"-Et c'est pour ça que nous sommes sur cette île. Nous avons simplement été repoussés vers celle-ci. Mais dites-moi, que faites vous ici monsieur... monsieur ?"
L'interlocuteur sortit de sa semi-torpeur :
"- Vous n'avez pas besoin de mon nom, je ne reste que pour quelques temps. Appelez moi, je ne sais pas, étranger ou Voyageur.
- Bien, Voyageur. Vous devez avoir faim, et soif. J'ai de quoi vous restaurer au temple, si vous voulez vous joindre à nous bien sûr."

Le reste de la journée fut placé sous le signe du repos pour le Voyageur, qui mangea, bu, et passa la nuit dans le temple. Tôt le lendemain, des cris et des bruits lointains, portés par le vent venant de l'est, le réveillèrent. Au moment de manger, il questionna son hôte.
"- Ce sont les bruits du champ de bataille, sur la grande île à l'est, que vous entendez. Une guerre sans fin fait rage là-bas.
- Je veux y aller, voir ça de mes propres yeux."
Un silence fut la seule réponse qu'il reçut. Les moines se regardèrent, dubitatifs et jetèrent un regard inquisiteur sur le Voyageur.
"- Vous avez une barque, passez par la mer de Cipalislame, au sud. Vous tomberez sur les terres du califat, n'allez pas trop au nord, c'est là que se trouve le champ de bataille.

Sans réclamer son dû, le Voyageur mis les voiles vers l'île principale, pour arriver sur une plage qu'il ne pouvait qualifier que de déserte.

La chaleur était étouffante. La marche dans le désert avait déshydraté le Voyageur qui rationnait ses dernières gouttes d'eau. Cela faisait plusieurs heures que le Voyageur marchait, et le soulagement semblait être proche. Un groupe de gens, rassemblés dans un camp, pouvait être aperçu de loin. Le Voyageur prit l'initiative d'aller à leur rencontre pour demander de l'eau et des vivres. Il vit au sol des pointillés tracés à la peinture noire, comme pour délimiter une frontière, mais l'ignora. A peine franchit-il la ligne que tous les regards se tournèrent vers lui. Les hommes étaient cagoulés et agressifs, et chacun d'entre eux avait sorti un couteau et s'avançait d'un pas déterminé vers le Voyageur, qui reçut une violente secousse venant de son flanc.

L'origine du désagrément semblait être de multiples claques destinées à le réveiller. Un homme inquiet tentait de réanimer le Voyageur, qui se trouvait maintenant dans un palais composé de mosaïques. Voyant qu'il ouvrait les yeux, le musulman afficha un grand sourire :
"- Vous avez eu de la chance que je sois dans le coin.
- Qui êtes-vous ?
- Juste un musulman dans ces terres, un musulman pacifique.
- Il en existe des non-pacifiques ?
- Vous étiez chez les partisans de l'EI, dans le comté du Padamalgam. Ils vous auraient égorgé si je n'étais pas intervenu. Vous êtes ?
- Juste un Voyageur, des terres du foromme principal.
- Alors vous venez de loin. J'ai quelque chose à faire, je vous laisse de l'eau et de quoi manger sur la table. Je reviens rapidement."

Le Voyageur profita de l'absence de son hôte pour observer son environnement. Il semblait être dans une grande salle, au toit voûté, éclairée par le soleil brûlant. Sur la table à proximité se trouvaient de l'eau, des fruits et un Coran, duquel il s'empara après s'être désaltéré. Assis sur son lit, il feuilletait les différentes pages finement décorées, dont il ne savait lire aucun mot :

"- Vous lisez l'arabe ?
- Non, mais les cadres sont beaux."

