Chapitre 5 : Loin d'ici...
— Elle est ici !!
Adossé aux pieds d’un carton, la photographie que Julia cherchait désespérément. Elle s’empressa de saisir l’objet précieux, et y contempla chaque recoin. Ses lèvres formèrent alors un grand sourire capable, presque, d’illuminer notre petit salon. Ce que je venais de lui raconter me laissait un goût amer. En y réfléchissant, les institutions de cette ville avaient, vraiment, essayé d’avoir ma peau.
Avec entrain, Julia s’avança vers le mur où se trouvait l’un de nos tableaux. Celui-ci, en particulier, était un montage d’images qu’elle avait réussi à capturer, au fil de notre relation. Elle y accrocha sa nouvelle trouvaille, avant de reprendre ses aises sur le canapé.
— Tu as l’air fatigué.
— Oui. Je crois que c’est les cartons qui me font tourner la tête !
— Et peut-être le vin que tu as acheté, non ?
Elle bougea la tête de droite à gauche, lentement, avant d’éclater de rire un court instant. Elle revint vers moi en s’excusant d’avoir coupé la conversation, puis m’interrogea sur le fait que je ne buvais que très peu du vin qu’elle m’avait servi. Évitant de lui dire la vérité sur son ignoble boisson, je ne répondis pas. Très mauvaise idée. Julia saisit la bouteille et déversa ses dernières gouttes, à mon grand désespoir. « Il faut finir ! ». Soit. Je soupirai.
Il fallait que je trouve un moyen de ne plus subir ce calvaire. « Vite, réfléchis… Ah oui ! JE SAIS ! », me dis-je précipitamment.
— Vu que tu es exténuée, Julia, nous continuerons de déballer les cartons demain.
— Mais tu me racontais...
— Je continuerai à l’occasion, ne t’inquiète pas.
Julia hésita d’abord, puis commença à marcher vers la chambre à coucher. Remarquant que je ne la suivais pas, elle m’adressa l’un de ses regards interrogateurs. Je pointai alors le doigt vers le verre, la laissant supposer que je devais encore le finir. Et, dans la pénombre du salon, il ne resta que ce dernier verre de rouge. Je le déversai dans l’évier, situé sous la fenêtre. Les yeux rivés sur un ciel nocturne, je m’attardai un instant. J’observai cet astre argenté, abandonné dans sa splendeur. Ses lueurs ricochèrent doucement sur le verre de vin, tout juste vidé de son contenu. Seul témoin de mon crime, il resta figé dans l’obscurité, avant de laisser des nuages, opportunistes, dérober les derniers éclats de la nuit.
Je tournai la tête vers le canapé, là où Julia avait laissé ma vieille photo de famille. J’y repensai. Cette image avait été prise quelques semaines après cet entretien scolaire abominable. Ensuite… Le départ en Allemagne, ou plutôt, l’inconnu. Je me souvins alors de notre voyage, de l’ennui et surtout, du temps. Il pleuvait…
Dans la voiture, je suivais du regard les petites gouttes de pluie. Elles virevoltaient sur le pare-brise puis, se multipliaient en sillons, s’évitant d’abord, avant de s’entrechoquer. J’en étais réduit à les observer, sur cette route interminable.
Nous nous dirigions vers une ville du sud de l’Allemagne. C’était là, que m’attendait la famille d’accueil soigneusement sélectionnée par ma mère. Six. Longues. Semaines. C’était tout ce qu’elle avait pu me faire comprendre. Je n’en croyais pas mes yeux. Moi. En Allemagne. Quelle idée ! J’étais si loin d’être capable de prononcer, ne serait-ce qu’une seule phrase correctement. Alors, dans ce cas, autant ne rien dire. Attendre que cela passe. Ce foutu voyage… Et dire qu’il fut un temps, où je pensais que tout irait mieux.
Les pneus grincèrent lentement. Nous y étions. Autour de nous, des maisons à l’ossature de bois, respirant le conservatisme et le pittoresque. Une petite ville allemande, que l’on voyait généralement dans les reportages télévisés. Les rues étroites rejoignaient de multiples petites places et, transperçant la cité de toute part, un fleuve, sinueux. Nous traversions les magasins locaux et les passants à peine souriants, dans une cité qui semblait avoir lutté corps et âme contre la modernité.
Ma mère s’empressa de m’engouffrer dans ses entrailles. Elle m’expliqua en détail toute son histoire (oui, elle s’était renseignée), et tenta même de me faire comprendre « la chance de se retrouver ici ».
Pour corroborer ses propos, elle nous arrêta aux abords d’une terrasse, le temps d’une courte pause près du fleuve. J’aperçus, en son milieu, une petite île, où dormaient des dizaines de jeunes Allemands qui devaient, sûrement, mal encaisser une soirée de la veille. Un serveur s’approcha de nous, en me demandant ce que je voulais boire. Je commençai alors une phrase en français, avant de me faire interrompre.
— Florian, tu es en Allemagne maintenant ! Tu dois donc commander en allemand.
Elle m’agaçait. Je réitérai ma demande, devant un serveur abasourdi.
— Heu… Coca ? Co-ca !?
Il resta silencieux quelques secondes, en me regardant fixement. Sa bouche, d’abord horizontale, forma soudain un grand sourire et c’est enthousiaste qu’il s’empressa d’aller chercher nos commandes.
— Les gens sont étranges ici maman…
— Mais non, pas du tout mon fils. Arrête un peu de te plaindre !
Il revint vers nous et, précipité, me servit une immense chope, remplie du soda que j’avais demandé. Qu’est-ce que c’était que ça ? Le serveur s’en alla. Je regardai le petit sirop à la menthe de ma mère, sans rien comprendre.
— C’est ça, l’Allemagne ? Tu demandes un coca et on t’apporte de quoi hydrater la moitié de la population mondiale ?
— Je t’ai dit d’arrêter de te plaindre Florian !
Autant l’avouer tout de suite, je ne réussis pas à terminer ce « verre ». Après cela, nous rentrions dans la voiture à nouveau. C’était à l’intérieur, une fois les portières verrouillées, que ma mère m’annonça notre destination finale. À trente minutes d’ici, un petit village bordant une immense forêt. C’est tout. Ma famille d’accueil avait réussi l’exploit de vivre dans une région plus campagnarde que la mienne ! Mais pourquoi donc avoir préféré cette famille précisément ? J’imaginai ma mère, choisir l’endroit sur une liste, en se faisant la réflexion suivante « Je vais éviter de dépayser mon fils. Il habitera dans une région rurale, comme à la maison ! ». Oui, voilà, c’était sûrement ça.
J’observai mon environnement avec dégoût. Toutes ces fermes. Tous ces champs. Un vrai cauchemar. Pourtant, c’était ici qu’elle décida d’arrêter la voiture. Précisément, devant une ferme, accompagnée de son petit jardin et d’une cour intérieure. Nos pieds foulèrent le gravier, et nous fîmes quelques pas, jusqu’à s’immobiliser devant la porte d’entrée. À mon grand désespoir, je suivis du regard son doigt, s’appuyant sur la sonnette. Impossible qu’elle me laisse ici. Non. Je pouvais encore faire marche arrière. Ce séjour, il fallait l’annuler ! Que ferait-elle, si je ne parlais pas allemand ? Que ferait-elle, si je ne me rendais pas à ces cours intensifs ? Que ferait-elle, si je ne sortais pas ? Si je ne faisais rien, tout simplement ? Oui ! C’était cela, la solutio…
— Applique-toi durant ces six semaines Florian, c’est avec tes économies que ce séjour a été payé après tout.
— QUOI !?
— Nous n’avions pas les moyens de faire autrement !
Je serrai les poings. Elle avait osé utiliser mon argent, pour une connerie pareille. C’était enragé, que je m’apprêtai à déverser, dans un cri, toute ma haine. Mais la porte, s’ouvrant alors, m’en dissuada. Un quinquagénaire se tenait devant nous. Il portait une salopette avec des bretelles brunes, qui lui donnait un air de grand ourson. Sa moustache jouait avec le grand sourire – un peu niais - qu’il nous adressait. Ma mère et cet inconnu se mirent à discuter en allemand, pendant que nous entrions dans sa ferme. À l’intérieur, je distinguai quelques photos sur les murs, pour la plupart, des agriculteurs posant fièrement devant des champs, le tout en noir et blanc. Et je m’évadai. Encore. M’imaginant dans une autre réalité. Loin d’ici. Ma mère s’arrêta de parler avec le quinquagénaire et se mit à lui serrer la main. Elle se tourna ensuite vers moi, en lançant, la voix crispée :
— Bon, Florian…
Je la regardai avec étonnement, la laissant m’enlacer dans ses bras, sans y croire encore vraiment.
Mais, quelques secondes plus tard, je n’entendis plus que le moteur de sa voiture vrombir au loin, sur la seule route du village. Elle était partie. Me faisant difficilement une raison, je tournai la tête vers le propriétaire. Il s’avança, la mine grave. Je ne dis rien. Il tendit sa paume vers moi. Et, alors que je m’apprêtai à le saluer, il me lança avec entrain :
— Ich heisse Friedrich !
Cela voulait dire qu’il s’appelait Friedrich. Quel prénom. J’essayai de lui répondre, avec difficulté.
