Pavé mais lisez
Eduard Streltsov, URSS, période pro 1954-1970
Le joueur le plus talentueux que la Russie soviétique ait jamais enfanté a connu la gloire puis le goulag, et n'a jamais pu briller en Coupe du monde.
Il tape dans l'oeil des recruteurs du Torpedo Moscou à l'âge de 13 ans, club à l'époque phare en URSS. Trois ans plus tard, Streltsov est meilleur buteur du championnat soviétique, le plus jeune de l'histoire. Logiquement, dès l’année suivante, en 1955, Eduard Streltsov est convoqué pour sa première sélection sous le maillot soviétique. Pas encore adulte et déjà star dans tout le pays: il n’en fallait pas plus pour que, au sommet d’un Etat où une tête qui dépasse doive être soit coupée, soit érigée en symbole de la réussite du communisme, on se penche sur son cas.
Pour l'heure, il s'envole pour Stockholm, où l'URSS va défier la Suède, futur pays organisateur de la Coupe du monde.
Streltsov, 17 ans, inconnu des joueurs suédois au coup d'envoi, ne fait pas de détails : 3 buts, 3 passes décisives. Un succès 0-6 retentissant de l'URSS qui propulse Streltsov dans une autre dimension. Le sélectionneur suédois déclare à l'issue du match : "Nous sommes prêts à attendre cinq cents ans pour avoir un tel joueur dans notre équipe".
En 1957, Streltsov, à nouveau élu meilleur joueur et meilleur buteur du championnat soviétique, établit un nouveau record : 31 buts inscrits en l'espace de quatre mois, entre juillet et octobre. Une véritable machine à buts, qu'on ne verra plus dans l'histoire du football. Surtout, c'est lui qui décroche le précieux billet pour la Coupe du monde 1958 grâce à un grand match face à la Pologne alors qu'il joue blessé : 2-0, un but, une passe décisive.
Fin 1957, Streltsov est dans le top 10 du Ballon d'or : fait extraordinaire pour un joueur de l'URSS, étant donné que les clubs soviétiques ne participent pas aux coupes européennes.
Aux yeux de tous ceux qui l'ont vu, Streltsov est l'archétype de l'attaquant parfait : puissant physiquement, aussi habile pour conclure une action que pour l'initier, doté d'une technique de dribble et de conservation de balle remarquables. Il est de plus excellent de la tête et ses frappes de balle sont d'une précision parfaite.
Mais ces exploits ne soulèvent pas l'enthousiasme de tout le monde, notamment au sein des dirigeants communistes. Car Eduard ne veut pas entrer dans le moule de l'athlète soviétique standard, et le fait savoir. A de multiples reprises, il refuse d'être transféré au CSKA ou au Dynamo, malgré l'insistance des personnages hauts placés du Parti comme de son ami Lev Yachine, préférant rester fidèle au Torpedo. Puis, les services de renseignements soviétiques le décrivent comme susceptible de passer à l'Ouest, après qu'il a confié qu'il est toujours triste de revenir en URSS après ses séjours à l'étranger. Le Real Madrid le veut.
Ultime affront, début 1957 il refuse la main de la fille d'Ekaterina Furtseva, protégée de Krouchtchev et seule femme n'ayant jamais siégé au Politbüro, en déclarant "Je ne me marierais jamais avec cette guenon", pour épouser quelques mois plus tard une autre femme en secret. Une attitude qui lui vaut tout d'abord une campagne de dénigrement en bonne et due forme de la part des médias officiels, comme dans cette série "Egarements d'idoles" parue dans le Komsomolskalia Pravda qui racontent dans le détail les beuveries, bagarres et autres soirées de débauche auxquelles s'adonnerait régulièrement la nouvelle icône du peuple.
