Juste pour faire le 600e post
Bonne nouvelle : les vacances, ca me laisse du temps pour écrire
T'as refait mes vacances
Sweet?
J'ai un chapitre en réserve, je vois si j'ai le temps d'en sortir deux d'un coup à la rentrée
Prépare toi,la rentrée approche.
J'entends bien
Chapitre demain soir
Chapitre 57
Les égouts s'étaient changés en un véritable labyrinthe. En s'éloignant du repaire souterain des rebelles, les torches avaient laissé place à l'obscurité la plus totale. Après avoir tâtonné un long moment dans le noir, Aris était parvenu, par un heureux hasard, à rejoindre les niveaux supérieurs. Par chance, ceux-ci étaient reliés à la surface par de longs puits de pierre, laissant filtrer de fins rayons de lumière salvatrice à intervalles réguliers sur son chemin. En dépit de l'obscurité quasi-totale dans laquelle il avançait la plupart du temps, pataugeant jusqu'aux genoux dans une eau saumâtre et froide, il ne cessait pas de marcher. Pas à pas, le regard vide, laissant ses bras pendre sans conviction le long de son corps exsangue, il continuait de progresser dans les souterrains, sans même chercher à savoir où il allait. Le silence, total, se faisait de plus en plus pressant.
Depuis combient de temps errait-il ainsi ? Une heure ? Une demi-journée ? Il n'aurait su le dire précisément. En l'absence de lumière, les couloirs se ressemblaient tous, avaient la même odeur répugnante, les mêmes murs affaissés, et le même souffle de caveau glaçant. Il était désormais perdu, peut-être à des kilomètres de la sortie la plus proche, errant, l'odeur de la mort collée à la peau.
Et pourtant, il n'essayait pas de retenir le chemin qu'il empruntait. Il demeurait ainsi, avançant sans but, ne détournant les yeux de la surface noire de l'eau agitée que pour choisir, presque au hasard, l'embranchement qu'il allait suivre.
Chaque minute qui passait le rapprochait irrésistiblement d'un état inexplicable, à mi-chemin entre la détresse la plus insondable et la plénitude la plus profonde, comme figé entre deux absolus si radicalement opposés qu'ils en devenaient inextricables.
Absorbé dans sa progression inconsciente, Aris ne prêtait plus attention au cuir de ses bottes se gorgeant petit à petit d'eau, ni à sa gorge, désormais si sèche qu'en faire sortir le moindre son était devenu ridiculeusement douloureux. À quoi bon, de toute manière ? Il n'y avait personne à qui s'adresser. Plus maintenant, en tout cas.
Azir était probablement mort, à présent. Roué de coups par la garde, pendu aux murailles comme un trophée de chasse, ou agonisant lentement au fond d'une cellule, sans eau ni lumière, peu importait. Il était condamné, parce que lui, Aris, s'était mêlé de choses qui ne le concernaient qu'en apparence.
Au fond de ces souterrains, dont la palette sonore se résumait au bruit de l'eau qu'il déplaçait en avançant, le sort du rebelle avait accaparé les pensées du rougegarde, au point de le détourner de toute autre chose.
Oui, cet homme était mort pour préserver l'équilibre d'une société déjà fragilisée par des mois de manipulation et de tensions internes. Oui, sa disparition allait peut-être sauver des milliers de vies, et laisser place à des temps paisibles et heureux. Et pourtant, Arid ne pouvait s'ôter de la tête qu'il venait de trahir non seulement ses idées, mais aussi Dakin, Nash, et tous ceux avec lesquels il avait fait route jusqu'à présent. Et le fait de savoir que ces derniers aurait désapprouvé les idées révolutionnaires du rebelle ne le consolait que peu : aucun ne se serait résolu à éliminer la révolte à la racine. Car aucun d'entre eux n'aurait commit l'affront d'aller à l'encontre de ce passé qu'ils partageait tous. Celui des exilés, celui de ceux qui avaient du fuir pour échapper au cours des choses. Celui de ceux qui se terraient encore dans l'ombre, comme des insectes, derniers porteurs d'une vérité devenue trop lourde à supporter.
Avait-il donc trahi les siens ?
Né parmi les pillards, élevé comme un mercenaire, sauvé par l'Ordre avec d'autres rebelles, il se retrouvait désormais dans le camp des oppresseurs, ceux-là même qu'il avait détroussés puis combattu durant toute son existence.
