J´arrivais au monde, le sourire sur les lèvres et l´amour dans le coeur. Je tendais la main à la foule, ignorant le mal, me sentant digne d´aimer et d´être aimé; je cherchais partout des amis. Sans orgueil comme sans humilité, je m´adressais à tous, ne voyant passer autour de moi ni supérieur ni inférieur. Dérision! on me jeta à la figure des sarcasmes, des mépris: j´entendis autour de moi murmurer des surnoms odieux, je vis la foule s´éloigner et me montrer au doigt (3). Je pliai la tête quelque temps, me demandant quel crime j´avais pu commettre, moi si jeune, moi dont l´âme était si aimante. Mais lorsque je connus mieux le monde, lorsque j´eus jeté un regard plus posé sur mes calomniateurs, lorsque j´eus vu à quelle lie j´avais affaire, vive Dieu! je relevai le front et une immense fierté me vint au coeur. Je me reconnus grand à côté des nains qui s´agitaient autour de moi: je vis combien mesquines étaient leurs idées, combien sot était leur personnage: et, frémissant d´aise, je pris pour dieux l´orgueil et le mépris. Moi qui aurais pu me disculper, je ne voulus pas descendre jusque-là: je conçus un autre projet: les écraser sous ma supériorité et les faire ronger par ce serpent qu´on nomme l´envie. Je m´adressai à la poésie, cette divine consolation: et si Dieu me garde un nom, c´est avec volupté que je leur jetterai à mon tour ce nom à la face comme un sublime démenti de leurs sots mépris.