La saucisse de porc luisante se roulant sans retenue dans l’andalouse. Le pilon de poulet à la peau croustillante se trémoussant dans la samouraï. Les bons gros carrés de bœuf mêlant leur sang à la cocktail. Le burger végé s’acoquinant avec la brasil. Et la salade iceberg se noyant dans des trombes de mayonnaise citronnée… Avec le retour des barbecues ensoleillés, nos papilles s’accouplent comme jamais avec les sauces émulsionnées.
Mais entre les Belges et la bande des mayos, en vérité, ce sont les feux de l’amour toute l’année. C’est une évidence sur laquelle Marc Mondus, consultant au bureau d’études de marché GfK, colle des chiffres : « 92 % des ménages achètent des sauces. Et chaque ménage achète en moyenne 14 unités de sauce par an, à raison de quatre variétés différentes. » Car du choix, il y en a ! « Le marché compte en effet plus de 350 marques, nationales et locales, et plus de 300 variétés différentes. Il y a peu de rayons aussi étendus et variés que celui des sauces froides. »
Pourquoi tant d’amour pour la belle mayonnaise ? Et pourquoi a-t-elle accouché d’autant de déclinaisons ? Parce que le Belge est né non pas avec une cuillère d’argent mais avec des frites dans la bouche, baigné dans la culture de la friterie et de ses pistons à sauces grasses multicolores. Avec des spécificités locales… Chaque ville, chaque village, chaque quartier, chaque famille a son petit faible pour une sauce au goût particulier, du piquant au sucré. Et à la texture singulière, de la plus crémeuse à plus croquante. Ici, la chérie se nommera tartare avec ses câpres. Là, on adulera plutôt la mayo parfumée à la truffe. « S’il y a autant de variantes, c’est parce que le Belge vit au carrefour des cultures méditerranéenne et nordique. Puis, il se montre curieux, toujours prêt à essayer de nouveaux goûts », explique David Marquenie, secrétaire général de Culinaria Belgium.
La force du gras local
Cette histoire d’amour et de culture, c’est aussi une question d’affaires, avec ses gros bras comme Devos « à taaaaable ! » Lemmens, La William, Heinz et Calvé. Puis une constellation de marques plus discrètes, plus locales, plus qualitatives, au parcours long ou à l’histoire toute fraîche. Prenez Natura. Née à Forest en 1939, elle a misé d’emblée sur les ingrédients les plus… naturels : de l’huile de tournesol, du vinaigre, du jaune d’œuf. Et sur une méthode artisanale aussi, avec des batteurs de boulangerie, toujours en activité aujourd’hui mais délocalisés à Tubize en 2014. « Nous produisons deux tonnes par jour, quand nos concurrents industriels montent jusqu’à 10 tonnes en 5 minutes », sourit Arthus de Bousies, patron de l’entreprise qui a avalé la moutarderie Bister l’an dernier. La force de cette marque, surtout en ces temps de crise sanitaire, tient en un mot : local.
Il en va de même pour la jeune et tendance Brussels Ketjep, lancée en 2013 dans l’horeca par Sylvain Bologne. « J’ai commencé grâce aux restos, puis j’ai trouvé une diffusion en magasin », explique l’entrepreneur bruxellois dont le fleuron est la Dallas, inspirée par le film culte belgo-belge Dikkenek. « Mais, avec mon équipe de 20 personnes, nous restons petits, en évoluant sainement, sans crowdfunding, sans investisseur. » Le capital du capitaine ? « Le capital sympathie ! »
Source nº1 d’oméga-3
C’est ça la sauce belge : un produit qui inspire de l’affection et qui offre du plaisir. Puis du gras aussi, beaucoup de gras, ce que les fabricants assument, tout en plaidant : pas question de vider un pot par jour. Mais mollo quand même, lance Nicolas Guggenbühl, diététicien nutritionniste sans vouloir jouer au rabat-joie… « La mayonnaise est 50 % plus calorique que le chocolat. C’est un produit gras qu’il faut limiter à une cuillère à soupe, soit 25 g, par jour. Et en s’abstenant d’en consommer quotidiennement. » Toutefois, vous, les amateurs d’andalouse, de samouraï, de cocktail, de tartare et autres compagnons du barbecue, consolez-vous en apprenant ceci : vu de leur succès fou au royaume des frites, les sauces constituent la première source d’oméga-3 des Belges. N’en faites quand même pas tout un plat.
Météo et confinement dopent les ventes
J.Bo.
Les sauces émulsionnées connaissent une croissance en volume continue de 2 à 3 % par an, indique Culinaria Belgium. Mais 2020 pourrait leur faire atteindre des sommets historiques. « Les ventes de sauces sont en train de battre des records », annonce en effet Marc Mondus du bureau GfK. « D’une part, le confinement a poussé les Belges à prendre davantage de repas à la maison, ce qui a entraîné une croissance de la plupart des produits alimentaires de 15 à 20 % par rapport à l’an passé. D’autre part, la météo estivale que nous connaissons depuis plusieurs semaines renforce un peu plus la consommation. Le cumul de ces deux phénomènes fait que le rayon des sauces enregistre en avril et mai une croissance de 26 %. » Du lourd !