En cet instant, les préceptes des Marcheurs demeurait dans son esprit, persistants, presque accusateurs.
Ne jamais briser l'équilibre des choses sans avoir l'assurance de faire pencher la balance du bon côté. Ne jamais utiliser de lame qui ne puisse sauver un être par le meurtre d'un autre. Ne jamais agir par impulsivité, sauf dans l'urgence de sauver sa propre existence. Être conscient chaque instant de ce dont le monde a besoin, pour ne jamais avoir à ployer le genoux sous la charge de l'incertitude. Et ne jamais, jamais agir par intérêt personnel.
Ces quelques enseignements, issus des lèvres mêmes des êtres qui les avaient arrachés aux griffes de la répression, ne souffraient aucune contestation possible. Ils étaient de ceux que l'on apprenait, malgré soi, et qui hantaient chaque seconde l'esprit de ceux qui devaient vivre sans avoir pu les honorer. Et, malgré le temps qu'il avait passé loin des terres de l'Ordre, Aris n'avait rien oublié; ni ses devoirs, ni ses interdits.
Pourtant, il venait bel et bien de provoquer consciemment une série d'événements sur lesquels il n'avait désormais plus la moindre emprise.
Paix, guerre, chaos... Qu'avait-il réellement engendré ? Avait-il agit par désir de paix, par obéissance inconsciente à un roi auquel il ne devait rien, ou bien par volonté d'enterrer définitivement les restes de ce fragment de lui-même, qu'il avait abandonné en se voyant offrir une seconde chance, quinze années plus tôt ? Ce qui lui faisait peur n'était pas de découvrir la réponse, mais de continuer de l'ignorer malgré lui.
Il se sentait perdu. Égaré, autant dans ces galeries silencieuses et sombres qu'au sein de son propre esprit, à l'intérieur duquel ses valeurs et ses certitudes semblaient se fissurer les unes après les autres, faisant vaciller l'image déjà trouble de celui qu'il avait pensé être devenu.
Une demi-heure de plus passa ainsi, sans qu'il ne puisse contrôler le flux de ses pensées. Il traversa de nombreux embranchements, parfois étrangement ressemblants à ceux qu'il avait déjà emprunté, parfois si sombres qu'il poursuivait tout droit sans même s'apercevoir de leur existence.
La fatigue devait avoir gagné ses membres depuis bien longtemps; il ne les sentait même plus. Mais, sans qu'il ne sache par quel miracle celle-ci ne l'avait pas encore cloué au sol, ses bottes continuaient machinalement de se lever, projetant de larges gerbes d'eau se perdant en vaguelettes invisibles, loin derrière lui.
Le rougegarde se retrouva bientôt face au noir le plus complet. Il continua d'avancer durant plusieurs secondes, puis finit par s'arrêter. Le clapotis de l'eau se dissipa bientôt, le laissant immobile, sans lumière, seul, accompagné par le son de sa respiration rauque. Sans s'en rendre compte à cause de l'obscurité, il avait fermé les yeux. Il tituba lentement jusqu'au bord de la galerie, bercé par les flots, et s'effondra contre le mur, épuisé. Alors qu'il se sentait gagné par le sommeil, il bascula en arrière.
À l'instant où il se sentit tomber, son bras se leva, mû par un réflexe surhumain, et sa main se plaqua sur le rebord de la paroi, le ralentissant juste assez pour que ses jambes aient le temps de fléchir, l'empêchant ainsi de chuter dans l'eau.
Le cœur affolé du rougegarde avait bondit dans sa poitrine comme une bête enragée, le laissant haletant. Son pouls se calma bientôt, lui laissant peu à peu reprendre ses esprits. Soupirant, il rouvrit les yeux, et scruta les ténèbres insondables, droit devant lui.
Impossible de continuer dans cette direction, il le savait. Malgré son état de vague conscience, il savait que, désormais, chaque minute qui passait s'avérait plus dangereuse pour lui que la précédente. Il se sentait lourd. Et fatigué.
Que faisait-il encore ici ? Et quelle heure pouvait-il bien être ? Il avait quitté le repaire des rebelles peu après qu'Azir lui ait annoncé la tombée de la nuit. Le jour s'était-il levé, à présent ?
