Pour tous ceux ayant joué au chef d'œuvre qu'est la saga Bioshock, vous vous souvenez sans doute du dilemme de la Cage et de l'Oiseau où il faut faire un choix entre deux faces d'un même pendentif. Ce choix est bien sûr symbolique et s'inscrit d'abord dans la narration du troisième opus : libère-t-on ou capture-t-on Elizabeth ? Mais il va loin, beaucoup plus loin que ça.
Bioshock, c'est avant tout l'illustration de modèles socio-économiques particuliers et, bien qu'embellis et romancés au travers du prisme du fantastique et de la science fiction, ne sont pas si éloignés d'un futur, voire d'un présent hypothétique. Nous nous voyons proposés alors deux villes, deux modèles, deux utopies que sont Rapture et Columbia. Chacune par leur complexité et leur subtilité sont deux modèles bien différents, la première, ville sous-marine coupée du monde, a été fondée par un riche Homme d'Affaire assoiffé de libertés d'entreprendre et désireux de voir émerger, mais sous l'eau (le comble), une société nouvelle. De l'autre, une ville aérienne, symbolique de l'exceptionnalism Américain régit par un seul Homme qualifié par ses habitants de "prophète".
Il est alors aisé, de par leur nature, de comparer ces deux villes au choix délicat de la cage et de l'oiseau, et l'esprit commun qui s'attache et adore effectuer des raccourcis de pensée, assimilera l'oiseau à Columbia et la cage à Rapture. Et chacun rivalisera de clichés en affirmant que le choix de l'oiseau est le mieux, le plus juste et le plus naturel, parce que "la liberté, c'est mieux que l'aliénation". Mais c'est là que le génie de Bioshock s'illustre, car son thème général sous-jacent est celui de la liberté et ses limites inhérentes à sa définition même.
Ainsi, il s'agit d'interroger l'œuvre et de l'aborder dans le bon sens, car Columbia serait plutôt adaptée à l'allégorie de la cage. La ville est sous l'emprise d'un despote, chassant littéralement la Vox Populi (la voix du peuple, la démocratie donc), mais n'est pas dépeinte comme une dystopie affreuse où règne la crainte et la terreur. Les habitants sont polis et courtois et le développement de la ville peut apparaitre d'un premier abord prospère. A son strict opposé, Rapture, elle plutôt assimilable à l'allégorie de l'oiseau, la ville est sous l'emprise du libéralisme à son aspect le plus pur : les habitants sont soumis aux seules lois régaliennes et à la règle naturelle du Darwinisme Social. Notre première arrivée se fait alors dans un royaume déchu où l'anarchisme semble avoir pris le dessus, les habitants littéralement défigurés par ce modèle de liberté.
Mais c'est là que l'image est très artistique et tragique, car le modèle despotique presque de Columbia se fait dans les airs, dans une ville volante, symbole même de la liberté (qui lui a permis d'aller jusqu'en Chine). Ainsi la société dépeinte comme aliénante Américaine a permis d'accomplir des choses prodigieuses mais à quel prix ? Il s'agit de rappeler qu'avant tout, la ville de Columbia est une arme de destruction massive qui sert les desseins de l'Empire Américain, et que c'est uniquement dans son désir de se libérer de l'emprise Américaine pour son indépendance, que les habitants ont du céder la responsabilité de la gouvernance à un seul Homme, ou un seul groupe.
Rapture, de son côté, pour offrir la liberté à son peuple, a du se cacher, s'immerger au fond des abysses pour développer son modèle à l'abri des regards des deux superpuissances s'affrontant alors : le modèle Soviétique et le modèle libéral Américain. Ainsi, le modèle de liberté d'Andrew Ryan n'a pu se faire que dans une cage, un biome sous les mers, où les Hommes sont libres de leur mouvement, mais dans la limite spatiale de la cité sous-marine.
Ainsi le véritable dilemme de Bioshock Infinite de la Cage et l'Oiseau est le suivant : où peut-on trouver la véritable liberté ? A l'extérieur de la cage ? où règne l'insécurité et où nous sommes soumis aux caprices et intérêts d'autres entités qui ont chacun leur propre conception de la société (nous sommes libres, mais soumis aux dérives d'autrui), où alors en son sein, car la cage propose de la sécurité et borne les libertés, mais la stabilité proposée et son isolement peut amener de nouveaux problèmes. La question est complexe et semble insoluble, mais la beauté de l'œuvre que constitue Bioshock est qu'il pose les bonnes questions, avec élégance.
Merci de m'avoir lu