— Ich…… heisse…….. Florian.
— Oh !? FLORIANE ?
— Heu… non non, Flo…..riAN
— Flo….rrrrian !!!
N’ayant pas le courage de le corriger davantage, je le laissai me parler très longuement en allemand. Inutile d’expliquer, évidemment, ce que j’en comprenais en hochant la tête. Il fit une pause, puis de grands signes pour que je le suive. Je m’exécutai. Nous visitions l’appartement de Friedrich. Cette ferme était composée de trois étages, distincts, appartenant chacun à un membre de la famille. Chaque porte, rongée par le temps, s’ouvrait en grinçant. L’une d’elles, menait à un placard à chaussure qui, une fois ouvert, nous laissait profiter d’effluves cumulés de pieds transpirants. Comme conseillé par Friedrich, mes baskets rejoignirent leurs pairs. Un peu dégoûté, je continuai de le suivre, jusqu’à la cuisine. C’était l’une des pièces principales de la ferme. Bien que classique, elle dévoilait toute la forêt à l’extérieur, donnant le sentiment d’être en pleine nature, loin de tout. La bulle de Friedrich, en somme.
Ce « père d’accueil » m’expliqua les règles de la maison à l’aide d’un petit papier, contenant les horaires de bus et les heures de repas. Il me confia aussi la clé de la ferme, en m’informant, solennellement, devoir le prévenir si je rentrais après 19h00. Mais que ferais-je jusqu’à 19h00 en Allemagne ? Pensai-je, dubitatif.
Et soudain, l’espoir. Je pus déceler, à ma droite, une petite pièce, avec un meuble, où dormait un clavier d’ordinateur. Le Graal ! Peut-être que ces six semaines allaient se passer plus vite que je ne le pensais finalement. Je sautai sur l’occasion :
— PC ? Heu… Internet ? Heu…
Il me regarda, puis haussa les sourcils, avant de s’écrier :
— COMPUTER ?????
Je risquai de hocher la tête à nouveau. Celui-ci me prit par le bras, pour m’emmener devant l’appareil. Il me montra ensuite, fièrement, un ordinateur poussiéreux. En me concentrant de toutes mes forces, j’essayai de le comprendre. Il m’expliqua avoir acheté cet ordinateur à sa fille, afin qu’elle puisse faire quelques exposés scolaires. Maintenant qu’elle avait grandi, la machine n’intéressait plus personne, surtout depuis qu’ils n’avaient plus Internet. En revanche, si je voulais l’utiliser, il n’y avait pas de soucis. Mais bien sûr, Friedrich…
J’entendis des pas derrière nous. En me retournant, j’aperçus le reste de la famille d’accueil. Sa femme se présenta à moi, ainsi que sa fille. Je me rappelai des paroles de ma mère, m’aidant ainsi à comprendre leur charabia. Le père journaliste. La fille, qui fait des études de médecine. La femme de Friedrich, qui s’occupe de la maison. Extasiée par ma présence, la femme de Friedrich me servit un verre de jus de pomme. Ils se tenaient ensuite là, tous les trois, en scrutant ma façon de goûter leur boisson. Et, lorsque mes lèvres touchèrent le liquide, je sus dans l’instant que le finir serait difficile. Ce n’était pas un jus de pomme comme les autres. Elle avait ajouté du gaz à l’intérieur ! Du…Jus de pomme…Gazéifié !! Je fronçai les sourcils. Comment disait-on « QUAND AS-TU PENSÉ QUE C’ÉTAIT UNE BONNE IDÉE DE METTRE DU GAZ DANS DU JUS DE POMME ! » en allemand ? Je ne le savais pas, malheureusement. Bon sang, quel était leur problème à ces Allemands. Entre l’immense chope de coca et maintenant cela, j’avais peur pour la suite.
D’un air bienveillant, Friedrich me guida vers le dernier endroit visitable, à savoir, ma chambre d’accueil. Je m’aventurai donc dans la pièce, composée d’un lit simple, un petit bureau, une armoire et… C’est tout. Il continua de me parler en allemand, sans que je ne comprenne quoi que ce soit. Puis, ferma la porte derrière lui, me laissant seul dans ma nouvelle cellule.
Je déposai le bout de papier qu’il m’avait donné sur le bureau, sans y prêter plus d’attention. Les horaires de bus, de cours, ou quoi que ce soit d’autres ici ne m’intéressaient pas. Je saisis ma valise, pour la jeter sur le lit. Lentement, je l’ouvris, découvrant ainsi son contenu. C’était sans grande conviction que je l’avais préparé. Toutes mes affaires avaient été placées de façon hasardeuse à l’intérieur et, remarquant mes habits froissés, je regrettai soudain ma nonchalance maladive. J’y trouvai, également, une enveloppe, accompagnée d’un « À dépenser judicieusement » sur sa face avant. À l’intérieur, 800€. Tiens, mon argent, j’avais presque oublié.
Je me laissai tomber sur le lit, en soupirant. Qu’est-ce que je faisais ici, seul et entouré d’inconnus ? Ah oui, il y avait aussi cette classe que je devais rencontrer demain. J’imaginais déjà le scénario se reproduire. La cour « des perdus ». Avoir un style, obligatoirement. Les castes. Les moqueries. Subir, subir, subir. Toujours. Encore. À chaque fois. Rah ! Je relevai la tête. Personne ne me connaît ici, songeai-je alors. Comment pourraient-ils savoir ce qu’il m’était arrivé ? Mon état d’esprit ? Demain allait être une longue journée, mais je pouvais faire en sorte d’être discret. Je pouvais être… Quelqu’un d’autre. Je fixai alors l’intérieur de ma valise avec attention. Oserai-je seulement…
Depuis combien de temps était-il au fond de ce gouffre ? Après avoir essayé, sans succès, de se détacher des chaînes qui le retenaient là, il s’était résolu à supporter sa condition. L’ambiance était étrange depuis l’apparition de son alter ego. Quelque chose le troublait.
— Hey !
— Quoi ?
— Pourquoi tu n’as pas de lunettes ?
Il se mit à ricaner de façon narquoise, ne prenant pas la peine de se retourner, trop occupé, à analyser Florian face à sa valise. Il prit la parole.
— Tu sais pourquoi il reste fixé là ?
— Parce qu’il est triste !
Il pouffa de rire.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
— Regarde attentivement la valise !
Il s’exécuta, en s’éloignant des murs froids, pour découvrir l’écran à son tour. Puis, il comprit.
— Il...
— Oui. Il les a pris avec lui.
Il quitta des yeux la scène, laissant ainsi son double arrogant s’enthousiasmer sur le vrai monde. Il s’assit à nouveau. Saisissant ainsi le vide sombre, par lequel il était tombé. Il ne comprenait pas Florian.
— Pourquoi ne le remarque-t-il pas ?
Son double resta silencieux.
— Pourtant, il le sait, n’est-ce pas ?
Il se détourna de l’écran, en lui adressant un cinglant « De quoi tu parles !? ».
— Nous sommes coincés ici. Quoi qu’il arrive. Pour toujours.
Sans prêter attention à cette remarque, il reprit son observation, les mains derrière le dos, tandis que l’autre posa sa tête contre la paroi. Puis, le silence revint, à peine perturbé, de temps en temps, par le bruit métallique, des chaînes qui les détenaient là…
Chapitre 6 : Le nouveau [1/2]
On frappait à la porte. Fort. Mes yeux fatigués pointaient vers le réveil. 5h41. Bordel, je ne m’étais jamais éveillé si tôt. J’ordonnai à mon corps tout entier de se relever, malgré les plaintes du lit grinçant. Cette première nuit avait été horrible. Je n’avais pas réussi à fermer l’œil et pour cause, aujourd’hui, rien ne pouvait se passer correctement. Les élèves se jugeront. Les clans seront déjà formés. Tous parleront un allemand parfait. Un enfer identique à celui de ma ville, dans une autre langue, simplement.
La porte, insatisfaite de mon silence, se mit à grogner plus fort.
— Oui ! Heu je veux dire… « Ja » !
Friedrich, encore lui évidemment, déversait son allemand du matin, incompréhensible et irritant. Ce dont j’étais sûr, c’était qu’il ne voulait plus que je reste endormi. Alors, comme un zombie, je titubais, traversant ma petite chambre, le long couloir et enfin, la salle de bains. Mes habits s’échouèrent presque d’eux-mêmes sur le sol, me laissant libre de m’étaler sur l’un des murs de la douche. L’eau serpenta ensuite sur mon visage, avant de chuter dans le ravin d’une canalisation bruyante. J’émergeais peu à peu, moins anxieux que la vieille, mais pour de mauvaises raisons. J’avais cette impression étrange, celle, d’être vide et serein en même temps. Coincé ici, plus rien ne semblait avoir d’importance.
Je coupai le flux de l’eau d’une main, et agrippai une serviette de l’autre. Me tenant maintenant face au miroir, incapable pourtant de m’observer. Sans lunettes, le décor se révélait indicible. Il était difficile d’être sujet à une myopie si forte. J’avais dû abandonner l’idée de faire du sport, et devais faire attention dans les rues fréquentées. Ces verres, si épais, étaient dangereux et chers à fois. Le plus dérangeant, était lorsque j’arrivais enfin à les oublier : une opportunité offerte, pour quiconque voulant cracher ses métaphores cruelles. Venir un jour à l’école sans elles, était considéré comme une tentative d’évasion de la cour. Celle, des « perdus ». Un crime monstrueux, dans notre charmante communauté.
