Lorsque l'on évoque la possibilité d'une addiction aux jeux vidéo, de nombreux passionnés se sentent immédiatement visés et réagissent parfois vivement. Il faut dire que les préjugés, relayés par une partie des médias, selon lesquels les fans de jeux vidéo seraient tous des "no-life" sont encore très ancrés dans les mentalités. Or, quand on se réfère à la description de l'addiction donnée dans le précédent chapitre, il apparaît clairement que si une passion, quelle qu'elle soit, présente quelques similitudes avec l'addiction, elle s'en distingue clairement au niveau du contrôle qu'en a l'individu et pas forcément au niveau du temps qui lui est consacré. En effet, tant qu'une personne est libre de s'adonner quand elle le souhaite à son activité favorite (même durant de nombreuses heures) et qu'elle peut s'en passer sans conséquences néfastes pour son équilibre psychologique, on parlera de passion. En revanche, si ce n'est pas tant un intérêt marqué pour une activité qui pousse cette personne à y consacrer une partie ou la totalité de son temps libre mais le besoin répété, irrépressible et durable de s'y adonner sous peine de ressentir une véritable souffrance, on parlera d'addiction.
S'agissant des jeux vidéo proprement dits, la notion d'addiction fait toujours débat à l'heure actuelle. En mars 2012, l'Académie de Médecine publie ainsi un bulletin d'information précisant que chez les enfants et les adolescents, "il n'y a pas de consensus scientifique sur l'existence de réelles addictions aux jeux vidéo. En l'absence d'études précisant leurs critères, il est préférable d'utiliser le terme de pratiques excessives, moins stigmatisant". Interrogé par Martine Laroche dans Le Monde, le psychanalyste et psychiatre Serge Tisseron, auteur de "Qui a peur des jeux vidéo ?", explique en 2009 : "Je préfère parler de joueur excessif que d'addiction. L'addiction aux jeux vidéo est un phénomène rare. Il concerne surtout les jeunes adultes. Il faut éviter de coller l'étiquette "addiction" à un ado. A l'adolescence, tout est flottant, rien n'est jamais fixé. Il n'est pas rare de voir des joueurs très excessifs en troisième et seconde qui ne le sont plus en première ou en terminale."
Pour le psychothérapeute et psychanalyste Yann Leroux, l'addiction aux jeux vidéo relèverait même du fantasme. Dans son ouvrage de 2012 , "Les jeux vidéo, ça rend pas idiot !", ce joueur régulier constate que "le bilan des recherches en la matière est faible". Pour lui, l'image du joueur dépendant vient d'une interprétation réductrice de comportements nouveaux à la lumière de métaphores anciennes comme celle du junkie. Citant le sociologue S.Cohen, elle résulterait d'une véritable "panique morale" provoquée par une situation nouvelle perçue comme une menace pour les valeurs et les intérêts de la société. Pour lui, le traitement médiatique caricatural des jeux vidéo ainsi que certains faits divers dramatiques montés en épingle, comme le suicide du jeune Shawn Wooley en 2001, sont aujourd'hui responsables de cette inquiétude exagérée.
Pour d'autres spécialistes tels que l'addictologue Bruno Rocher, interrogé par Numérama.com en mai 2012 l'addiction aux jeux vidéo est cependant une réalité incontestable : "Pour moi, on peut vraiment être addict aux jeux vidéo. L'addiction n'est pas un gros mot, une insulte ou un terme péjoratif. Mais elle implique une notion de dépendance à la différence des pratiques excessives". Pour lui, le terme recommandé par l'Académie de Médecine permet surtout de désigner des comportement de jeu en réaction à une difficulté environnementale (familiale, professionnelle, etc.) et préfère parler d'addiction lorsque cette situation perdure : "lorsque ces pratiques excessives se prolongent 2 ans, 3 ans, on est dans une dépendance claire et nette et ce n'est pas moi qui dirais qu'il n'y a pas d'addiction ou de dépendance aux jeux vidéo. C'est loin d'être la majorité des cas mais il y en a".