1989 : Point de départ
La base de la création d'Another World réside dans le ressenti d'Eric Chahi face au portage de Dragon's Lair sur Amiga, un jeu impressionnant pour l'époque et proposant des animations de très bonne facture. Le portage avait cependant nécessité quelques compromis et tenait sur une multitude de disquettes, seul moyen de loger les nombreuses animations occupant à elles seules une place mémoire considérable.
Eric Chahi a alors l'idée d'utiliser des polygones pour parfaire l'animation tout en occupant peu d'espace mémoire. Après quelques tests pour vérifier si cette technique est suffisamment satisfaisante et utilisable en l'état (dont la création de la scène d'introduction dans le laboratoire) il commence réellement le développement d'Another World, créant les différents niveaux petit à petit sans jamais prévoir à l'avance la suite des événements. Tout est créé dans le moment nous dit-il sur le site officiel du jeu : "Clairement Another World est le fruit d'une improvisation ludique !". L'un des éléments déterminants pour restituer l'ambiance voulue se trouve être la palette de couleurs à utiliser. Une semaine entière sera nécessaire pour la définir, mais elle apportera au final une cohérence à l'univers et aux différents environnements parcourus.
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La science-fiction comme thématique principale
Après quelques recherches sur les différents thèmes utilisables pour le jeu (ayant d'abord réfléchi à un jeu dans un manoir hanté, thématique jugée trop semblable à l'une de ses anciennes créations), son choix se porte finalement sur la science-fiction, un thème qui lui tient à cœur depuis longtemps. Ce sera la base de l'univers d'Another World. La grande idée de départ est de projeter le héros et le joueur dans un univers extraterrestre. Il n'en faut pas plus à monsieur Chahi pour créer la scène d'introduction maintenant culte d'Another World, une séquence qui posera les bases du futur scénario.
Comme nous l'avons dit, Eric Chahi s'est abstenu de mettre sur pied un fil conducteur, créant ainsi l'introduction et le premier niveau sans avoir la moindre idée des futurs événements et de la tournure finale que prendrait son jeu. L'introduction nous présente simplement le héros, Lester Knight Chaykin, un jeune chercheur travaillant dans son laboratoire sur une expérience d'accélération des particules pendant un soir d'orage. Lorsque la foudre vient s'abattre sur son lieu de travail, l'expérience est perturbée et l'accélérateur propulse notre héros dans un autre monde dont il ignore absolument tout. Lester rencontrera plus tard un étrange compagnon et les deux devront s'entraider au fil de l'aventure pour progresser dans cet univers hostile. Voilà la seule indication que nous ayons sur le scénario.
Plus qu'un scénario à suivre, Eric Chahi souhaite délivrer aux joueurs un ressenti, une émotion. En ce sens, Another World ne contient pas une seule ligne de dialogue, et s'appuie seulement sur sa mise en scène et son univers. Dans ces conditions, le travail sur l'ambiance est donc primordial. Il faut créer des environnements dégageant des atmosphères particulières mais toujours en accord avec le ton général souhaité, un ton d'ailleurs qualifié de dramatique. Parfaitement maîtrisé, ce travail autour de l'ambiance parvient à faire oublier l'absence de dialogues. Pour autant, le scénario n'est pas mis de côté, mais il passe presque au second plan. L'histoire est simplement suggérée par quelques événements, par les différentes ambiances et peut-être aussi par l'important sentiment de solitude qui se dégage tout du long de l'aventure - le héros se retrouve la plupart du temps seul, dans un monde inconnu, et face à des dangers de chaque instant. Le scénario est donc sous-entendu, et aucune précision ne viendra jamais éclairé le joueur, le laissant lui aussi seul face à son imagination, chacun pouvant alors se faire sa propre interprétation de ce qu'il vient de "vivre". Même la fin du jeu, entourée d'un grand voile de mystères impénétrables, oblige encore une fois le joueur à tirer ses propres conclusions.
