et palestiniens ont fleuri sur les carrés de pelouse, en lieu et place des traditionnelles affichettes de campagne bleues et rouges. À Dearborn, « capitale » arabe du Michigan, le lourd bilan de la guerre à Gaza et au Liban tend à éclipser le duel entre Kamala Harris et Donald Trump. En 2020, dans cette localité voisine de Detroit, des dizaines de milliers d’électeurs originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord avaient voté pour Joe Biden.
Quatre ans plus tard, les mêmes menacent de « punir » sa vice-présidente pour le soutien constant que l’Administration apporte à l’État hébreu. « Avec près de 250.000 électeurs arabes inscrits dans l’État du Michigan (sur plus de 8 millions d’électeurs au total, NDLR), notre communauté est en mesure de lui faire perdre l’élection », prévient l’avocat libanais Abed Hammoud, qui n’avait jusqu’à présent jamais fait d’infidélité au Parti démocrate.
Souvenir mitigé
Cette fronde de la minorité arabe, qui représente à peine 1 % de la population des États-Unis, préoccupe l’entourage de Kamala Harris. Avec ses quinze grands électeurs, le Michigan est l’un des États pivots où la bataille s’annonce le plus serrée. Les deux candidats ont récemment multiplié les déplacements pour tenter d’y faire la différence. Donald Trump s’est rendu vendredi à Hamtramck, petite localité de la banlieue de Detroit où réside une nombreuse diaspora yéménite, et dont le maire, Amer Ghalib, lui a apporté son soutien.
Le candidat républicain, dont le passage à la Maison-Blanche a laissé un souvenir pour le moins mitigé aux Américains de confession musulmane, a montré patte blanche en promettant de « faire la paix au Moyen-Orient ». Au même moment, dans l’ouest de l’État, Kamala Harris appelait à « terminer la guerre à Gaza, ramener les otages à la maison et mettre un terme aux souffrances une bonne fois pour toutes ». La candidate, dont les meetings ont été chahutés à plusieurs reprises par des manifestants propalestiniens, exprime son empathie envers les victimes civiles de façon plus explicite que Joe Biden. Mais rien n’indique à ce stade qu’elle envisage de rompre avec sa politique.
Le berceau de l’industrie automobile
Ville natale de l’industriel Henry Ford, Dearborn ne se distingue d’autres localités résidentielles du Michigan que par ses commerces aux enseignes calligraphiées en arabe et par le nombre de ses mosquées. Le Centre islamique américain, orné d’un dôme et de deux minarets, abrite le plus vaste lieu de culte musulman d’Amérique du Nord. Au début du XXe siècle, des Libanais chrétiens attirés par l’essor de l’industrie automobile furent les premiers à s’installer dans l’agglomération de Detroit.
Peu de temps après, ils furent imités par des compatriotes chiites. Dans les années 1970, ce fut le tour de Palestiniens fuyant l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, ainsi que de Yéménites chassés par la guerre civile. Plus récemment, des Irakiens et des Syriens les ont rejoints. Dearborn, 110.000 habitants, est désormais la première ville américaine dont la population est majoritairement arabe.
Depuis un an, celle-ci vit au rythme de la guerre qui sévit au Proche-Orient. « Ce qui se passe là-bas est inhumain », soupire Ahmed, 28 ans, gérant de la boulangerie Chatila. Né à Dearborn, il ne s’est rendu au Liban qu’une seule fois mais se sent intimement lié à ses racines. « J’ai de la famille à Tyr, dans le sud du pays, et je suis constamment branché sur les réseaux sociaux pour suivre ce qui se passe là-bas. » La politique de l’Administration Biden, qui livre des armes à Israël malgré les lourdes pertes infligées aux populations civiles, le révolte. « Tout l’argent dépensé dans cette guerre pourrait être employé pour aider les victimes des récents ouragans en Floride et en Caroline du Nord », se désole Ahmed.