Brusquement, Aris fut prit du désir pressant de sentir la lumière du jour irradier son visage. Il fit volte-face, prit de panique, et revint précipitamment sur ses pas, afin de rejoindre le puit de lumière le plus proche.
Au bout d'une dizaine de mètres à avancer sans repères, il pu de nouveau distinguer la source lumineuse. Dans les ténèbres, un fin rayon de clarté bleuté filtrait miraculeusement du plafond, révélant les quelques mètres alentours. Il s'approcha, fébrile.
S'immobilisant en dessous de l'ouverture, Aris leva les yeux, et aperçu, au loin, une minuscule fente lumineuse a l'éclat étouffé par une grille. Le passage, bien qu'assez large pour laisser s'y faufiler un homme, n'était muni d'aucun barreau, et se perdait dans les hauteurs vertigineuses du réseau d'évacuation.
Le rougegarde reporta les yeux sur ses environs. Ici, la galerie était divisée en deux niveaux distincts : deux corniches latérales, émergées et assez larges pour y laisser circuler un homme, et une galerie basse quatre à cinq fois plus importante, dans laquelle il pataugeait jusqu'à la mi-cuisse. Se hissant hors de l'eau pour la première fois depuis de longues heures, le rougegarde s'assit sur le rebord afin de calmer sa respiration saccadée. Il se releva bientôt, tâtonna un instant à la recherche de la paroi de la galerie, et se mit à marcher, cette fois décidé à trouver une sortie.
La progression dans les souterrains, bien que n'étant que rarement troublée par la rencontre avec un petit rongeur ou un éboulis, était loin de s'avérer plaisante. En plus de l'odeur écoeurante, à laquelle le rougegarde s'était heureusement légèrement habitué, l'humidité et la résonance dérangeante du moindre son donnait naissance à une atmosphère perturbante. Bien que n'étant pas menacé directement par un ennemi, Aris se surprenait à grimacer chaque fois qu'il heurtait du pied une pierre ou une pièce métallique, comme si chaque petit bruit qu'il provoquait était susceptible de transmettre sa position à un éventuel résident des lieux.
Très vite, Aris dût ôter sa main du mur de peur de se couper sur un objet rouillé. La roche, parsemée de mousse et de tâches noirâtres, semblait couverte de sang à cause de la pénombre, comme si les entrailles de la ville s'étaient teintées de rouge sous la menace du soulèvement de la population. Partout, d'immenses craquelures fragmentaient les parois, en laissant des pans entiers joncher le sol, rongés par l'humidité et la moisissure.
À intervalles réguliers, une attache de fer rouillée demeurait, solidement ancrée dans la roche afin d'y accueillir un flambeau ou une lanterne. Désormais, de larges colonnes de suie s'étendaient sur la paroi, seules traces de l'époque où des patrouilles quotidiennes assuraient encore l'autorité de la garde dans les souterrains de la cité.
Plus le rougegarde avançait, plus la lumière émanant des ouvertures se faisait sombre, prenant périodiquement une teinte rougeâtre. Aris ne mit pas longtemps avant de comprendre que Masser se levait en ce moment même, colorant le ciel tout entier de ses tons sanglants.
«Une nuit de pleine lune, songea Aris. Parfait pour organiser une révolte et détrôner un roi après avoir massacré ses hommes»
Alors qu'il s'aventurait le long de la galerie sans incident depuis quelques minutes, la pierre se déroba soudain sous ses pas. Il chuta brusquement, et eut juste le temps de fermer les yeux avant de plonger dans l'eau. En dépit du choc douloureux qu'il subit en touchant le fond avec son dos, il se releva presque aussitôt, et s'essuya frénétiquement le visage dans une vaine tentative de rester sec. Il se ravisa bientôt, soupira de fatigue, et se retourna, plissant les yeux pour déterminer la cause de sa chute. Il ne tarda pas à la découvrir : a partir d'ici, seule la galerie basse était praticable, et les autres disparaissant brutalement sans la moindre explication. Il devait avoir atteint une zone plus ancienne, où personne n'avait mit les pieds depuis des décennies. Il reprit sa progression sans plus attendre, et s'aventura dans l'obscurité.