Après un moment de flottement, le Voyageur décida de s'expliquer sur sa présence :
"- Je suis venu voir ce qu'étaient réellement ces Terres, qui y habitaient et...
- Partez, fuyez, ces terres sont maudites. Une guerre a éclaté, dès la colonisation, entre le Califat et les Soldats de Kryss. De chaque côté, les gens deviennent fous, ils balancent des élucubrations, des idées fausses et tentent de gagner la guerre en criant le plus fort.
- Ils deviennent fous ? Comment c'est possible, qu'est-ce que ça..."

La discussion fut interrompue par une alarme qui se mit à retentir dans tout le palais. Les différents musulmans qui vaquaient à leurs occupations s'emparèrent chacun d'un Coran, d'un sabre et sortirent au galop. Le Voyageur suivit tant bien que mal et ce qu'il vit fut terrible.

Il se trouvait à la frontière du champ de bataille, et une femme se trouvait en hauteur, accompagnée d'une catapulte :
" LE CORAN A ETE ECRIT PAR SATAN LUI-MEME, HERETIQUES" cria-t-elle avant d'envoyer une pierre, qui atterrit bien trop loin du groupe prit pour cible:
"Partez, réfugiez vous à l'Est chez les Athées, ils sont un peu simplets mais tant que vous ne montrez pas de religion, ils vous laisseront en paix !"

Le Voyageur prit ses affaires, et prit ses jambes à son coup, pour arriver dans le désert de l'athéisme, ou trois personnes l’accueillirent à bras ouverts, pensant avoir été rejoints par un nouveau partisan.

Après une nuit de réflexion, et quelques minutes d'observation, le camp athée était plutôt pauvre. Un feu de camp brûlait continuellement, et à proximité étaient entassés des livres saints, qui servaient de combustible. Sous des tentes se trouvaient des chambres, des bibliothèques, un laboratoire et un observatoire, donc la lunette était manifestement brisée , puisqu'elle pendait dangereusement vers le bas. Au fur et à mesure que l'on s'éloignait; des pierres au sol, des flèches et des morceaux de bois se faisaient de plus en plus fréquents. En haut d'une dune se trouvait un crucifix, sur lequel agonisait un homme qui semblait être un ancien croyant.
Intrigué, le Voyageur s'approcha de la structure macabre, non pas sans dégoût, pour lire d'éventuelles inscriptions. Effectivement, sur le haut de la croix étaient écrites en lettres de sang les inscriptions : "Jean 14:6", décidément mystérieuses.

En retournant sur le camp principal, les athées étaient en train d'argumenter de façon assez violente avec un homme, qui fut mystérieusement propulsé en arrière, s'eclipsant au-delà même du champ de bataille.
"- Bah voilà, ça devait arriver. Dit l'un des athées.
- Qu'est-ce qui devait arriver ? Questionna le Voyageur, qui en surpris plus d'un.
- Le Dieu de Balavoo a eu tellement honte de ses conneries qu'il a décidé de l'exiler.
- Bala...qui ?
- Ne t'en fais pas, juste un croyant idiot comme un autre."

Décidément choqué par la violence de ce groupe, tout du moins par rapport aux communautés précédentes, le Voyageur subtilisa des vivres, de l'eau et se mit en chemin vers le champ de Bataille. Les athées lui avaient parlé d'une zone chrétienne où les églises étaient des oeuvres d'art, dommage que ça soit religieux.

Les éléments jonchant le sol du champ de bataille étaient représentatifs des événements qui s'y passaient. Des pages et des pages de Coran déchirées au sol, autant de pages de la Bible et surtout des lambeaux de vêtements, violemment arrachés à leurs propriétaires respectifs. Les scènes étaient presque aussi intenses que lorsqu'elles avaient réellement lieu. Des membres arrachés, des armes laissées à même le sol, probablement afin de courir plus vite.

