E. Chahi a fait ses preuves, et Delphine Software lui laisse carte blanche pour mener à bien le projet de son choix. Pendant deux ans, il réalise seul Another World, et va jusqu'à peindre la jaquette du jeu. E. Chahi recourt à un procédé ingénieux : les graphismes vectoriels permettent une animation fluide et un style épuré immédiatement reconnaissable. Une semaine est nécessaire pour définir la palette de couleurs, mais elle apporte une cohérence à l'univers offert au joueur :
J'ai considéré chaque écran de jeu comme des tableaux, les textures n'étaient pas pensées individuellement, mais globalement par rapport à l'ensemble de l'image. Idem pour la lumière, chaque spot était comme un pinceau, accentuant ou atténuant les formes.
L'imagination d'E. Chahi se déploie sans entraves, ce qui est compliqué à enseigner dans une école de jeu vidéo. C'est pourtant ce qui constitue la caractéristique la plus forte de la French Touch :
Clairement, Another World est le fruit d'une improvisation ludique ! La création s'est faite toujours dans l'expérimentation directe des idées. Mon implication fut totale. Il y a eu une synergie de l'ensemble des passions qui m'avaient traversé depuis que je m'étais intéressé au jeu vidéo. Illustration, animation et cinéma se sont cristallisés dans Another World. La sortie prévue par Delphine Software pour Noël 1991 intensifia d'une manière quelque peu extrême les derniers mois de création, pendant lesquels je n'ai pas beaucoup dormi.
Il ressort d'Another World un profond sentiment de solitude, le héros étant jeté dans un monde inconnu. La difficulté, comme tous les jeux de la French Touch, n'est pas en reste :
Delphine Software n'avait pas de cellule de test. Du coup, c'est plus que jamais un jeu hardcore gamer.
Les ventes croissent (400.000 exemplaires), si bien que les constructeurs s'arrachent Another World en 1991. Le jeu se voit adapté sur tous les supports existants, que ce soit sur consoles ou PC.
Les jeux Delphine Software connaissent un succès international. Pourtant réalisé après le départ d'E. Chahi, Flashback : The Quest for Identity garde la lignée esthétique d'Another World. P. Cuisset n'a pas vraiment produit une suite à proprement parler, mais la filiation avec l'œuvre d'E. Chahi saute aux yeux. P. Cuisset intègre des atouts techniques surprenants en 1992 (cinématiques en 3D, voix enregistrées durant le gameplay). Mais le plus marquant reste le degré de réalisme des animations. La technique utilisée est le Rotoscoping, permettant de filmer des acteurs pour ensuite établir l'animation des personnages. Longtemps Flashback fut « le jeu français le plus vendu au monde » avec 1,25 million d'exemplaires vendus selon le Guinness Book.