Lorsque ma mère m’annonça ce départ forcé, je m’étais alors autorisé l’impossible : prendre des lentilles de contact. Celles que j’étais sensé mettre depuis des années. Un « perdu » qui change d’apparence, ça ne s’était jamais vu. Mais, tout cela n’était plus d’actualité. Rappelle-toi Florian, personne ne t’avais contacté. Personne n’avait cherché à te sauver. Tu étais ici, seul. L’indifférence de tous me guidait ainsi, sur des chemins inconnus. À l’entrée de l’un d’eux, ce détail insignifiant, celui, de porter des lentilles.
Je saisis l’une d’elles et l’apposa sur mon œil droit. Immédiatement, une douleur vive amocha mon globe oculaire. J’avais oublié l’agressivité de cette matière, propre aux lentilles rigides. La deuxième fut tout aussi douloureuse. Mes paupières, fermées, se figèrent pendant de longues secondes. Il fallait que je m’adapte, malgré la douleur. J’ouvris donc les yeux, observant les objets en face de moi. Une brosse à dents. Un sèche-cheveux. Le robinet. Je les voyais si bien. Je relevai la tête vers le miroir et me découvris alors. Le teint toujours pâle, les cheveux toujours longs, les yeux… Bleus. Étrangement, mon visage semblait différent. « Non, c’est ridicule », murmurai-je…
La porte rugit. Encore. Foutu Friedrich.
Alors, dans la précipitation, je m’habillai et pris mes affaires, oubliant par la même occasion ce que je venais de faire. Quelques secondes cependant : mes yeux avaient du mal à s’adapter et clignaient trois fois plus que la normale, mais je compris très vite, au vu de notre hâte, que nous n’allions pas retourner dans l’appartement.
Il s’était donné une mission. La même pour chaque hôte qu’il recevait dans sa demeure : l’accompagnement de l’étudiant, du village, jusqu’à l’école. C’était ainsi que je pus mesurer la gravité de la situation. Se lever si tôt ne suffisait pas. Non. Il fallait prendre un bus, d’abord. Le bus du matin. Non, pardon. Le SEUL bus du matin. À ne surtout pas rater donc. Puis, s’arrêter au septième arrêt, nous amenant dans un village inconnu, mais avec une station de train. Et, de sa plateforme, rentrer dans un des wagons, pour se diriger enfin vers la ville principale de la région.
L’école de langue ne se situant pas près de la gare, un autre bus, le dernier cette fois, était requis pour y accéder. À la fin de notre voyage, je compris pourquoi Friedrich avait tant insisté pour m’accompagner. Seul, j’aurais atterri quelque part en Russie. Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’installer sa famille aussi loin de la civilisation ? Ah Friedrich, si tu comprenais le français, j’en aurais des choses à te dire !
Au cinquième arrêt, il me fit signe de descendre avec lui. Je le suivis dans les rues de cette ville, que nous visitions la veille avec ma mère. Nous nous enfoncions dans les quartiers résidentiels, jusqu’à s’arrêter devant un immeuble de quatre étages. Je posais le regard sur ses petites fenêtres aux contours jaunes, puis sur les murs vieillissants. Au-dessus de l’entrée, l’inscription « SprachInstitut », qui voulait dire institut de langue. Friedrich me lança un « au revoir » en allemand et s’en alla sans même se retourner, me laissant seul devant cet établissement peu accueillant. Je posai le pied sur la première marche, et m’attelai à gravir son petit escalier.
Je poursuivis, en pénétrant discrètement dans le hall d’entrée. Personne n’attendait sur les chaises à l’intérieur. Tout était silencieux. Au fond, je décelai un bureau ainsi qu’un guichet. Alors, très lentement, je me dirigeai vers celui-ci. À sa hauteur, je n’entendais et ne voyais toujours rien. Je m’autorisai timidement à toquer sur la vitre du bureau. Ces dernières s’ouvrirent instantanément, révélant une femme, âgée, habillée de couleurs vives et la mine enthousiaste. Elle me fixa. Cinq secondes, peut-être plus. Puis s’exclama :
— « FLORRRIANE !? »
Elle sortit ensuite de son bureau et me fonça dessus, en me présentant sa paume. À la seconde même où j’acceptai cette poignée de main, elle se mit, elle aussi, à parler en allemand. À. Toute. Vitesse. Je ne comprenais rien, mais commençais à m’y habituer. Devant mon silence appuyé, elle reprit sa phrase initiale, et à ma grande stupéfaction, dans un français parfait.
— Je me présente, Theresa (nom de famille germanique incompréhensible), directrice de l’école.
Je ne dis rien.
— Bien… Alors, nous t’attendions. Tu vas devoir passer un test afin que nous puissions évaluer ton niveau. Ensuite, tu pourras rejoindre une classe appropriée pour apprendre notre belle langue dans de parfaites conditions !
Un test d’évaluation, vraiment ? Ce n’était pas nécessaire. Selon mon professeur d’allemand, il n’y avait plus d’espoirs me concernant. Mais puisque j’étais ici désormais, je me résolus à la suivre. Le jaune, aperçu à l’extérieur, étaient aussi présents sur les murs des couloirs. Ces derniers, étaient même décorés de dessins et de témoignages d’étudiants étrangers, vantant les mérites d’un séjour dans l’école. Elle ouvrit une porte et m’invita à entrer. J’atterris dans sa salle classe, meublés de longs pupitres grisâtres et d’autres témoignages de survivants sur les murs. En face d’une des chaises, quelques feuilles retournées qui m’attendaient sagement. Je m’installai devant celles-ci, perplexe. La directrice du SprachInstitut m’observa à nouveau, puis m’annonça solennellement :
— Apportez-moi les feuilles, lorsque vous aurez terminé.
Alors je m’exécutai. Je retournai la page de garde et m’enfonçai dans l’évaluation. Les premières questions me paraissaient étrangement faciles. Il fallait, simplement, répondre à des interrogations de type « Comment tu t’appelles ? » ou « quel âge as-tu ? ». Peut-être n’étais-je pas si faible finalement. Je prenais confiance, complétais le test, page par page, jusqu’à la quatrième. Chaque question, sur cette dernière, ne semblait même pas être en allemand. Je découvris certains termes pour la première fois, rien n’avait l’air d’avoir de sens. Comment y répondre ? J’en étais incapable. Après plusieurs minutes de réflexion, je me résignai à la rendre, vide. La directrice, remarquant que je n’écrivais plus, s’avança vers le pupitre et analysa mes réponses.
— Mhh, « Ja »…. « Ja »… D’accord, très bien « Florrriane » nous avons une classe qui convient parfaitement !
— Vraiment ?
— Oui oui oui, suivez-moi.
Nous sortions de la salle d’évaluation et retournions dans le hall d’entrée. Nous prenions ensuite un escalier qui menait au premier étage, là où toutes les classes s’alignaient. Elle m’indiqua l’une d’elles, du bout du doigt, en m’informant que tous les élèves étaient en pause actuellement. Je rentrai donc dans cette classe. Celle qui allait me dévorer tous les matins. De petits pupitres, ornant quelques trousses et cahiers griffonnés, se tenaient devant moi, au garde-à-vous. Au fond de la salle, le dernier bureau, sans affaires d’école. J’y déposai mon sac et me laissai chuter sur la chaise. Plus de témoignages sur les murs cette fois, mais des règles grammaticales en allemand. Ce qui était encore pire. Les minutes anxiogènes défilaient alors. Très. Lentement.
Et soudain, des bruits de pas. Décelant par la même occasion les multiples voix qui se bousculaient dans les couloirs. La porte de la salle de classe s’ouvrit violemment ! En vomissant ses occupants. Ils prirent tous place, sans manquer de me jeter, à tour de rôle, un regard interrogé. Je n’avais qu’une seule envie, celle de m’envoler ailleurs. Une jeune femme aux cheveux sombres et l’air strict rentra également. Elle esquissa un petit sourire en me remarquant, puis se présenta en tant que professeur de cette classe. Elle s’arrêta de parler et m’imposa de me présenter à mon tour. Toutes les têtes étaient maintenant tournées vers moi. J’osai alors un simple « Je m’appelle Florian, j’ai seize ans » en allemand. L’institutrice hocha la tête, avant de débuter son cours comme si de rien n’était. Les élèves, semblant être satisfait de la situation, suivirent la professeure en prenant des notes consciencieusement.
Aucune remarque. Aucun rire. Dans mon ancienne classe, un élève aurait préparé une boulette de papier, destiné au nouveau. Un autre, se serait chargé de l’analyser, afin de préparer quelques blagues sur sa façon de parler, ses habits, sa façon d’être. Et il y aurait eu l’évaluation populaire, casant le nouveau dans une catégorie. Mais ici, rien de tout ça. Étrange.