Il est ensuite banni temporairement de la sélection soviétique, et n'est autorisé à revenir sous le maillot de l'URSS qu'après avoir fait son autocritique dans la revue Sovietski Sport. Ainsi, à la suite de la parution d'un article titré "Ce n'est pas un héros" accompagné de lettres de "membres du prolétariat" condamnant Streltsov en tant qu'illustration des maux de l'impérialisme occidental, il participe quand même aux rencontres amicales contre la sélection de Berlin (il inscrit un triplé pour une victoire 4 à 0) et face à l'Angleterre, préparatoires à la Coupe du monde suédoise de 1958. Une Coupe du monde où les soviétiques et tout particulièrement leur attaquant aux 32 buts en 29 sélections sont attendus comme favoris.
Mais alors que deux mois plus tard ce Mondial consacre un jeune Brésilien inconnu nommé Pelé, ainsi que l'attaquant français Just Fontaine et son nouveau record de buts avec treize réalisations, l'URSS se fait éliminer par deux buts à zéro en quart de finale par la Suède, la même équipe qu'ils avaient étrillés 6-0 trois ans plus tôt après le festival de Streltsov. On remarque, à la surprise générale, que Streltsov n'a pas fait le voyage. Et pour cause...
Le 25 mai 1958, soit deux jours avant le départ prévu pour la Suède, Eduard est invité à une soirée de la jeunesse dorée du régime dans une datcha aux alentours de Moscou, en compagnie de deux de ses coéquipiers, Mikhaïl Ogonkov et Boris Tatushin. Nul ne sait ce qu'il s'est exactement passé ce soir-là, si ce n'est que l'alcool a coulé à flot: étrangement, personne n'y a rien vu et ne se souvient de rien de toute manière. On lui tend un piège grossier, on le fait boire, on agresse une fille, et on lui fait porter le chapeau.
Le lendemain, des policiers arrivent au camp d'entrainement de Tarassovska pour procéder à l'arrestation d'Eduard Streltsov. On a monté une histoire bidon de viol avec violence physique sur la personne de Marina Lebedeva, dix-neuf ans, fille d'un général de l'armée rouge. Celle-ci a bien été violentée, mais est incapable de reconnaître son agresseur. Qu'importe : c'est lui, c'est sûr ! Ses deux coéquipiers présents à cette soirée sont également arrêtés et aussitôt exclus du groupe soviétique, mais relâchés peu après, curieusement.
Pas lui.
Car la cible désignée est bien Streltsov, qui avoue, après plusieurs heures de torture dans les sous-sols de la Loubianka, le prétendu viol dont il est accusé, pensant ainsi gagner l'autorisation de jouer la Coupe du monde. Et peu importe que la victime se rétracte ensuite, la machine à broyer du régime communiste est déjà en place depuis longtemps. Incarcéré dans la foulée à la prison de Burtika, l'affaire fait l'effet d'une déflagration. Le sélectionneur Kachalin contacte aussitôt ses relations influentes au sein du Parti, dans l'espoir de voir la condamnation de son joueur suspendue pendant la Coupe du monde, mais on lui fait comprendre que l'ordre vient directement des plus hautes instances. Krouchtchev lui-même a pris la décision de cette incarcération, et ce n'est pas non plus la manifestation réunissant 100.000 supporters et ouvriers des usines ZIS, convaincus de l'innocence de leur idole, qui va changer la donne. Streltsov a eu l'outrecuidance de tenir tête aux dignitaires du régime, et il va en payer le prix fort. Sa carrière est morte. On ne se rebiffe pas face au régime.
Le 25 juillet 1958, le lendemain de son vingt et unième anniversaire, Eduard Streltsov est officiellement condamné à douze ans de prison, au régime le plus sévère: le goulag. Immédiatement, son nom est rayé des registres et on efface toutes traces de sa notoriété. La liste des trente-trois joueurs soviétiques de l'année n'est pas publiée (Streltsov devant être de nouveau élu comme meilleur joueur soviétique), certains de ses buts sont attribués à d'autres, et le nom de Streltsov n'apparaît pas dans l'ouvrage. Bref, le joueur a disparu.
