Le mot à retenir dans l'expression qui nous intéresse, c'est le terme "émergent". Emerger, c'est sortir. De l'eau, de sa couette, du coltard le dimanche matin ou d'un jeu, peu importe. On peut donc interpréter l'expression comme désignant une pratique ludique (le gameplay) ayant émergé d'elle-même du substrat initial du jeu, d'une faille dans son code, d'un cas non couvert par une règle. Sommairement, d'endroits d'où elle n'aurait pas dû sortir. On trouvera un exemple frappant avec certaines pratiques devenues de véritables tactiques de jeu faisant aujourd'hui partie des composantes indispensables. Le rocket jump de Quake qui consiste à utiliser un tir de rocket pour sauter, ou le ski de Tribes, sont de nos jours des éléments volontairement implantés au regard de leur succès et de leur importance pour les joueurs. De même que le bunny hop, une succession de sauts permettant en fait de gagner de la vitesse, une action due à un bug du moteur physique de Quake 3 à l'origine. Initialement, de simples erreurs de programmation. Essayez donc dans un jeu ne proposant pas de rocket jump de vous tirer un coup de bazooka dans les pieds, vous serez surpris. Pourtant, les joueurs ont su tirer parti de ces failles, pas pour tricher, mais pour enrichir le jeu et surtout agir d'une manière totalement inattendue. A tel point que jouer en ligne à Tribes aujourd'hui, sans maîtriser la technique du ski, serait purement et simplement suicidaire face à des joueurs aguéris. On peut donc dire qu'ils se sont appropriés le jeu, et que ces nouvelles pratiques ont émergé du gameplay original. Et elles ne sont pas les seules.
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Les MMORPG sont évidemment un espace de choix pour repérer des pratiques émergentes. En raison de son caractère illégal et finalement peu ludique, on rechignera à considérer la collecte d'objets virtuels en vue de leur vente contre de l'argent réel comme un aspect émergent du gameplay. En revanche, on n'en dira pas autant de certains phénomènes communautaires comme les réunions de joueurs à l'occasion d'événements particuliers, Halloween, Noël, ou simplement la fin d'un bêta test comme ce fut le cas pour World Of Warcraft. De très nombreux joueurs étant réunis dans le seul but de célébrer la fin de la phase de test et rendre un dernier hommage à leurs avatars avant de les voir disparaître. Dans une approche différente, on mentionnera également "l'invasion des Lurikeen" de Dark Age Of Camelot. Cet événement a démarré lorsqu'un grand nombre de joueurs ont décidé de créer une sorte de mouvement "politique" autour de la race des Lurikeen. Un mouvement de masse qualifié d'invasion qui a réuni une quantité de Luri sur un même serveur, provoquant un déséquilibre entre les races et un blocage du jeu. Une initiative assez malheureuse au final et qui n'a pas vraiment fait la joie des joueurs.
Ce type d'émergence n'est finalement pas propre au jeu vidéo mais au jeu lui-même, sous toutes ses formes, dan la mesure où il consiste à détourner le jeu de son but premier ou à trouver un moyen d'en contourner les règles mais sans pour autant en arriver à être considéré comme un tricheur. Chose qu'il est tout à fait possible de faire dans un jeu de société de plateau ou un jeu de plein air. C'est l'émergence qui vient du joueur, qui fleurit d'elle-même en profitant d'une faille qui laissera la fleur nouvelle éclore. Mais depuis quelques années, ce sont les game designers qui planchent sur cette question, lui consacrant même des discours lors de leurs conférences. Pour eux, l'émergence est ce qui distingue réellement le jeu vidéo de toute autre média ou production artistique, pour la bonne et simple raison qu'elle transforme vraiment le joueur en un acteur faisant usage de sa créativité.