Lorsqu'il passa sous l'ouverture suivante, le plafond lui sembla plus bas qu'auparavant, mais il fut incapable de dire si cela était dû à son brusque changement de hauteur, ou si le passage s'était réellement resserré autour de lui. Il laissa bien vite ces délibérations derrière lui. Il devait se hâter.
Le rougegarde tourna à gauche, à droite, puis encore à gauche, et pénétra dans un encore plus étroit que les autres sans même y faire attention, trop occupé à cartographier mentalement la zone dans laquelle il s'aventurait.
Une lueur orangée surgit soudain au loin, aveuglante.
Réagissant immédiatement, Aris se plaqua à la surface de l'eau, les sens soudain en alerte. Suspendant sa respiration, le rougegarde s'immobilisa presque totalement, guettant le moindre mouvement dans son champ de vision. Plusieurs secondes s'écoulèrent. Rien.
Se redressant avec précaution en dépit de la douleur qui avait élu domicile dans ses articulations, le rougegarde s'avança lentement en direction de la source lumineuse, faisant preuve d'une extrême vigilance. Une trentaine de mètres plus loin, le flambeau continuait d'osciller, imperturbable. Aucun bruit, rien que cet éclat chaleureux, sur la paroi de gauche, laissant le reste de la galerie invisible, perdu dans une noirceur insondable.
La surface de l'eau dans laquelle il se déplaçait s'agita alors. Aris, devinant les mouvements ondulant du liquide dans l'obscurité, décida de s'arrêter quelques instants, mais les remous ne cessèrent pas pour autant. Quelqu'un approchait-il ?
Tendant l'oreille avec une prudence redoublée, il voulut dégainer son sabre, mais sa main se referma sur son flanc, avant de se porter sur un fourreau vide. Le rougegarde se souvint alors, avec une frustration à peine dissimulée, que sa précieuse lame reposait probablement à la ceinture d'un rebelle à l'heure actuelle. Il se mit donc en garde à mains nues, de profil, collé au mur pour masquer sa présence, sans toutefois se méprendre sur ses chances de s'en sortir si un homme armé se trouvait quelque part, invisible.
Alors qu'il s'approchait de la torche, le rougegarde perçu un léger son, semblable à celui d'un ruisseau, rendu flou par la distance. Il fronça les sourcils, et tendit lentement le cou sur le côté, dans l'espoir d'identifier l'origine du bruit.
Aris se figea totalement.
Au loin, une autre lueur vacillait lentement, cernée de ténèbres.
Une fois la surprise passée, le voyageur s'avança de nouveau, cette fois un peu plus rapidement, mais toujours sur le qui-vive.
Ses attentes furent confirmées au bout de seulement quelques dizaines de mètres : une troisième torche reposait sur le flanc gauche du passage souterrain, un peu plus loin.
Le rougegarde s'adossa au mur, soulagé. Par chance, personne ne semblait se trouver dans ses environs immédiats. Mais il y avait eût de l'activité récemment dans le coin, cela ne faisait aucun doute. Plus personne ne s'aventurait ici, mis à part les criminels en fuite, les révolutionnaires, et, en ce soir précis, les hommes de Daric. Il préférait éviter tout contact avec autrui avant d'être dehors, mais s'il était découvert, il devrait ruser pour ne pas attirer la méfiance d'un camp comme de l'autre.
Restait à savoir pourquoi l'eau s'était brusquement agitée, là où aucun personnel d'entretien n'avait pénétré depuis des lustres.
Il se remit à avancer, profitant du bruit du fleuve souterrain pour couvrir ses propres pas.
Très vite, le vacarme devint si fort que le rougegarde eut l'impression de marcher le long d'un torrent. Il était à peu près certain de ne pas être passé par ici auparavant, pourtant ce son éveilla quelque chose dans sa mémoire, sans qu'il ne puisse se souvenir précisément de quoi il s'agissait.
Aris continuait de marcher, tournant parfois la tête afin de déterminer la cause du vacarme, lorsque sa provenance se précisa; sous la lumière d'une torche, le courant se dirigeait clairement vers le mur de droite. Il choisit donc de bifurquer dès que possible, mais fut forcé de s'arrêter.
Cette galerie était bien plus large que les autres. Le couloir était aisément quatre ou cinq fois plus spacieux que ceux qu'il avait emprunté jusqu'à présent, et un flot gigantesque d'eau se déversait en son lit, causant un brouhaha insupportable.