Chapitre 6 : Le nouveau [2/2]
Seize personnes s’alignaient dans cette petite classe. Chacun était muni d’un cahier et d’un dictionnaire bilingue. Je profitai de ce dernier élément pour savoir d’où venaient mes nouveaux camarades. Je voyais des anglophones, des francophones et… C’est tout. Vraiment ? « Sauvé ! » Pensai-je alors. C’était donc pour cela tous ces regards, ils entendaient mon accent français. Ou peut-être étais-je juste bizarre. Peut-être était-ce à cause des lentilles. Mais enfin non Florian, c’est impossible, reprends-toi !
— Hey. Moi c’est Seb.
L’un des francophones s’était décidé à me parler. Un peu interloqué, je regardais ce « Seb » quelques secondes, avant de lui répondre en chuchotant.
— Heu… Florian.
Il sourit, puis se présenta, naturellement. Seb avait quinze ans. Il vivait en Suisse, dans une famille de classe moyenne. Il semblait introverti à première vue, mais les dessins grossiers de filles nues, en position peu flatteuses, trahissaient efficacement cette image.
— Ah, laisse-moi te présenter les autres. Voici Nicolas, Célia, Gilles et Amandine.
— Tous suisses ?
— Sauf Amandine. Elle est belge, du coup t’es pas obligé d’lui parler.
Amandine, la belge, était la plus petite élève de la classe, malgré ses dix-sept ans. Ses cheveux courts et ses joues joufflues lui donnaient un petit air amusant. Elle laissa sa main s’envoler contre le bras de Seb, faisant rire les autres suisses. La professeure intervint alors pour réinstaurer le silence. Ils me lancèrent, tous, un regard complice, tandis qu’Amandine, ajouta un mot de vocabulaire dans son cahier, en hochant la tête de droite à gauche.
Le cours d’allemand s’enchaîna sur un entraînement à parler la langue. Nous devions nous mettre en groupe de deux, et expliquer ce qu’on avait fait la vieille. C’est ainsi que j’appris que les anglophones étaient tous américains. Ils avaient une façon très particulière de parler la langue. Celui avec qui je devais discuter aujourd’hui, par exemple, avaient de la peine à prononcer les « r » ou encore les « ch » dans les mots. Au-delà de cela, son allemand était bon. Il était satisfaisant d’être dans une classe où nous avions tous le même niveau. Cela changeait absolument tout par rapport à l’école. Je ne ressentais plus cette pression sur ma façon de m’exprimer, ou d’écrire, et l’institutrice ne cherchait pas constamment à me corriger. Au contraire, elle m’incitait à parler, encore et encore. Elle avait cette technique particulière de poser des questions personnelles, au lieu de m’interroger sur une règle de grammaire, apprise par cœur. Et, cela faisait réellement la différence.
Cette première matinée se termina rapidement. Cette classe était loin d’être ce que j’imaginais. Je descendis les marches de l’escalier, pour rejoindre le hall d’entrée. Il fallait que je me dépêche, notre pause de midi n’était que de quarante-cinq minutes et je ne connaissais pas les environs. Alors que je m’apprêtais à sortir de l’établissement, j’entendis mon prénom résonner dans tout le rez-de-chaussée. En me retournant, j’aperçus Nicolas, que Seb m’avait présenté quelques heures auparavant. Derrière lui, ses acolytes francophones.
— Où tu vas ? Faut absolument que tu viennes avec nous !
— … Ah ?
Nicolas n’avait pas besoin de prendre la parole pour se présenter. Ses vêtements de marque, parfaitement à sa taille, ou sa montre suisse hors de prix, laissaient entrevoir la position sociale de ses parents. Ajouté à cela, son sourire, narquois, qui lui donnait un air arrogant. Comme un général, il se tenait bien droit, au centre du groupe, prêt à guider ses recrues.
— Heu… Je sais pas trop…
— Non Florian, tu comprends pas. Tu DOIS venir avec nous !
Son ton autoritaire était énervant, mais je ne dis rien. Les autres francophones n’avaient pas l’air de vouloir participer à la discussion. Ils attendaient sagement le dénouement, en ayant l’air occupé à autre chose. Tous, sauf Célia. Cette fille, aussi, avait l’air de venir d’une très bonne famille. La peau mate. Les cheveux noirs, s’écoulant sur ses épaules. La douceur de son regard et ce sourire dont elle avait le secret, lui donnaient un charme rare. Célia avait comme une aura, propre à ces filles informées de leur pouvoir de séduction.
Devant Nicolas, elle leva les yeux au ciel et soupira, comme fatiguée de la situation. Puis pris la parole.
— Laisse-le tranquille. Commence pas à trainer le nouveau dans tes conneries !
Il y avait comme un jeu étrange entre ces deux-là. Comme s’ils cherchaient à se dominer l’un l’autre. Nicolas se mit à fixer Célia d’un air provocateur. Il bougea ensuite sa tête légèrement, à l’attention de Séb et lui adressa, d’un air dédaigneux :
— C’est dingue non ? Elle pense à chaque fois que quelqu’un l’écoute. Cette pauvre fille… !
Séb se laissait intimider par Nicolas. Il sourit et s’autorisa d’étouffer un rire forcé. Je ne comprenais pas Séb. Il avait l’extrême chance d’être moyen : ni trop riche, ni trop pauvre. Assez populaire pour ne pas être un « perdu », mais suffisamment pour tenir tête à des gens comme Nicolas. En théorie du moins, car en ce moment, Séb était comme subjugué, à la merci de ce dernier.
Nous regardions à présent tous Célia. Sa douceur laissa place à une expression agressive, comme si elle voulait désintégrer Nicolas. Elle fit un pas en avant, pour se positionner à quelques centimètres de son visage et s’apprêta à répliquer. Nous retenions notre souffle, la situation devenait soudainement tendue ! Mais, de nulle part, un bruit. Celui d’une bouteille en plastique qui rebondit sur le sol. Nos têtes se tournèrent de façon synchronisée vers la droite. Il ne s’agissait que de Gilles, qui reprenait sa bouteille, machinalement.
Ce type était énigmatique. Tous ses habits étaient noirs, même ses chaussettes. Ses cheveux raides, s’échouaient presque sur ses coudes. Lorsqu’il marchait, nous pouvions entendre ses chaînes, métalliques, rebondir sur son jeans sombre. Gilles écoutait du métal. Plus c’était bruyant, plus il appréciait. Pourtant, il était le plus silencieux et le plus timide, et toute cette attention semblait le mettre mal à l’aise.
Nicolas s’empressa d’approcher Gilles, et lui frappa, de sa paume, l’arrière du crâne. Puis il se retourna vers nous, hilare, en hurlant « Sacré Gilles ! ». Séb, les filles, et moi, regardions la scène, médusés, pendant que Gilles se frottait lentement la tête, encore plus gêné qu’auparavant. Nicolas se positionna en face de moi, et réitéra sa demande.
— Allez vient « Flooo’ », on doit faire un truc avant d’aller manger !
Célia s’en alla, fatiguée du comportement de Nicolas. Même s’il était particulièrement irritant, je ne comprenais pas sa réaction. Que s’était-il donc passé entre ces deux-là ?
J’étais là, devant Nicolas, qui attendait ma réponse. Ce type ne m’inspirait pas confiance. En temps normal, je ne serais jamais resté dans la cour. J’aurais évité les types comme lui. Mais ces gens… Ils avaient l’air différent. J’étais intrigué par toute la situation. Que risquais-je vraiment à les suivre ? Puisque ce séjour était imposé, j’évitai d’accorder trop d’importance aux conséquences de mes décisions.
— D’accord. Je te suis, « Nico’ ».
Nicolas hocha la tête, satisfait. Il lança un regard persuasif à Gilles, qui le suivit sans délai. Les deux se mirent à avancer plus vite que nous, en descendant de l’escalier, pendant que Séb marchait à ma hauteur.
— Où est-ce qu’on va ?
Séb me montra le centre commercial, juste en face de l’école. Nous devions simplement traverser un parking pour y entrer.
— Je comprends pas. Pourquoi Célia s’est énervée si on va qu’au centre commercial ?
— Oh, tu verras…
J’apercevais un des employés, se tenant devant l’imprimante. Le regard vide. Les mains dans les poches. De mon bureau, je devinais les feuilles s’empiler. Une à une. En continu. Quelques sonneries de téléphones osaient parfois accompagner ces bruits, mais jamais l’on entendait plus que ça.
Cela faisait quelques mois que j’avais été engagé dans ce service. Un département gouvernemental, chargé de contrôler le marché du travail local. Mes mains collées au clavier, j’avais la tâche de transformer les rapports de mes collègues en chiffres, graphiques et autre éléments statistiques. Le but : rassurer efficacement la population, sur l’état de l’emploi dans leur région.
Je m’autorisais ainsi à participer au grand orchestre administratif, à temps partiel, pour payer mes études et subvenir à mes besoins. Laissant mes doigts s’évanouir sur les touches, je fus soudainement interrompu par une collègue.
— Florian ? Je ne comprends toujours pas.
— Oui ? Quoi donc ?
— Mais tu sais, ce truc que tu fais là après le travail….
— Je t’ai déjà expliqué…
— Oui oui, après le travail tu vas à l’université ! D’ailleurs, je trouve que tu es fou.
Je souris un peu et reposa mes doigts sur le clavier.
— Florian ?
— … Oui
— Mais ta spécialisation ? L’économie je comprends, mais le marketing, pourquoi !?