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Une mécanique de jeu originale
Mais Another World ne se distingue pas seulement par son ambiance unique et son univers intrigant, mais aussi par son gameplay.
Initialement, Eric Chahi voulait faire un jeu d'aventure basé sur l'aspect défensif où le joueur irait d'abri en abri pour éviter tout contact avec l'ennemi. Mais cette solution, jugée trop difficile à mettre en œuvre, fut abandonnée pour laisser place au fameux pistolet laser à même de garder l'essence de l'idée défensive. L'arme, récupérée assez tôt dans l'aventure, est en effet à double, voire à triple emploi. Comme toute bonne arme d'attaque, l'objet permet de tirer sur ses ennemis. Classique. Plus original, l'arme est aussi capable de créer des champs protecteurs, ou boucliers défensifs, pour se protéger des tirs ennemis. Ces boucliers peuvent néanmoins être détruits par la troisième fonction du pistolet : le super laser. Cette dernière technique dévastatrice demande une concentration d'énergie plus longue pouvant mettre le héros en danger lors des fusillades. L'alternance entre attaque et défense donne un cachet particulier à Another World qui privilégie du coup les approches plus réfléchies dans les séquences d'action et se rapproche ainsi de l'idée de départ d'un jeu basé sur la défense. A cela viennent s'ajouter quelques subtilités dont la perte d'énergie du pistolet. Après quelques super laser, l'arme se retrouve complètement vide et il convient de la recharger dans l'une des rares chambres d'énergie du jeu.
Outre cet aspect, le jeu fait aussi la part belle aux phases de plates-formes et à la réflexion. A l'image d'Eric Chahi durant la création du jeu, le joueur se retrouve aussi sans indice sur ce qui l'attend ensuite et sur ce qu'il doit accomplir pour pouvoir progresser. Cette absence d'aide pousse le joueur à être curieux de tout s'il veut comprendre et maîtriser ce qui l'entoure. Le jeu n'est cependant pas très long (pour ne pas dire assez court) et ne demandera pas plus d'une poignée d'heures à un joueur confirmé pour en voir le bout. Cela dit, l'aventure est si intense et agréable à parcourir qu'Another World fait parti de ces titres que l'on prend plaisir à recommencer encore et encore.
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Un jeu salué par la critique et les joueurs
A sa sortie, ce travail titanesque réalisé uniquement par Eric Chahi (design, réalisation, programmation, écriture) et Jean-François Freitas (son) est récompensé comme il se doit. La presse est unanime et encense le jeu dans chaque test. Another World est classé comme jeu préféré par beaucoup de publications qui félicitent tous son audace et ses graphismes/animations poussés.
Les joueurs, eux non plus, ne boudent pas leur plaisir face à une telle réussite. Au fil des ans, Another World passe du statut de hit de l'époque au rang de jeu culte, à parcourir au moins une fois dans sa vie de joueur.
Ce succès permet à Another World d'être rapidement transposé sur un nombre impressionnant de machines, de la Super Nintendo à la Megadrive en passant par Mac, 3DO, Atari ST, Mega-CD et même plus tard sur GBA grâce à un système d'émulation et de cartouches flashs. A noter que suite aux critiques de la version Amiga, qualifiée de trop courte, Eric Chahi se remet au travail pour inclure un niveau supplémentaire présent sur les autres versions.
Parmi toutes les versions sorties, la version Mega-CD se démarque par son contenu. Outre le fait d'inclure Another World, celle-ci propose aussi sa suite : Heart of the Alien. Dans ce second volet, nous ne dirigeons plus ce cher Lester, mais l'extraterrestre qui l'accompagne dans le jeu original. Le scénario reprend d'ailleurs là où s'arrête le premier jeu. Heart of the Alien a cependant été moins bien reçu par la critique et les joueurs. Eric Chahi n'ayant participé que de façon très lointaine à son développement, portant plus le rôle de conseiller que de membre actif du développement.
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