Avec une lenteur mesurée, Aris s'accrocha à l'angle du mur, et se laissa couler dans le lit du fleuve pour en estimer la profondeur. Les pointes de ses pieds touchèrent le fond au moment ou son bassin s'immergea. Hésitant, il tenta de déterminer s'il pouvait traverser sans être emporté, puis décida d'avancer malgré le risque. Il n'avait plus la force de faire demi-tour.
L'eau était tiède. Cette constatation surgit dans son esprit alors qu'il avait déjà franchit la moitié du chemin le séparant de l'autre tunnel faisant office de rive. Bien que sachant que la température ambiante des égouts était constante, et donc indépendante de la surface, il sourit à cette nouvelle. Avec un peu de chance, il pouvait espérer rejoindre les étages supérieurs rapidement à condition de remonter le courant.
Il tourna la tête à gauche, et distingua aussitôt une faible lumière, au loin. Une autre torche. Aris hocha pensivement la tête : quel qu'il soit, celui qui avait disposé ces flambeaux semblait savoir où il allait, et comment y aller. Et à moins d'avoir déniché une forêt ou une réserve de bois dans les égouts de la ville, il avait emmené ces torches avec lui en descendant. Sa meilleure option était donc de suivre son chemin, qui, il l'espérait, rejoindrait bientôt celui des vivants.
Les jambes déjà tétanisées par la force du courant, le rougegarde dut accomplir un effort surhumain afin de remonter le cours du fleuve. Au bout d'une centaine de mètres, le niveau de l'eau avait suffisamment baissé pour qu'il puisse reprendre son souffle sans être happé en arrière. Il fit cependant quelques mètres de plus, afin de saisir une torche accrochée au mur. Se maudissant de ne pas avoir prit cette initiative longtemps auparavant, il examina le morceau de bois. La majeure partie du combustible avait brûlé, mais le manche était assez long pour qu'il poursuive quelques temps sans se brûler les doigts.
Alors qu'il s'adossait à la paroi, prenant enfin un repos largement mérité, une forme sombre attira son attention sous la surface de l'eau. Il se pencha, curieux, et y distingua rapidement une dalle de pierre fendue en deux. Se relevant dans un sursaut, il scruta hâtivement le mur opposé, fébrile. Un petit levier de métal y était disposé.
Il se souvenait désormais pourquoi le vacarme du torrent lui avait rappelé quelque chose. Se retournant très lentement, il contempla ce qu'il savait désormais être une trappe. C'était dans l'un de ces gouffres que l'avaient précipité les rebelles quelques heures auparavant, afin d'accélérer le trajet jusqu'à la grotte souterraine inondée où Azir avait établi son repaire.
Et, si l'eau s'était soudainement agitée, c'était parce que quelqu'un venait d'être jeté dans l'une de ces ouvertures, seulement quelques minutes plus tôt.
Repensant au vacarme brusque de l'eau lorsque la trappe s'était ouverte sous lui et à la chute incroyablement longue qu'il avait effectué, privé de sa vue et complètement désorienté, Aris parcouru des yeux l'ouverture séparant les deux battants de la plaque. N'étaient-ils pas déjà un peu plus écartés que quelques secondes auparavant ?
Soudain, sa noyade lui revint en mémoire. Il se revit, plongé dans les ténèbres froides, aveugle, s'enfonçant irrémédiablement sous la surface alors même que ses liens lui mordaient la peau des bras avec avidité sans qu'il ne puisse s'en défaire...
Un long frisson parcouru l'échine du rougegarde, qui se détourna précipitamment du mécanisme. Sans même s'accorder quelques secondes de repos comme il l'avait prévu, il s'éloigna en courant, prit de nausée.
Il ne mit guère longtemps à trouver la sortie. Quelques minutes plus tard, au fond de ce qu'il avait pensé être un cul-de-sac, les barreaux d'une échelle lui apparurent, couverts de rouille et d'algues séchées. Le rougegarde se positionna en dessous de l'ouverture, plein d'appréhension, et aperçut avec un soulagement infini une lueur rouge émaner de l'obscurité, aveuglante de brillance. Quelques mètres. Et il serait dehors.