L’imprimante s’arrêta et l’employé au regard vide entra dans notre bureau. « C’est l’heure de la pause ». Et, comme à chaque fois à ce moment-là, tout le monde se leva, car ici, le café n’attendait pas.
Ma collègue, debout, se tourna vers moi, l’air étonné.
— Tu nous suis pas Florian ?
— Je vous rejoins !
Je fis résonner les touches grinçantes, terminant un long rapport détaillé. Je lançai ensuite la commande d’impression, faisant ainsi chanter la machine à nouveau. L’imprimante m’offrit ses dernières pages, que je déposai alors sur le bureau, vide, de mon supérieur.
En y sortant, le calme religieux ne se faisait interrompre, que par le brouhaha lointain de tous les autres. Peut-être devrais-je les rejoindre. Ma journée allait être très longue aujourd’hui…
Le 01 juillet 2015 à 13:16:57 ForgetValley a écrit :
Oh chouette tu n'as pas abandonné ta fic
Jamais !
Gilles il s'est pas fait choper à voler une casquette d'ailleurs?
Le 22 juin 2016 à 03:21:44 SainteCoquille a écrit :
Gilles il s'est pas fait choper à voler une casquette d'ailleurs?
Il aurait pu, c'est sûr.
2 mois plus tard,toujours pas de suite
Chapitre 7 : Le centre commercial
Pour y trouver des places encore libres, il fallait venir tôt. Les ordinateurs portables des étudiants étaient déjà tous tournés vers un gigantesque écran de présentation. Sous ce dernier, se tenait un petit homme. Un grand érudit, qui avait réussi à vendre ses propres livres à notre université. L’opportunité pour lui, d’ailleurs, de souvent se citer en référence à travers ses théories de la micro et macro-économie.
Il était 19h30. Nous avions, pour la plupart, travaillé toute la journée. Et cette leçon – la dernière de la soirée – était terriblement difficile à suivre. Le Docteur en économie, arborant fièrement un costume trois pièces sur-mesure, présentait de nombreux graphiques. Les mécanismes de l’économie de marché se mettaient à nu, devant une salle peu réceptive.
— L’avantage concurrentiel. Qui peut me dire ce que c’est ? Personne ? C’est tout de même incroyable. Pas un seul étudiant capable de me donner les bases. L’a-van-tage concurrentiel. Prenez un produit. Non ! Prenez une entreprise, heu… Non ! J’ai encore mieux ! Prenez un être humain. N’importe lequel. Non pas n’importe lequel. Heu…
Le professeur regarda le sol en se grattant le menton plusieurs secondes, avant de se faire interrompre par une étudiante.
— Une star Monsieur ?
Il haussa les sourcils, puis acquiesça.
— OUI ! Une star ! Pourquoi une star passe-t-elle à la télévision ? Pourquoi les médias utilisent et diffusent l’image des stars ? Voyez-vous, comme un produit, chaque star représente une idée et possède une caractéristique unique. Elle se différencie ainsi de ses concurrents, en l’occurrence, pour une star, de ses rivaux.
Il médita quelques secondes, puis reprit.
— Ça peut être sa voix. Son style. Peu importe finalement. Le but étant, au final, de répondre à une certaine demande et de vendre son produit. La star est en fait un très bon vecteur pour vendre. Le monde dans lequel nous vivons, chers étudiants, est composé d’entreprises qui se soucient quotidiennement de la façon dont on vous vendra leurs produits et leurs idées. Qu’en pensez-vous ? Vous là-bas, avec la chemise blanche !
Mince, j’avais une chemise blanche. Et toutes ces têtes rivées vers moi… Pas de doutes, sa question m’était destinée.
— Oui ?
— Votre prénom monsieur ?
— Florian…
— Alors Florian, cela vous parle, vous, l’avantage concurrentiel ?
...
Arrivé au centre commercial, Nicolas s’arrêta d’un coup. Puis, d’un ton très sérieux, il annonça :
— Il nous faut des cigarettes !
Tout le monde hocha de la tête, l’air complice.
Nous rentrions ensuite dans le bâtiment. Après son portique d’entrée, un couloir se présenta à nous. À ses côtés, de petits magasins en tous genres. Ils s’alignaient sur quelques centaines de mètres avant de laisser place au hall principal. Une zone immense, s’étendant sur trois étages. Je suivis le groupe, qui s’engouffrait joyeusement dans le périmètre. Gilles se tenait à l’écart. La mine décomposée, il tenta une objection.
— Je… Je ne veux pas voler cette fois.
Nicolas n’hésita pas une seule seconde. Il se planta droit devant Gilles, en lui lançant un regard meurtrier. Les lèvres de Gilles se cousirent instantanément. Ses pupilles se détournèrent vers moi, comme pour appeler à l’aide. L’obligeaient-ils à dérober dans le magasin ?
— Laisse-moi t’expliquer Flo’. Ce centre commercial est spécial. Très, spécial.
— C’est-à-dire ?
— Tu peux voler tout ce que tu veux, personne ne contrôle, cela fait des semaines qu’on fait ça. Hein dis Seb !?
— Heu, oui oui, c’est vrai.
— Evidemment, Gilles, le bébé, nous ralenti parfois, mais t’inquiètes pas.
Je compris dans son attitude qu’il attendait un vol de ma part. C’était le test d’entrée, évalué par Nicolas, dont l’échelle des points allait de « Gilles » à « mec cool ».
Nicolas s’avança vers moi, le torse en avant, prêt à l’attaque.
— Voilà la procédure. C’est tout simple.
— Il y a une procédure ?
— Pas de questions pour l’instant.
— Mhh.
— Les allées du magasin sont profondes et ont de nombreuses intersections où l’on peut piéger le vigile.
— Le vigile ?
— Oui ! Il n’y en a qu’un seul, pour TOUT le centre commercial, c’est là qu’on a notre atout, Gilles !
Il avait raison : les rayons étaient mal agencés. Trop profonds. Trop denses. Facile de subtiliser quoi que ce soit sans être vu, surtout avec un seul vigile pour surveiller la zone.
Nicolas pointa Gilles d’un mouvement de la tête.
— Regarde-le, avec son air de satanique perdu là… Bref, il traverse lentement les allées, près du vigile, et il éveille ses soupçons. C’est là qu’on en profite pour voler ce qu’on peut, tranquillement.
Nicolas et sa bande avaient élaboré, au fil de leur séjour, une stratégie complète et bien huilée pour dérober les articles du centre commercial. Ils avaient même réussi à faire en sorte que Gilles se sente obliger d’y participer. Incroyable.
« On y va ! », nous lança subitement Nicolas. Seb s’élança le premier dans un rayon, en balayant du regard la clientèle environnante. Puis, il repéra quelque chose en faisant un signe à Gilles. C’était le vigile qui, pour l’instant, se contentait de rester assis sur une chaise au milieu du grand magasin. Gilles s’avança douloureusement à travers l’allée principale. Les chaînes métalliques qui entouraient son pantalon s’entrechoquaient et avaient l’air de faire leur petit effet sur l’employé de sécurité. Ce dernier quitta sa place instantanément pour se mettre à le suivre.
Suivant la scène, sans y croire encore vraiment, je sentis soudain une frappe sur mon épaule. C’était Nicolas.
— Première phase du plan, réussi !
Il me fit signe de le suivre, en analysant consciencieusement les mouvements du vigile. Son but : se positionner hors de son champ de vision. Je devais bien l’admettre, leurs manigances fonctionnaient à merveille. Nous étions désormais tous les deux à l’écart, dans un des rayons vides du centre commercial.
C’était à mon tour. Sans réfléchir, je laissai ma main se perdre sur le premier article en face de moi : un simple paquet de chips à deux euros. Il se faufila dans la poche intérieure de ma veste, formant une petite bosse, seulement visible, pour un œil averti.
Nicolas, qui continuait de scruter les alentours, me lança un regard amusé. « Mais qu’est-ce que tu fous !? », me murmurait-il. Il reprit le paquet à l’intérieur de ma poche, l’ouvrit et se servit de quelques chips. Puis, l’air de rien, les reposèrent sur leur étagère.
— Tu n’as pas besoin de voler la bouffe. Si t’as faim, sers-toi, tout simplement !
Les cliquetis des chaînes de Gilles retentirent à proximité. Un signe de danger. Nicolas mit son doigt sur ses lèvres en me lançant un discret « chut ». Puis, nous nous faufilions dans le dédale des rayons, pour ne pas se faire repérer.
Seb était déjà à la caisse, en train de choisir un paquet de chewing-gum. Je devinai ainsi la seconde phase de leur plan: faire semblant d’acheter un seul article, pour atténuer les soupçons potentiels.
Au même moment, Gilles se tenait contre un mur, se faisant gronder comme un enfant par l’employé de sécurité.
Nicolas se voulait rassurant :
— La phase de conclusion : Gilles qui se fait gronder.
— Comment ça ?
— A chaque fois, le vigile prétend l’avoir vu voler et le menace. Mais il n’a jamais vraiment compris comment il faisait pour faire disparaître des articles sous ses yeux. C’est difficile de comprendre pour un vigile tu sais, en fait, Gilles nous a comme « petites fées magiques » !