Dans sa contemplation désolée, le Voyageur ne vit pas le temps passer. Il s'abreuvait régulièrement, mangeait régulièrement et avait trouvé une vitesse de marche régulière. Au fur et à mesure de sa marche, il fut étonné de voir la végétation devenir plus dense, plus présente, plus touffue. Le sable chaud du désert laissait place à la verdure, encore humide des dernières pluies. Au nord-est se trouvait une forêt dense, qui semblait infinie et marquait sûrement la fin de l'île. C'est pendant qu'il regardait cette forêt que le Voyageur tomba sur un groupe de personnes, qui ne semblait venir d'aucune des communautés religieuses de l'île:
"- Bonjour, vous êtes... d'ici ? les questionna-t-il.
- Nous, oui pourquoi ?
- Je veux dire, vous êtes habillés comme sur les terres de l'Ouest, mes terres, et vous n'avez pas l'air d'être en guerre.
- Non, nous sommes respectueux des autres, et la violence ne fait pas partie de notre enseignement, la violence n'est pas du ressort des catholiques respectueux."

Le Voyageur haussa un sourcil, et tourna la tête vers le nord-ouest, où derrière une tour de Garde on pouvait apercevoir à l'horizon des églises romanes, toutes de pierres et se dressant majestueusement sur des collines.

Heureux d'avoir miraculeusement trouvé le peuple qu'il cherchait, le Voyageur gratifia les catholiques d'un sourire béat:
"-Je vous cherchais, justement, j'aimerais voir les Eglises dont on parle tant.
- Mais bien sûr, vous pouvez venir avec nous, nous sommes à moins d'une heure de marche de nos terres."

Et ainsi, le groupe nouvellement formé pris la route vers la Principauté des catholiques respectueux.

En réalité, puisque ces gens vivaient en harmonie, le prince n'était que prince à titre symbolique, titre qui récompensait le meilleur parleur et la plus belle rhétorique de la communauté, du moins c'est ce qu'expliquaient les croyants.

"- Cette tour de garde est proche de vos terres, est-ce vous qui l'avez faite construire ?
- Non, un illuminé se trouve au sommet de la tour, et s'amuse à tourmenter les passants. D'ailleurs, nous faisons un détour vers l'Est, près de la cité-état des religions minoritaires. Libre à vous de vous approcher de la tour, nous nous rejoindrons à quelques kilomètres au Nord."

La curiosité, qui n'est plus à prouver, du Voyageur, le poussa à s'approcher de ladite tour. A quelques mètres autour de celle-ci, se trouvaient différents éléments qui avaient probablement servi de projectiles : des briques, des bâtons, des morceaux de pierre, mais aussi des os et des fruits pourris:

" Reculez ! C'est ma tour ! Le Roi Panda me l'a donnée !"
Visiblement déboussolé, un vieillard, portant un seau sur sa tête, essayait tant bien que mal de se faire entendre. Il marmonnait dans sa barbe de temps à autres, pendant qu'il observait d'un oeil suspicieux le Voyageur, qui tentait malgré la distance le séparant de la tour, de l'étudier. La tour était faite de briques, circulaire, visiblement bien bâtie. Des fenêtres grillées montaient régulièrement jusqu'à son sommet crénelé, indiquant d'éventuelles chambres et appartements pour loger le vieillard. Celui-ci ne présentant aucun danger visible, le Voyageur s'approcha un peu plus de la tour :
" Reculez, RE-CU-LEZ !"
Le Vieillard brandissait un projectile, indiscernable de la distance à laquelle se trouvait le Voyageur, de façon presque menaçante, mais pas assez pour en dissuader le visiteur curieux. Il fit quelques pas de plus et le vieillard poussa un cri, hybride d'un gémissement et d'un cri de colère, avant d'envoyer son projectile. Le Voyageur fit un pas de côté, et observa ce qui ressemblait à une carcasse de poulet cru entamer sa descente. Après un moment de silence, le poulet s'écrasa au sol, éparpillant autour de lui des viscères et des morceaux de chair, tout en émettant un bruit comparable au bruit que font les fruits pourris envoyés contre le sol.
En relevant la tête, le Vieillard n'était plus. Il avait disparu derrière l'un des créneaux et ne fut plus revu depuis.