Avec une précipitation frénétique, Aris se jeta sur les barreaux, et les gravit avec empressement, s'écorchant les mains contre ces derniers. À mesure qu'il s'élevait au milieu de cette colonne de lumière salvatrice, il se sentait gagné par une euphorie incontrôlable, prenant le contrôle de ses membres afin de grimper plus vite, jusqu'au sommet. La plaque lui bloqua le passage; il la souleva d'une seule main, et se jeta au dehors avec une joie d'extatique.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures, et un froid mordant régnait dans les rues de la ville. Se hissant sur la pointe des pieds pour mieux profiter de la douceur de l'air hivernal, Aris prit une longue inspiration, et ferma les yeux.
Il les rouvrit bientôt, afin de s'assurer que personne n'avait aperçu son arrivée, et contempla l'allée déserte avec intérêt. Il ne connaissait pas ce coin de la ville. Reportant ses yeux sur le trou béant creusé sans le sol, il s'approcha de la dalle pour la repositionner. La plaque lui sembla peser des tonnes, et il dut se courber douloureusement pour la faire retrouver sa place initiale. Il prit soudain conscience de sa fatigue, et s'assit à même le sol, au beau milieu de la rue, épuisé.
Le ciel était magnifique. À travers la voûte ombragée des nuages, une immense aurore boréale s'étendait à l'horizon. Au rythme de son ascension, la vague scintillante se teintait du rouge rubis de Masser, faisant pleuvoir des rayons de toutes les teintes à travers les brèches sanglantes déchirant les cieux voilés.
Très vite, Aris du abandonner la contemplation du spectacle nocturne, rattrapé par le sommeil et le froid. Se remettant sur pied, déjà grelottant, il leva les yeux dans l'espoir d'apercevoir le palais du roi afin de s'orienter en conséquence. Ce dernier se découvrit brusquement au détour d'un bâtiment, énorme. Il n'était qu'à quelques pâtés de maisons, couvrant tout un pan du panorama nocturne sur sa droite.
Le rougegarde hocha la tête. Il se trouvait au beau milieu du quartier des artisants, situé à l'Est de la ville. S'il prenait la direction du Sud, il pourrait rejoindre le quartier de la Fontaine en une vingtaine de minutes. Mieux valait se hâter.
Aria se mit a marcher, se frottant vigoureusement les épaules pour se protéger du givre. Ses bottes et son pantalon de toile, imprégnés par l'eau des souterrains, semblaient vouloir capter le froid de chaque courant d'air afin de le punir, lui engourdissant les jambes au point de lui faire mal malgré son allure soutenue.
Autour de lui, les bâtiments étaient plus imposants que ceux du quartier marchand et plus propres que les taudis des zones défavorisées, sans pour autant s'encombrer des fioritures qui couvraient les façades des résidences les plus aisées. Ici, les murs étaient faits de grès ou de briques, et les toits de tuiles rouges ou noires contrastaient agréablement avec ceux de pierre dont étaient faites les habitations ailleurs en ville. À presque chaque fenêtre reposait une épée, un tas de sculptures, un tableau ou même quelques fleurs, créant l'ambiance chaleureuse dans laquelle les artistes et les forgerons les plus modestes se levaient à l'aube et rentraient chez eux une fois le soleil couché. Les rues, bien que désertes, étaient encore encombrées de tonneaux, de charrues ou d'échelles, comme si tout ce beau monde ne s'était figé à la tombée de la nuit que pour repartir de plus belle le lendemain.
«Il doit faire bon vivre ici», songea Aris avec une pointe d'amertume.
Lui ne connaîtrait jamais ni les difficultés, ni les plaisirs de ceux qui s'installent quelque part pour y fonder une famille. Eux n'étaient pas contraints de vagabonder à travers le monde pour accomplir leur sainte mission, à risquer leur vie à chaque tournant et à souffrir de leurs décision chaque jour, ni condamnés à être hantés chaque nuit par le souvenir douloureux de leurs amis tombés, dont les visages étaient déjà à demi effacés par le temps.
Un jour, peut-être qu'il pourrait s'installer quelque part dans les forêts de Cyrodiil, construire un cabanon au sommet d'une colline, observer chaque matin le lever du soleil et partager chaque soir une bière au coin du feu en compagnie des aventuriers passant dans la région. Peut-être même trouverait-il une femme qui accepterait d'être la mère de ses enfants.
