Depuis toujours, et ce dans quelque discipline que ce soit, l'homme aime faire des classements, il se plaît à se mesurer aux autres pour voir qui est le plus fort. Son âme de compétiteur le pousse à vouloir être reconnu comme un champion dans sa discipline. Cela est vrai pour le sport où de multiples championnats et compétitions sont organisés autour de la planète. Et pour le jeu vidéo alors ? Tout le monde a déjà fait des tournois de PES dans son salon ou des petits réseaux à Unreal pour se mesurer à ses amis, certains ont aussi participé à des LAN party où ce ne sont plus seulement contre une dizaine de personnes que l'on joue, mais contre plusieurs centaines (1200 participants à la LAN Arena de la Villette). Mais ensuite ? Quel est le prochain niveau de la compétition ? Remporter une LAN party suffit-il pour devenir un champion ? Non. Le compétiteur en veut toujours plus. Le titre de vainqueur de LAN ou de premier joueur dans son pays ne lui suffit plus, désormais, il veut se mesurer au monde entier. Il veut prouver à tous sa qualité de jeu et montrer qu'il est réellement le plus fort. D'où l'émergence de la Coupe du Monde des Jeux Vidéo.
Mais là n'est pas non plus le but premier de l'organisation du telle compétition. La Coupe du Monde des Jeux Vidéo est également un moyen de faire reconnaître le jeu vidéo comme autre chose qu'un divertissement pour les enfants et de l'élever au rang de véritable sport. Pour certains, c'est déjà le cas, il ne s'agit plus d'un simple loisir, mais d'un sport qui peut être pratiqué à haut, à très haut niveau même. Je pense notamment à la Corée où depuis belle lurette des joueurs sont passés professionnels et ne vivent que de leurs performances au fil des tournois. Cette conception du jeu n'est pas encore admise partout et c'est un peu le rôle de la Coupe du Monde de démocratiser tout cela.
C'est là où se pose l'un des problèmes majeurs de la compétition. Comment afficher une belle vitrine du jeu vidéo, capable de lui attirer la reconnaissance du plus grand nombre, tout en respectant l'énorme communauté de joueurs, que l'on qualifiera volontiers, et à juste titre, de hardcore gamer. Un problème épineux que l'édition 2004 ne semble pas avoir résolu complètement. Des petits pas sont faits, en incluant pour la première fois un jeu de football dans la compétition, mais le gros du tournoi reste encore une fois bien trop hermétique aux premiers venus. Les matches sont commentés en direct dans un jargon complètement surréaliste pour les premières oreilles venues, et les images auxquelles on pourrait éventuellement se raccrocher pour illustrer des termes bien peu évocateurs ne sont pas toujours très parlantes. Je doute sincèrement que les visiteurs venus se promener au Futuroscope cette semaine aient réellement saisi le déroulement des matches retransmis sur grands écrans dans le parc. Pas grand chose n'est réellement fait pour leur expliquer clairement ce qu'il se passe sur les images, et lorsque cela est fait, on entend les foudres des gamers se déchaîner (on se souvient des sifflements de l'année dernière à l'encontre des commentaires de matches jugés trop grand public par certains). On peut comprendre que le langage utilisé soit obscur et qu'il s'adresse avant tout aux initiés, mais ce n'est pas vraiment ainsi que le jeu vidéo, en tant que sport, parviendra à s'émanciper et à toucher le grand public. Dans de telles conditions, ça paraît encore bien utopiste de penser que les foules se passionneront pour les finales de Counter-Strike ou de Unreal Tournament.
On pourrait me dire qu'il en va de même pour tous les sports, que chacun utilise son propre vocabulaire, des mots que l'on acquiert petit à petit, en observant de multiples matches (je pense par exemple au ippon en judo ou tout simplement au hors-jeu en football). C'est vrai, mais dans ce cas, le support visuel joue un rôle essentiel. Un replay bien senti peut facilement éclairer la lanterne du néophyte sur la signification d'un terme un peu flou, d'ailleurs la télé ne manque pas d'en faire lors de ses retransmissions sportives. Dans les compétitions de jeux vidéo, le jeu va trop vite pour que l'on puisse se permettre de revenir sur les actions importantes (pourquoi pas entre les matches ?) et dans l'état, je vois mal une chaîne de télé nationale diffuser des parties et prendre le temps de commenter les étapes clés d'une rencontre. Les grands médias ne s'intéressent pas aux compétitions de jeux vidéo parce que les compétitions ne les invitent pas à saisir toutes leurs subtilités. D'où un grand cercle vicieux. Les tournois de jeux vidéo ont besoin des médias pour devenir un peu plus "populaires" et les médias ont besoin que les tournois se démocratisent davantage pour parler d'eux. Pas simple de se sortir de cette boucle infernale.
Du point de vue de l'initié, la Coupe du Monde a tout de même largement tenu ses promesses avec du spectacle et des rebondissements dans toutes les disciplines. On a vu des grands joueurs sortir avant les finales au profit de quelques révélations, notamment la Chine qui aura fait sensation lors du tournoi PES 3. On a aussi vu des matches passionnants et de jolis podiums. Même si quelques retards auront perturbé les épreuves tout comme d'autres petites fausses notes venues contrarier le public (les commentaires uniquement en anglais lors de la finale de Quake 3, le choix d'avoir joué cette même finale sur la scène extérieure jusqu'à 1H du matin dans un froid pas revigorant du tout), l'organisation aura été dans son ensemble bien réussie. On peut d'ailleurs tirer un sacré coup de chapeau à Ligarena, organisatrice de l'événement, pour le travail accompli. Les nombreuses scènes ont permis de suivre toutes les rencontres sur grands écrans, avec même deux écrans géants pour la scène extérieure ! Un vrai régal pour les fans, mais une manifestation encore bien obscure pour l'observateur lambda. On peut cependant espérer qu'au fil de ses éditions, la Coupe du Monde trouvera la bonne formule pour accueillir le grand public sans renier les joueurs plus exigeants. Alors le jeu sera réellement reconnu par tous comme un sport à part entière.