Sa femme, sous pression, demande le divorce et Streltsov est envoyé en Sibérie pour purger sa peine. Là-bas, on paie des détenus pour lui briser les jambes à coups de barres de fer et le torturer. Il apprend, loin de tout, les résultats de ses coéquipiers en Europe.
On lui offre finalement un aménagement de peine après cinq ans, qu'importe, sa carrière est déjà foutue : il n'est plus autorisé qu'à jouer au niveau amateur jusqu'en 1965.
De retour alors au Torpedo, après sept ans hors des terrains, il rappelle à tous son talent et emmène son club de cœur sur le tout de l'URSS, gagnant le championnat. Si bien qu'on se prend à rêver de sa présence pour la Coupe du monde 1966 en Angleterre, comme une revanche.
Mais Streltsov ne jouera pas plus en Angleterre qu'en Suède. A nouveau, et sans raison apparente, on ne lui délivre pas de visa pour quitter le pays. Il regarde la coupe du monde à la maison et voit l'URSS de son légendaire coéquipier Lev Yashin atteindre les demi-finales. Il est fort probable que les Soviétiques auraient remporté le trophée avec leur génial attaquant...
Cruels jusqu'au bout, les autorités soviétiques lui délivrent finalement un visa trois mois après la coupe du monde. Streltsov enquille encore quelques buts en sélection, jusqu'en 1970 où, usé et blessé au tendon d'Achille, il ne peut pas participer à la coupe du monde. Sa dernière chance est passée. Jamais Eduard Streltsov ne jouera un match de Coupe du monde.
Pelé : "Je pense qu'il était meilleur que moi"
De l'autre côté de la planète, celui qui n'était qu'un jeune Brésilien surdoué devient, en soulevant le trophée Jules Rimet pour la troisième fois, le roi Pelé. Pelé qui dira un jour: "Mon plus grand rival? Eduard Streltsov. Et encore, je pense qu'il était meilleur que moi".
Difficile d'imaginer, vu de l'extérieur, l'aura qu'a atteinte Eduard Streltsov en URSS, à la fois star du ballon rond et symbole de la résistance à un système dont tout le monde connaissait les travers, sans toutefois oser s'y opposer. Aujourd'hui encore, en Russie, une passe en talonnade est appelée une passe "à la Streltsov", en hommage à celui qui affectionnait tout particulièrement ce geste.
Une citation de Pelé : "Mon plus grand rival : Streltsov, et je pense que le Russe était peut-être meilleur que moi."
Osef c'est pas Mbappé, Haaland, CR7 ou Messi.
En vrai nan c'est archi intéressant gg pour le topic même si je connaissais déjà l'histoire et que je regrette cette vie, j'aurais tellement aimé qu'il devienne un grand joueur
Bien joué l’op, je connaissais son histoire mais c’est pas le cas de tout le monde.
Une vraie légende du foot soviétique. Il y a eu un biopic sur lui l’an dernier il faut que je le regarde.
Je connais déjà l'histoire, malheureusement, c'est trop long à lire pour les jeunes de ce forum qui ne s'intéressent à rien du tout en dehors de Messi, Cristiano, Neymar, Mbappe Haaland et Lewandowski et Real Barça, PSG.
Mais +1 pour ton post. Je partage une vidéo, ce sera peut-être plus intéressant à regarder pour eux
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=mfBqvtvCoz0
C'est chaud son histoire en sah
Car Eduard ne veut pas entrer dans le moule de l'athlète soviétique standard, et le fait savoir. A de multiples reprises, il refuse d'être transféré au CSKA ou au Dynamo, malgré l'insistance des personnages hauts placés du Parti comme de son ami Lev Yachine
Décidément il a rien pour lui ce Yachine
Triste cette histoire je connaissais pas
Je ne connaissais pas du tout, merci pour le partage
Y a Sindelar dans le même genre
Merci je connaissais pas, je vais regarder son biopic, j'adore l'acteur du biopic en plus, excellent dans tekct
Je connaissais déjà mais je up pour que plus de monde en prenne connaissance
Le vrai GOAT