Le regard du rougegarde se teinta de tristesse alors qu'il pénétrait dans un quartier plus pauvre de la ville.
Non, il n'aurait pas d'enfants. Il serait sans doute mort avant, ou bien il deviendrait trop vieux avant même d'avoir pu commencer à vivre comme il l'entendait.
La démarche hésitante d'un vieillard titubant se découpa contre la facade d'une maison effondrée, faisant sursauter le voyageur. Ce dernier observa le vieil homme le dépasser sans un regard, et disparaître au tournant suivant. Aris fut tenté de laisser son esprit dériver de nouveau, mais se ravisa : il n'avait pas le temps de penser à ces choses-là.
Le reste du trajet se déroula sans qu'il ne croise qui que ce soit d'autre, mis à part un groupe d'adolescents ivres morts qu'il évita soigneusement en prenant un petit détour.
Il atteignit la place de la Fontaine au moment où les premiers flocons se mettaient à tomber. Sans se perdre dans la contemplation du ciel, il se faufila entre les façades rongées par les racines et la mousse, et s'arrêta devant une vieille taverne, de laquelle il poussa la porte avec lenteur.
L'intérieur était aussi repoussant que la première fois qu'il avait découvert les lieux, une dizaine de jours plus tôt. La planque que Daric lui avait octroyé était dans un état suffisamment alarmant pour que même les sans-abri évitent d'y passer la nuit de peur que le toit ne s'écroule sur eux. De plus, l'endroit avait sale réputation : on racontait que le spectre du tenancier de l'auberge errait encore dans les couloirs de son établissement, cherchant à se venger de ceux qui l'y avaient assassiné, des années auparavant.
Malgré le fait que la rumeur ait probablement été colportée par les espions du roi afin d'éloigner tout nuisible de leur propriété, les murs gouttant d'humidité et l'odeur infecte qui régnait était loin de correspondre à l'image qu'il s'était fait de la sûreté. Partant d'un petit rire nerveux, il secoua la tête haussant les épaules d'un air indifférent. Il ne devait guère avoir meilleure allure que cette vieille batisse croulante, et peu lui importait où il passait la nuit, du moment qu'il s'y savait à l'abri du vol et des regards indiscrets.
Son rire se mua bien vite en une quinte de toux assoiffée, le forçant à se plier en deux sous l'effet de la douleur.
Aris se dirigea vers le comptoir, sur lequel il s'écroula maladroitement avant de basculer de l'autre côté. Ses mains tâtonnèrent dans la pâle clarté qui baignait la pièce, à la recherche des bouteilles qu'il avait entreposé. Il devait boire quelque chose. Et vite.
Il saisit une petite gourde de rhum, allongé sur le plancher, et la porta maladroitement à ses lèvres. L'alcool lui brûla la gorge comme si les parois de celle-ci avaient été couvertes de plaies. Il vida cependant la fiasque d'une traite, puis la laissa nonchalamment tomber sur le sol poussiéreux, sur lequel il demeura un moment allongé.
À l'étage, le plancher craqua. Aris se redressa, hagard, la barbe encore dégoulinante de rhum. Quelqu'un était ici. Le rougegarde saisit une bouteille de verre posée sur le comptoir, et se dirigea aussi silencieusement que possible en direction de l'escalier menant à l'étage supérieur. Quel que soit l'homme présent dans l'auberge, et quelles que soient ses intentions, il ne pouvait pas prendre le risque de le laisser déambuler librement. Il devait impérativement trouver un peu de sommeil, et dormir en la présence d'un individu tapi dans l'ombre ne l'inspirait pas.
Les doigts du rougegarde se serrèrent convulsivement autour de la bouteille alors qu'il arrivait au sommet des marches. Un détail dérangeant attira son attention, bien plus tard qu'il ne l'aurait dû : une lanterne allumée était accrochée à l'encadrement d'une porte, diffusant une lueur jaunâtre dans un faible périmètre. Ce quelqu'un avait visiblement l'intention de passer la nuit ici.
La marche à suivre n'avait rien de bien compliqué : trouver cet intrus, le mettre hors d'état de nuire, l'attacher solidement —un pied de lit ferait sans doute l'affaire—, et s'étaler sur un matelas jusqu'au petit matin. Les questions attendraient bien jusqu'au lendemain, et, s'il s'agissait d'un habitant doté de bonnes intentions, quelques excuses suffiraient amplement.