Le 5 novembre prochain, pour la première fois de son existence, il prendra part à l’élection présidentielle afin de manifester sa colère. « Je n’ai pas encore fait mon choix, dit-il. À ce stade, je penche pour Trump parce que je lui fais davantage confiance pour mettre fin à la guerre. Mais je n’ai pas oublié qu’il a fait beaucoup de mal aux musulmans durant son premier mandat. Alors, je finirai peut-être par voter blanc… »
Freiner l’hémorragie
Le Comité d’action politique arabe américain de Dearborn, fondé en 1998 par l’avocat Abed Hammoud pour permettre à sa communauté de peser dans le débat public, vient d’appeler à ne voter ni pour Kamala Harris ni pour Donald Trump. « Cette situation me fait mal au cœur, confie Abed Hammoud , mais je ne peux me résoudre à soutenir une candidate complice du génocide en cours. » Le sujet a donné lieu à de longs et douloureux débats. « Pendant des semaines, nous avons multiplié les contacts avec l’Administration Biden dans l’espoir qu’elle finirait par imposer un cessez-le-feu à Gaza . Ils ont tenté de nous amadouer en nous promettant qu’ils travaillaient à une sortie de crise. Mais lorsque les Israéliens ont lancé leur offensive contre le Liban, on a compris que c’était fichu. »
L’hebdomadaire Arab American News, imprimé à 35.000 exemplaires, vient de donner à ses lecteurs la même consigne de vote. « Nous avons lancé ce journal en 1983, raconte le directeur de la publication, Oussama Siblani, parce que l’heure nous semblait venue de faire entendre notre voix. » Les Arabes de Dearborn, beaucoup moins nombreux qu’aujourd’hui, se sentaient alors en butte à l’hostilité du conseil municipal. « Quarante ans plus tard, non seulement le maire et le chef de la police sont issus de notre communauté, mais notre point de vue est écouté jusqu’à Washington », observe le journaliste, qui ne s’en satisfait pas pour autant. « Ces dernières semaines, dit-il en désignant son vaste bureau plongé dans la pénombre, j’ai reçu ici même le directeur de campagne de Kamala Harris et l’envoyé spécial de Joe Biden pour le Liban. Tous deux m’ont écouté très poliment. Mais après douze mois de guerre, force est de constater qu’ils n’ont pas l’intention d’agir pour mettre fin à cette atrocité. »
Quelques dizaines de milliers de voix
Les stratèges démocrates, conscients de l’importance du vote arabe, viennent d’ouvrir un bureau et d’envoyer des renforts à Dearborn pour freiner l’hémorragie. En 2020, Joe Biden avait remporté le Michigan avec 154.000 votes d’avance. Mais si l’on en croit les sondages, l’élection pourrait se jouer cette fois à quelques dizaines de milliers de voix. « Dans une telle configuration, les électeurs arabes peuvent faire la différence, admet Sami Khaldi, directeur de l’antenne locale du parti. D’où l’importance de leur rappeler que Kamala Harris promeut la solution des deux États, appelle à un cessez-le-feu et s’est engagée à soutenir la reconstruction de Gaza. »
Cet Américain d’origine jordanienne, installé dans le Michigan depuis 1991, souligne que sa communauté n’est pas monolithique et veut croire que la bataille n’est pas perdue. Fin septembre, l’organisation musulmane Emgage, active dans huit États, a décidé d’apporter son soutien à Kamala Harris malgré les critiques que lui inspire la politique américaine au Moyen-Orient. Le mouvement Uncommited, qui réclame un embargo sur les livraisons d’armes à Israël et a rassemblé 700.000 votes lors de la primaire démocrate, vient pour sa part d’appeler à voter contre Donald Trump - sans pour autant se résoudre à soutenir la candidate démocrate.
Faire battre la vice-présidente
« Ces groupes trahissent notre communauté en sapant sa capacité à peser sur l’Administration », se désole Hassan Abdel Salam, professeur de sociologie à l’université du Minnesota et fondateur de la campagne Abandon Harris, qui sillonne les « swing states » pour mobiliser l’électorat musulman. Convaincu que celui-ci peut infléchir le vote non seulement dans le Michigan mais aussi dans le Wisconsin et en Pennsylvanie, il prend la parole chaque vendredi dans des mosquées et encourage les fidèles à faire battre la vice-présidente.