Nicolas éclata de rire en marchant vers la caisse. Lui aussi s’acheta un paquet de chewing-gum. Je n’en revins pas. Tout cela était une aubaine ! Leurs petits larcins allaient pouvoir me faire économiser de l’argent. Où était le mal ? Je finançais ce séjour de force, autant limiter les dégâts.
Nous passions tous les trois le portique de sécurité, qui ne se déclencha pas. Rôdé comme des professionnels, Nicolas et Seb avaient parfaitement retiré les étiquettes des articles qu’ils avaient volés. Gilles nous rejoignit quelques minutes plus tard, à la sortie du centre commercial.
Comme à son habitude, Nicolas le prit à partie.
— Alors « Gilles la racaille », ça va ? On t’a vu avec Florian, c’était trop marrant !
Très embarrassé, il se contenta de fixer le bitume.
— J’en ai marre de faire ça…
— Non mais regardez-le ! Tu vas pas me dire que tu préfères payer ??
Nicolas s’énerva. Il sortit de sa poche une boite de préservatif, qu’il venait de dérober. Il en détacha un seul, l’agrippa, et le lança violemment contre le front de Gilles.
— Voilà. Cadeau !
Un mélange de rage et de peur se dessinait sur le visage de Gilles. Il ne le supportait plus. Mais il ne dit rien.
— Flo, tu peux prendre la capote, il a pas l’air de la vouloir cet imbécile.
Pour laisser Gilles se faire oublier, je saisis le plastique du bout des doigts. Je n’allais probablement pas en avoir besoin, ou peut-être, juste pour en faire… une bombe à eau.
Seb sortit de sa poche un paquet de cigarettes. J’avais presque oublié que nous étions rentrés là-bas pour en voler.
Souriant, Nicolas lui tendit un briquet pour qu’il puisse consommer son trophée du jour.
— Alala Seb, tu m’impressionneras toujours d’être capable de voler ça !
Sans demander, Nicolas saisi deux cigarettes du paquet de Seb. Il en plaça une entre ses lèvres, en me tendant l’autre, l’air désinvolte.
Allais-je pouvoir survivre ici pendant six semaines ? Peut-être devais-je rejoindre pour de bon le clan de Nicolas. Avant même d’en penser quoi que ce soit, la « clope », comme il disait, termina allumée, et entre mes doigts. Je laissai sa fumée se faufiler dans mes poumons. Puis, je toussai. Fort.
Nicolas posa son regard sur moi. « Toi, t’es un vrai Flo ! », m’annonça-t-il, satisfait.
Je devins ainsi membre à part entière de la bande.
Le test était terminé.
Super t'as pas abandonné ta fic ,par contre pour Gilles,imagine c'était un type comme toi paumé et timide qui était allé en Allemagne en esperant s'améliorer,et qui se retrouve au final,bizut de la bande
Le 23 octobre 2016 à 04:47:05 SainteCoquille a écrit :
Super t'as pas abandonné ta fic ,par contre pour Gilles,imagine c'était un type comme toi paumé et timide qui était allé en Allemagne en esperant s'améliorer,et qui se retrouve au final,bizut de la bande
Non, je terminerai ce projet, je l'ai promis! Oui tu te pose exactement les bonnes questions, c'est pas anodin. Merci d'avoir lu!
Six semaines en Allemagne est également disponible sur Wattpad, pour ceux qui préférerait le format.
Chapitre 8 : Hérésie
Ils s'étaient habitués à ce sentiment de solitude, si singulier, qui planait au fond de leur gouffre. L'un comme l'autre, se toléraient, en regardant attentivement les scènes du vrai monde sur l'écran de télévision. Celui qui était apparu ici en dernier, avait une fascination certaine par tout ce qui étaient en train d'arriver, au point même, d'adresser la parole à son camarade.
— Intéressant, n'est-ce pas « Florian-1 » ?
Contre le mur, comme à son habitude, son interlocuteur fronça les sourcils. Il avait appris à reconnaître ce ton provocateur, mais ne comprenait pas où il voulait en venir.
— Comment m'as-tu appelé ?
— Et bien, Florian-1 ! Tu es le premier qui est tombé ici.
— Donc, toi tu serais... « Florian-2 » ?
Sans répondre, il fit quelques pas vers lui. Puis, posa un genou à terre pour se mettre à sa hauteur. Il était déroutant, pour Florian-1, de remarquer à quel point il ressemblait à son homologue du vrai monde. Depuis que ce dernier avait décidé de porter des lentilles, ils étaient devenus presque identiques, du moins physiquement. Les hésitations intérieures du Florian réel allaient encore dans son sens, ce qui le rassurait.
Cependant, il ne pouvait masquer sa méfiance, palpable dans son regard, même à travers ses grosses lunettes. Pourquoi n'était-il pas seul ici ? Quel était le but de ce jumeau arrogant ? Il avait du mal à concevoir l'idée même de son apparition, si soudaine. C'était pour cela, selon lui, qu’il fallait limiter toute interaction.
— Récemment, je me suis rendu compte que j'avais accès à la totalité de tes souvenirs. Mieux que ça, en fait...
Mais voilà, l'autre ne l'entendait pas de cette oreille. Il se releva et s'avança vers l'un des murs latéraux. Pour lui, le mutisme de Florian-1 n'était pas un problème. Seul l'écran de télévision comptait. Pourtant, aujourd'hui, il tenait à lui montrer quelque chose.
— Cet endroit, aussi sombre soit-il, réverbère les fantômes du passé.
Lentement, il déposa ses doigts sur la paroi.
— Regarde !
Leur entourage prit soudain une teinte blanche, immaculée. On ne distinguait plus le sol des murs. Florian-1 observait son jumeau peindre un monde nouveau, sous sa simple volonté.
— Où sommes-nous !?
— A la même place. Ce que tu vois est trompeur...
Une route apparue sous leurs pieds. Autour d'elle, des bâtiments résidentiels s'élevaient, accompagnés d'arbres, de buissons et de grands lampadaires. Au plafond, se dessinait un ciel bleu, dénué de nuages. Et un soleil, resplendissant, s'attelait à éclairer les environs.
— Tu reconnais ?
— C'...C'est... Mon quartier...
D'une cour, à côté d'eux, jaillirent deux petits garçons. Ils couraient à toute vitesse, en traversant même Florian-1. Ils se cachèrent ensuite derrière un buisson. Quelques secondes plus tard, un troisième enfant s'avança, avec une expression agressive qui les terrorisait.
— Je m'en souviens. On se cachait, avec un ami, parce que lui voulait nous frapper.
Florian-1 pointait du doigt le troisième enfant, qui semblait décidé à les retrouver. Les chuchotements des deux autres retentirent à proximité. Florian, enfant, fixait son assaillant à travers le feuillage du buisson.
— Si on fonce sur lui, et qu'on le fait tomber, on aura le temps de s'enfuir ailleurs !
Il se dégagea légèrement du buisson, mais son acolyte le retenu par le bras, apeuré. Sur son visage, se dessinait la frustration de devoir se cacher. Mais sans l’appui de son ami, il se résolut à rester là. Le ciel s'obscurcit alors. Le quartier s'estompa. La pénombre reprit sa place. Sortis de l’illusion, les deux Florian se retrouvèrent à nouveau au fond de leur gouffre, les poignets enchaînés.
— Comment t'as fait ça !!?
L'écran de télévision siffla les voix de Nicolas et Seb, qui rigolaient fort. L'occasion, pour son interlocuteur, d'ignorer la question et de reprendre sa place de téléspectateur.
...
Je terminai la cigarette tant bien que mal, pendant que nous retournions vers l'école. Près de cette dernière, se tenait un petit stand où une femme, forte, servait des nouilles au poulet tous les midis. Le problème, c'est que ces plats étaient gavés d'huile. On pouvait la voir se déverser sur sa louche, et même parfois déborder du plat.
« La haute gastronomie allemande », me lança Seb, en commandant un menu. J'arrivai devant le stand et, bien trop intrigué, en commandai aussi. Quelle erreur ! Je n'avais jamais été autant dégouté de toute ma vie : ces nouilles et son gras avaient le potentiel de nourrir l'humanité tout entière pendant des années. Nicolas et Seb éclatèrent de rire en me voyant grimacer. Ils m'expliquèrent qu'ils s'étaient habitués à l'endroit, bien moins cher que les restaurants alentours. Le plus inquiétant, c'était finir par apprécier le plat, après quelques bouchées volumineuses. Heureusement pour nous, la seconde partie du cours d'allemand était parfaite pour digérer ces maudites nouilles au poulet.
À la fin de la journée, nous nous retrouvions devant la cour. Gilles était à nouveau parmi nous, comme si de rien n'était. Enthousiaste, il prit la parole.
— Alors les gars, vous vous êtes décidés pour samedi !?
Nicolas et Seb s'échangèrent un regard. Puis, Seb haussa les épaules.
— On serait con de pas y aller.
Ils me regardèrent tous, attendant une réaction. N'étant pas vraiment habitué à ce qu'on m'accorde la moindre bienveillance, je voulus directement sortir une excuse pour rentrer à la maison. Sauf qu'en l'occurrence, « la maison », c'était Friedrich. Pas besoin d'en expliquer davantage. Remarquant mes hésitations, Seb se décida à me « raconter une histoire », enfin non, « raconter notre exploit ! », corrigea Nicolas.