Le couloir du premier niveau était plongé dans la pénombre; Aris avait déjà rencontré cette organisation architecturale des dizaines de fois : un long corridor sombre bordé de portes, se poursuivant jusqu'à un mur abrupt, là où s'était autrefois trouvé l'accès au toit de la bâtisse. Dans son dos, la cage d'escalier vibra d'un courant d'air glacial. Une fenêtre devait s'être ouverte à l'étage. À moins que...
- Tu comptes mettre le reste de la nuit à retrouver ta chambre ?
Aris pivota brusquement, et abattit son arme improvisée de toutes ses forces sur l'ombre qui s'était glissée derrière lui.
Étonnamment, le verre ne vola pas en éclat. Juste le silence. Le rougegarde mit plusieurs secondes avant de réaliser que la silhouette avait saisit son poignet, l'empêchant de lui fracasser sa bouteille contre le crâne.
- Et bien ? reprit la voix. Tu as bu au point de ne plus reconnaître ton vieil ami ?
- Je... Dakin ? balbutia Aris en reconnaissant le timbre du Dunmer. Que... Qu'est-ce que tu fais ici ?
L'elfe soupira.
- Tu as toujours l'intention de briser cette bouteille contre mon visage, ou je peux lâcher ton bras ?
Le rougegarde secoua la tête et s'excusa d'un geste silencieux, puis sentit l'étreinte de son camarade se desserrer, et déposa l'objet au sol.
- Vas dormir, lui dit l'elfe noir d'un geste du menton avant d'emprunter l'escalier pour descendre.
- Mais...
- Va dormir, répéta son camarade en insistant sur chaque syllabe.
Aris acquiesca et se dirigea vers une chambre, mais s'arrêta au bout de quelques pas.
- Dakin... commenca-t-il, hésitant.
L'intéressé passa sa tête à l'angle de la cage d'escalier.
- J'ai... Depuis l'autre jour, je...
- Je sais ce que tu as fait, le coupa le Dunmer d'une voix dure. Mais je préfère en discuter avec un homme sobre plutôt qu'avec un somnambule encore abruti par la quantité déraisonnable de bière qu'il a ingurgité au cours de la journée.
Le rougegarde déglutit et hocha docilement la tête. Dajin avait raison. Comme toujours. Le voyageur épuisé toussa, s'essuya le menton, et pénétra dans sa chambre avant de refermer la porte.
Il se dirigea vers son lit sans se préoccuper de l'obscurité environnante, s'écroula dessus comme une masse, et sombra en quelques secondes dans les profondeurs d'un sommeil agité. Le temps des explications était venu, et il le savait pertinemment.
J'étais de bonne humeur
Enfin !
Bon chapitre.
Sympathique chapitre, même si j'ai trouvé le moment dans les égouts un peu longuet haha, mais par contre les descriptions étaient vraiment bien faites
Le 25 avril 2017 à 00:05:49 DaLiar a écrit :
Sympathique chapitre, même si j'ai trouvé le moment dans les égouts un peu longuet haha, mais par contre les descriptions étaient vraiment bien faites
Critique enregistrée
Le prochain chapitre ne tardera pas trop.
y a interet
Yo ! C'est EsZ' (je suis ban 1mois), j'ai recommencer ta fic avant hier et vient de la terminer, ça fait du bien
Bon je voudrais juste te dire deux choses par rapport au chapitre 49 (page 17).
La première est que ta description de la peur s'accorde parfaitement avec la musique (que je n'avais pas écoutée la dernière fois car j'avais lu sur tel), et ce passage mêlé à cette musique est tout bonnement parfait, il est beau, et, lu avec un ton mélancolique, il parvient à surpasser presque toutes les émotions que l'ont pourrait ressentir dans d'autres oeuvres.
La même pour le passage avec Rurick, ca s'accorde parfaitement avec la musique, et ce passage m'a fait lâché une larme.
Sweet ?
Merci merci, ca fait toujours plaisir de recevoir ce genre de commentaires
Je suis en train d'écrire la suite, n'hésites pas à me dire en MP si tu trouves des incohérences ou si tu as des questions concernant certains chapitres que tu as vu
Sweet ?