Le Voyageur rejoint alors le groupe de catholiques, qui l'attendaient un peu plus loin:

"-Alors, quelque chose d'intéressant ?
- Un poulet...."

La réponse inattendue du Voyageur laissa les croyants sans voix. Le silence fut brisé par des bruits de galops et des cris venant du Sud. Derrière une colline, des combattants du Califat firent leur apparition. Tous armés, montés et chargeant dans la direction du petit groupe pacifique, qui fut emporté par un autre groupe de soldats, qui arboraient fièrement des croix sur leurs tabards bicolores, recouvrant leurs cottes de mailles, venant lui de l'Ouest.

L'un d'eux se détacha des cavaliers chargeant, et protégea le groupe pacifique pendant que la bataille était lancée.
Un des croisés souleva sa masse, déboîtant la mâchoire d'un cavalier bédouin, pendant qu'un autre tentait de se défaire de l'emprise de son cheval, tombé à cause d'une blessure causée par un sabre.
Un chevalier, tout en armure lourde, faisait tourner au-dessus de sa tête un fléau, provoquant la chute de plusieurs de ses ennemis, mais aussi d'un de ses alliés qui prit le coup directement dans l'épaule et disparut derrière son cheval en poussant un cri de douleur.
En quelques instants, les chevaux étaient tombés, emportant des soldats des deux camps avec eux. Le combat s'était transformé en duels isolés, armées ou au poings, au milieu des flaques de sang, de pisse et de vomi. La plupart des combattants avaient battu en retraite, emportant avec eux leur fierté. Des membres avaient été arrachés, comme le montrait la démarche d'un des soldats de Kryss, qui avait visiblement perdu un bras et qui marchait péniblement vers le Nord, refusant l'aide qu'on lui proposait.

Les catholiques respectueux s'en furent, ignorant le combat qui venait d'avoir lieu, et arriva enfin sur les terres de la principauté.
Divers bâtiments de bois, de pierres et de briques, dominaient le paysage. Mais le plus marquant était la splendeur de l'église principale, qui trônait sur le haut d'une colline, qui sonna l'heure de la messe. Machinalement, les quelques catholiques se dirigeaient vers l'église romane pour prier, prenant congé auprès du Voyageur qui mit les voiles vers l'Ouest, afin de comprendre les soldats de Kryss, dont il ne connaissait que le nom, et qu'il avait aperçu lors d'une violente bataille.

Alors que les païens discutaient autour d'une table, chacun savourant sa boisson préférée respective, les uns du vin, les autres de la bière ou de l'hydromel, un claquement de porte se fit entendre. Un homme en armure, qui boitait et respirait bruyamment s'avança vers le comptoir. L'un des païens qui discutaient se leva, défroissa sa cape et se mit derrière le comptoir. Il en profita pour observer l'étrange personnage qui venait d'entrer. Celui-ci semblait être gravement blessé, une partie de son avant-bras avait même été récemment arrachée. Une énorme plaie saignait abondamment au travers de son visage. Encore essoufflé, le croisé arborait sur son tabard une simple croix, et sous celle-ci une cotte de mailles. :

"- Et pour m'sieur, ce sera ? Demanda l'asatruar d'un ton décontracté.
- Une bière, une petite, pour reprendre des forces."

Le païen acquiesça et sortit du comptoir une bouteille qu'il ouvrit et versa dans un verre qui traînait là. Le croisé la but d'une traite, s'essuya la bouche avec la manche de son bras intact, embrassa la croix qui pendait à son coup et fit un signe à son serveur.

"A plus tard." Répondit-il en souriant.
Alors que le croisé repassait le pas de la porte, la discussion reprenait, après une légère remarque amusée sur la guerre qui semblait faire des ravages à l'extérieur.