— La semaine passée, on s'est amusé à demander le numéro de toutes les filles de cette putain de ville.
— C'était marrant !
— Ta gueule Gilles.
— Je reprends. En fait, on s'est fait jeter par toutes les filles, ou presque. Jusqu'à qu'on tombe sur deux bombes sexuelles.
« Ouais, enfin, abuse pas », corrigea encore Nicolas.
— Ok. Une 6 sur 10 et une 7 sur 10.
Nicolas et Gilles acquiescèrent.
— En gros, on a dit qu'on était super riche et qu'on voulait faire la fête. Elles ont dit qu'elles savaient où étaient les endroits stylés dans la ville. Alors on a pris leurs numéros et on va tous les voir ce week-end !
Seb me regardait fièrement. Pourtant, je ne voyais pas pourquoi il se vantait. Ce plan avait l'air plus que foireux.
Et... j'avais cette impression étrange. Celle, de tromper tout le monde. Etait-ce si facile ? Suffisait-il de porter des lentilles pour devenir quelqu'un d'autre ? J'étais pourtant le même : un adolescent perdu, qui n'avait toujours pas la moindre idée de ce que ce qu'il venait faire ici. Eux, en revanche, semblaient ravi à l'idée d'ajouter ma présence à leur bande.
Ne le savaient-ils pas ? Un perdu à une fête... Avec des filles en plus !? C'était une hérésie !
— Florian ? Tu viens alors !?
Malgré cela, il m'était impossible de refuser. Je ne connaissais personne ici. Aucune excuse valable. Alors je me contraignis à accepter.
Un sourire de satisfaction s'invita alors sur le visage de mes trois camarades. En y repensant, je n'avais jamais eu ces privilèges. Les fêtes. L'alcool. S'amuser. On m’avait fait comprendre que toutes ces choses ne m’étaient pas réservées…
Mais, au milieu de ces gens, j'étais quelqu'un d'autre. Pendant que nous marchions vers la gare, je remarquai ma présence s'ajouter peu à peu à la leur, formant ainsi un tout. Ma case et ses inconvénients avaient disparu.
Chacun devait prendre un bus pour rejoindre leur famille d'accueil. Ils avaient tous la chance d'habiter en ville. Après avoir salué tout le monde, je rejoignis l'un des wagons du train, en destination du village lointain de Friedrich. Sur les rails, à vitesse moyenne, les noms d'arrêts imprononçables se succédaient. Où devais-je m'arrêter ? J'avais oublié. Lorsque je me décidai enfin à descendre du wagon, j'atterris dans un endroit inconnu, au milieu de plaines, d'une forêt et de petites maisons à l'horizon. Il faisait presque nuit et les lentilles commençaient à me faire sérieusement mal aux yeux.
Je réussis à repérer un panneau, avec le nom de la localité. J'appelai alors Friedrich, en passant de longues minutes à lui expliquer ma position. Visiblement, ma prononciation laissait à désirer. Après avoir épelé chaque lettre, il finit par comprendre. Foutu Friedrich. Quinze minutes plus tard, je l’aperçus, dans sa voiture au style très rétro. Il me fit signe de rentrer. À l'intérieur, j'entendis une musique, en français. Friedrich en profita pour me parler en allemand.
— C'est en français ! Tu connais ?
Je reconnus instantanément la voix de Vanessa Paradis, et son « Joe le taxi ». Un peu honteux, je préférai lui répondre négativement. Qu'est-ce qu'ils avaient, ces Allemands, à écouter un truc pareil !?
Lorsque nous arrivâmes enfin au bon endroit, ma famille d'accueil m'attendait, le dîner déjà prêt. Sa femme avait l'habitude de cuisiner tôt. Comme à son habitude, elle ne manqua pas de me servir son fameux jus de pomme au gaz, à mon grand désespoir. Il fallait que je trouve un moyen d'éviter cette boisson à l'avenir. Et la voiture de Friedrich, aussi.
Toute la famille me posa des questions sur mon premier jour à l'école. Mon niveau d'allemand, bien trop faible, ne suffisait pas à me faire clairement comprendre. Ils semblaient pourtant satisfaits des trois pauvres phrases que j'avais réussi à sortir. Etrange. A la fin du repas, je les remerciai tous et me levai vers la salle de bains.
C'était le moment d'enlever mes lentilles et de me redécouvrir avec des grosses lunettes. Je voyais, ainsi, les verres rendre mes yeux minuscules et déformer mon visage. La différence était impressionnante, je devais l'admettre. Je me demandai alors, comment les choses se seraient déroulées si j'avais décidé de les prendre avec moi. Tout aurait été différent, sans doute.
De retour à ma chambre, je me laissai tomber sur le lit. La fatigue gagnait lentement l'entier de mon corps. Je fermai les yeux.
J'y songeai : peut-être que c'était ça, l'importance d'avoir « un style ». Porter un masque de protection et diffuser l'illusion, de ce qu'on ne sera jamais. Mais... Comment pouvait-on apprécier n'être qu'une version tronquée de soi ?
Le titre du chapitre 9 sera... ahem.... Vous verrez
ok on verra:noel:
fic abandonné?
Le 10 janvier 2017 à 04:12:56 SainteCoquille a écrit :
fic abandonné?
Absolument pas. C'est toujours un pur bonheur d'écrire Six semaines en Allemagne.
J'y ai juste pas touché pendant les fêtes...
Mais le chapitre 9 est plus ou moins terminé, il devrait sortir ce mois-ci.
Ben écoute, je te dis chapeau d'arriver à faire autant de chapitre et surtout que t'ai pas abandonné alors que ça va bientôt faire 4 ans que t'y es dessus.
T'as toute mon admiration
Oui alors c'est un projet qui va être terminé, ça je l'assure à 100%. Après, c'est vrai que je ne me sacrifie pas pour lui. Je devrais sans doutes écrire davantage, ce qui est délicat quand le roman n'est pas dans les projets prioritaires. Malgré ça, il est vrai que 4 ans c'est long, je le concède.
Néanmoins, on a eu un chapitre 7 sorti en octobre, un chapitre 8 sorti en novembre et un chapitre 9 qui va sortir demain , j'ai l'impression que ça va un peu mieux.
Attention, ça arrive
Chapitre 9 : Vodka et suppléments
Les cris du réveil retentirent. Dans la douleur, je cognai de toutes mes forces l'insupportable appareil, avant de me rendormir aussitôt. Quelques minutes plus tard, c'était au tour de mon père d'accueil de s'alarmer. "Retard ! Retard !" Scandait-il en allemand. Je sautai du lit et me préparai en à peine dix minutes. Dévalant les couloirs à toute allure et claquant la porte, mes efforts ne suffirent pas. Devant moi, l'arrière du bus disparaissait peu à peu dans la brume matinale. Mais pourquoi donc ma mère avait choisi cet endroit, bon sang. Je rentrai vers la maison, en murmurant quelques plaintes. Au seuil du bâtiment, je remarquai la fille de Friedrich, amusée de m'avoir vu courir. Elle me proposa de me conduire, en précisant que cela était « exceptionnel ».
Le trajet fut silencieux, faute de se comprendre. À l'avenir, je devais faire en sorte de ne plus rater ce bus, pour éviter de ce genre de malaise. Sa voiture s'arrêta devant le SprachInstitut et j'y sortis le plus vite possible. Je n'étais pas du matin. Vraiment. Je m'en souvenais encore, dans mon ancienne école, lorsque je rasais les murs du hall principal. Il y avait toujours un professeur pour me repérer et m'expliquer à quel point il était gravissime de ne pas respecter l'horaire.
Mais ici, rien de tout ça. L'établissement était vide de tout surveillant. Se pouvait-il que cela ne soit pas si... Grave !? Je frappai trois fois contre la porte, avant de l’ouvrir lentement. J'y découvris notre professeur habituel, à peine surpris, qui donnait son cours sans se laisser interrompre. Au fond de la classe, bien alignés, mes camarades francophones. Nicolas et Seb manigançaient quelque chose sur un téléphone portable, pendant que Gilles se laissait distraire par la fenêtre. Amandine écrivait consciencieusement sur son cahier et Célia, les bras croisés, se contentait de remarquer ma présence. Elle me suivait du regard, jusqu'à ce que je rejoigne ma place. À peine installé, elle me prit à partie instantanément.
— Il parait que t'es rentré dans leur délire hier.
Elle parlait de notre escapade dans le centre commercial. Je me rappelai de sa conversation avec Nicolas, qui se conclut par son départ dans une rage refoulée. Célia était contrariée, je le remarquai.
— J'ai pas vraiment volé...
— Tu devrais pas trainer avec Nicolas, c'est un con.
Nicolas tourna la tête et regarda Célia avec brutalité.
— C'est toi la conne !
Avant qu'elle ne puisse répondre, le professeur coupa leur début de dispute, en annonçant qu'il était l'heure de se mettre par groupe.