Plutôt que de prôner l’abstention, son mouvement a choisi de soutenir Jill Stein. La candidate du Green Party, qui axe sa campagne sur la dénonciation de la guerre au Proche-Orient, est créditée par les sondages d’environ 1 % des intentions de vote. La semaine dernière, un appel en sa faveur a été signé par plus de deux cents imams américains. « Le seul moyen de convaincre nos dirigeants de mettre fin au génocide est de les menacer avec nos votes », explique l’activiste à l’abondante barbe poivre et sel, qui se défend de faire ainsi le jeu du candidat républicain. « Jusqu’à cette guerre, assure-t-il, j’avais l’habitude de voter démocrate. J’ai fait du porte-à-porte pour Obama et j’ai pleuré quand Hillary a perdu face à Trump. »
Comme lui, certains responsables de la communauté voient dans cette prise de distance un tournant. « Les électeurs arabes, qui ont un point de vue plutôt conservateur sur les questions de société, avaient massivement voté pour George W. Bush en 2000, rappelle Oussama Siblani. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak les ont durablement éloignés des républicains. Et le Parti démocrate a depuis lors eu un peu tendance à nous considérer comme un électorat acquis. »
L’avocat Abed Hammoud estime toutefois que le divorce n’est pas définitif. « Certains nous disent qu’en causant la défaite de Kamala Harris on risque de se brouiller avec les démocrates et de se trouver isolés face à des républicains qui ne nous apprécient guère. Pourtant, je ne m’inquiète pas trop. Après tout, il y aura d’autres élections en 2026 et les amis auxquels cette guerre nous contraint à tourner le dos auront de nouveau besoin de nous. Peut-être même comprendront-ils qu’il est désormais nécessaire de nous traiter avec un peu plus de considération… »
Valeurs conservatrices
Donald Trump, flairant la vulnérabilité de son adversaire, a récemment intensifié ses efforts en vue de « retourner » une partie de cette communauté. Pour tenter de faire oublier l’interdiction de visas imposée, dès le début de son mandat, aux ressortissants de plusieurs pays musulmans, il met en avant ses ambitions économiques et son attachement aux valeurs conservatrices. « Je vais voter pour lui, sourit Fazi Ahmad, propriétaire d’une épicerie yéménite à Dearborn, car je ne pense pas qu’une femme comme Kamala Harris soit capable d’exercer de telles responsabilités. »
À Hamtramck, vendredi, le candidat républicain a présenté le soutien du maire comme « un honneur ». Amer Ghalib, qui s’était distingué l’an dernier en proposant de bannir le drapeau arc-en-ciel des bâtiments officiels dans sa ville, lui a rendu la politesse en saluant le « respect » et l’« appréciation » de Donald Trump envers sa communauté. Quelques jours plus tôt, trois membres de son conseil municipal avaient choisi d’apporter leur soutien à Kamala Harris.
résumé : les arabes veulent voter Trump car Kamala Harris n'a pas bombardé Israël.
kamalah harris est tellement finito
« Je n’ai pas encore fait mon choix, dit-il. À ce stade, je penche pour Trump parce que je lui fais davantage confiance pour mettre fin à la guerre. Mais je n’ai pas oublié qu’il a fait beaucoup de mal aux musulmans durant son premier mandat. Alors, je finirai peut-être par voter blanc… »
« Ces groupes trahissent notre communauté en sapant sa capacité à peser sur l’Administration », se désole Hassan Abdel Salam, professeur de sociologie à l’université du Minnesota et fondateur de la campagne Abandon Harris, qui sillonne les « swing states » pour mobiliser l’électorat musulman. Convaincu que celui-ci peut infléchir le vote non seulement dans le Michigan mais aussi dans le Wisconsin et en Pennsylvanie, il prend la parole chaque vendredi dans des mosquées et encourage les fidèles à faire battre la vice-présidente.