Elle forma elle-même les équipes, pour nous contraindre à ne parler que l'allemand. Au programme : raconter notre week-end. Sous l'impulsion de l’instituteur, un des Américains se présenta à moi. Je distinguai ses cheveux blonds se battre le long de ses joues. Son visage, un peu bouffi, s’étirait grâce au grand sourire qu’il m’adressait. Il portait un jean rouge et un t-shirt multicolore qui trahissait une personnalité atypique. Après m'avoir serré la main, il s'assit et débuta l’exercice, en me posant des questions. Étrangement, je commençais à mieux saisir la langue. Une fois traduite, la conversation donnait quelque chose comme cela :
— Qu'as-tu fait le week-end passé ?
— Je suis arrivé en Allemagne. Et... Voilà...
— Tu es censé parler plus !!
— Mon allemand n'est pas assez bon, désolé. In english, maybe ?
Il se retourna, pour s’assurer que le professeur ne l'écoutait pas, et se mit à parler en anglais.
— Moi aussi, avant, je détestais ce genre de truc.
— Ah oui ?
— On s'y fait.
— Mhh.
Le professeur s'approcha de nous. L'Américain prétendit alors qu'il répondait à l'une de mes questions.
— Le week-end passé, je suis allé au centre-ville, c'était très intéressant. J'ai beaucoup aimé. Le week-end passé, je suis allé au musée. C'était très intéressant. J'ai beaucoup aimé.
Sans remarquer le stratagème, le professeur s'éloigna, en acquiesçant de la tête notre conversation.
— Au fait, moi c'est Luke.
— Florian, enchan…
À côté de nous, résonna le son violent d'une claque sur une joue, m’empêchant de finir ma phrase. Nos pupilles se tournèrent vers la source de l'action, apercevant ainsi Nicolas qui se frottait lentement le visage, tandis que Célia lui lançait un regard noir. Le professeur s'agita devant les deux élèves, en ordonnant qu'ils restent pendant la pause du matin.
Lorsque la sonnerie retentit, nous nous levions tous pour rejoindre la cour. Je décidai cette fois-ci de rester avec Luke. Un de ses amis, américain, était assis sur le sol. Il nous observait en train d’arriver, à travers ses cheveux hirsutes. Il portait un simple t-shirt et un jean, qui débordait sur de vieilles chaussures de sport.
En le rejoignant, il nous serra la main, suivi d’un bref « I’m Thomas » qui sortit de sa bouche.
Puis, Thomas se leva et montra du doigt un terrain vague, juste à côté de l'école. Je pris conscience que nous étudions dans une zone particulière : à l’intersection de résidences, centres commerciaux et de ce grand terrain vague, entouré de vieux bâtiments industriels. « C'était là-bas ? », dit Luke, étonné. Thomas bougea simplement la tête pour confirmer.
— C’est un repère à drogués Thomas, sérieux…
Luke, remarquant que je ne disais rien, pris la peine de m’expliquer. Thomas était un fêtard. Il ne supportait pas de passer la nuit à la maison. Le paradis, selon lui, c’était le whisky, les filles, et la musique très forte. Alors, il sillonnait la ville tous les soirs, à la recherche des meilleurs endroits où faire la fête. Hier, Thomas avait déniché cet emplacement sordide. Il ignora le commentaire de Luke et conclut simplement : « J’ai cru voir… Marine ».
— Là-bas !? Impossible que cette bourgeoise y traîne !
— Pourtant elle lui ressemblait.
Luke se tourna vers moi, en précisant :
— Elle était à ta place, dans notre classe. Mais elle est partie sans rien dire à personne. On pensait qu’elle était rentrée dans son pays.
Soudain, Nicolas sortit du bâtiment, en ouvrant de toutes ses forces la porte d'entrée. Enragé, il hurla « Non mais quelle PUTE ! », avant s'approcher de Gilles, Seb et Amandine, de l'autre côté de la cour. « Elle ne rate rien dans cette école en tout cas », commenta Thomas, blasé par cette scène. Puis, ils se mirent à discuter de leur vie aux USA.
Je souris poliment, et me détournai de leur groupe pour comprendre ce qui était en train de se passer là-bas. Je voyais Nicolas, rouge de fureur, expliquer l'injustice (selon lui) qu'il venait subir. Il se mit à nous raconter une histoire étrange au sujet d'un commentaire déplacé sur Célia qui se serait conclu par une baffe, et une remise à l'ordre par le professeur. Célia apparut à son tour, elle passa à côté de nous en ne regardant qu'Amandine. Cette dernière la suivit sans se poser de question. Entre garçons, Seb en profita pour prendre la parole.
— Tu as dû effacer ses photos de ton portable ?
Nicolas se contenta de soupirer.
— Que veux-tu... J'ai bien fait de la quitter de toute façon.
Visiblement embarrassé, il s'avança vers les escaliers et nous fit signe de le suivre. Gilles osa alors l'interpeller sur le fait qu'il restait une leçon d'une heure à l'institut d'Allemand, mais tout le monde l'ignora. Nous sortîmes de la cour pour rejoindre le centre-ville. Je repensai à ces Américains, qui ne s'étaient pas fatigués à parler avec Nicolas. Pendant que nous marchions, Seb s'adressa à moi.
— Tu parles aux Américains ?
— Heu... Oui.
— Ils restent beaucoup entre eux d'habitude, c'est étonnant !
Au moment de traverser un des ponts de la cité, le groupe changea de direction, pour s'approcher d'un magasin où l'on pouvait louer des bateaux à pédale. Nicolas s'assit sur l'un d'eux. Qu'est-ce qu'on faisait ici ? Seb, qui remarquait mon air intrigué, m’interpella.
— Je t'ai dit, il n'y a rien à faire ici, alors aujourd'hui...
Nicolas le coupa instantanément.
— Seb et moi on prend ce bateau, désolé Flo t'es avec Gilles !
Le propriétaire du magasin surgit des locaux et discuta quelques minutes avec Nicolas en allemand. Je n'y comprenais pas grand-chose, mais soudain, ils embarquèrent et nous nous retrouvions tous à naviguer sur le fleuve. Malgré son arrogance, je devais admettre que Nicolas avait un certain art pour manipuler son entourage. La preuve, il jouait sur son portable pendant que Seb pédalait tout seul.
— Gilles ? On est pas sensé payer pour utiliser les bateaux ?
— T'inquiètes, Nicolas régale, comme à chaque fois.
Voilà donc la raison de son succès. Je savais maintenant pourquoi Gilles laissait Nicolas l'oppresser. Tout le monde y gagnait. Et je participais désormais à ce jeu, en étant présent sur l'embarcation.
Quelques minutes sur le fleuve suffirent pour que la barque de Seb et Nicolas se cogne contre l'arrière de notre bateau. Le choc fit balancer nos deux corps, de gauche à droite. Gilles ne réagissait pas. Pourtant, leur intention de nous faire tomber à l'eau était claire. J'ordonnai à Gilles de suivre ma cadence, en pédalant de toutes mes forces. Notre barque prit lentement un virage, en direction de nos assaillants.
Nous foncions vers eux, jusqu'à ce que les coques s'entrechoquent. Nicolas ricana et hurla à Seb de recommencer, en nous lançant un regard provocant. Face à face, nos barques s'apprêtèrent à subir une nouvelle collision. Au loin, nous entendîmes le propriétaire qui criaient en allemand.
« C'est bon, ta gueule ! » lui aboyait Nicolas. La violence du choc, cette fois, propulsa nos corps contre le volant du petit bateau. Nos plaintes de douleur s'étouffèrent dans l'odieux rire de Nicolas. Nous retournions ensuite au magasin, vers le patron qui, témoin de la scène, était furieux. Lorsque nous rendîmes les embarcations, Nicolas arracha cinquante euros de son porte-monnaie. « En supplément », ajouta-t-il, sans même regarder le patron. Ce dernier se retourna, en bafouillant quelques bribes de mécontentement.
Après cela, nous quittions l'endroit, pour rejoindre un bar branché de la ville. Je posai les yeux sur ses murs, teintés de lumières rouge et jaune. Les petites tables étaient entourées de sièges au design contemporain et le bar transparent, au fond, révélait les serveuses habillées volontairement de façon aguicheuse.
Nicolas leva le bras pour attirer ces dernières. Lorsque l'une d'elles s'approcha, il se contenta d'énoncer le mot « Vodka » ce qui fit apporter une bouteille entière à notre table. Pourtant, nous étions tous mineur mais, ici, cela ne semblait pas avoir d’importance. Il insista pour nous l'offrir, ce qui ne dérangea ni Seb, ni Gilles. Nous recevions ainsi chacun un verre, rempli à moitié du spiritueux. Seb en profita pour m'adresser un coup de coude.
— Aïe ! Qu'est-ce qu'il y a !?
— T’as failli couler notre bateau !
— Vous avez commencé...
Seb rigola, avant de lever son verre, le boire et de le déposer bruyamment sur la table.
— J'ai une bouteille chez ma famille d'accueil, je la prendrai aussi demain.
Heureux d'entendre la nouvelle, Nicolas déversa la bouteille de Vodka dans nos verres. « Je croyais que c'était samedi, la fête ? », ajoutai-je, perplexe. Seb leva son verre encore une fois, pour que nous inciter à en faire autant, et Nicolas me fit une tape sur l'épaule.
— Tu sauras qu'ici, on ne fait pas la fête que le week-end.
Nous buvions tous d’un seul coup.
— C’est quoi le programme ?
— Oh... Tu verras bien !
Et, les verres se remplirent à nouveau.